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On a retrouvé le VRAI David Goodenough qui a inspiré le mème du Joueur du Grenier

On a retrouvé le VRAI David Goodenough qui a inspiré le mème du Joueur du Grenier

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Par Pierre Bazin

Publié le

Le développeur est bien réel et était loin de se douter de sa popularité.

“Oh, c’est pas si mal !” Si vous entendez, à la lecture de ces mots, le thème musical du Andy Griffith Show, c’est que vous connaissez le mème de David Goodenough. Il est souvent utilisé pour décrire quelqu’un de peu exigeant sur son travail, je-m’en-foutiste sur les bords, et qui trouvera toujours une bonne excuse pour justifier sa paresse.

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Aux origines du mème, Frédéric Molas, connu sous le nom de Joueur du Grenier (JDG), youtubeur spécialisé dans la critique ironiquement colérique de mauvais jeux vidéo rétro. En 2016, le JDG consacre une vidéo à X-Perts, un jeu sorti en 1996 sur Mega Drive, échec commercial et critique. Il note la présence au générique d’un nom amusant : David Goodenough – “good enough” signifiant en français “pas si mal”.

Ni une ni deux, la blague est lancée et le personnage, incarné par son comparse Sébastien Rassiat, voit le jour sur la chaîne Joueur du Grenier. Le personnage reviendra d’ailleurs à de multiples occasions dans d’autres vidéos du Joueur du Grenier. Le running gag devient mème, des compilations voient le jour, il est lâché sur Twitter et s’exporte même à l’international.

Il y a peu de temps, Frédéric Molas a revu sa vidéo sur X-Perts. L’occasion d’expliquer qu’il n’aurait jamais imaginé que cette blague prendrait de telles proportions. Il rappelle aussi que David Goodenough était un vrai développeur, mais qu’il est malheureusement compliqué à retrouver, car la “vraie personne a été aspirée” par le mème du JDG. Jusqu’à aujourd’hui.

Il n’a pas été évident de retrouver le vrai David Goodenough. Mais, au détour d’un mail lancé comme une bouteille à la mer, je finis par recevoir une réponse positive. Le David Goodenough qui m’a répondu a travaillé sur X-Perts au sein du studio Abalone en 1996. Il se dit très “intrigué de [mon] intérêt pour ce jeu développé il y a vingt-cinq ans, et qui n’a pas été un grand succès commercial”. Je lui explique la situation et nous convenons d’un rendez-vous sur Meet.

“Je n’avais aucune idée de tout ça”

Souriant et surpris, il confesse qu’il n’avait pas la moindre idée d’être à l’origine d’un mème. Il n’avait par exemple jamais tapé son nom complet sur Google. Mais alors, qui est le vrai David Goodenough ?

David est un Anglo-Canadien de 60 ans. Il naît à Chypre où son père, membre de la Royal Air Force, était posté à l’époque. Il grandit en Angleterre avant de déménager au Canada puis finit par décrocher du travail aux États-Unis. Il s’y installe, rencontre sa femme, “une incroyable dame” avec laquelle il se marie.

Pour David, tout commence par un diplôme en sciences informatiques. Il fait ses premières armes avec du travail d’ingénierie embarquée sur les processeurs Intel 8051. Au début des années 1990, il tombe sur une annonce.

“Je venais de quitter mon ancien travail à l’époque, et ils cherchaient soit un programmeur pour la Sega Genesis [le nom de la Mega Drive aux États-Unis, ndlr], soit un programmeur en logiciels embarqués. Je me suis dit que j’allais tenter ma chance. Finalement, le passage sur la Genesis a été très simple pour moi, ça restait des programmes embarqués à mes yeux.”

Dès lors, David Goodenough ne quittera plus le secteur du jeu vidéo… jusqu’à l’année dernière, où il a pris sa retraite. Son premier projet, il s’en souvient, c’était un jeu de basketball en 2VS2 qui n’a jamais vu le jour. Mais David s’amusait dans cette industrie naissante. “On a fait des choses assez incroyables”, admet-il.

David a vu l’industrie du jeu vidéo évoluer à vitesse grand V. La fin des années 1990 a été synonyme de grands changements “qui [lui] ont presque fait quitter le secteur”, confie-t-il. De petits studios de dix personnes, on est passés à une centaine d’employés pour un même jeu. En cause, l’avènement de la 3D, qui demande des ressources bien plus considérables.

David Goodenough a eu une carrière d’ingénieur software bien remplie, et ce dans de nombreux studios. Il est par exemple passé chez Hidden Path pour travailler sur le portage de Counter-Strike sur PS3. Il a aussi travaillé sur World Series Baseball 2003, qui a été pour lui “probablement le projet le plus intrigant techniquement”.

Sa plus grande fierté ? Probablement City of Heroes, un MMORPG sur lequel il a passé deux ou trois ans. Il appréciait le jeu car il y jouait aussi, et craignait même qu’on apprenne dans sa guilde qu’il faisait partie de l’équipe de développement. “Malheureusement, le jeu s’est arrêté en 2012, il me manque toujours un peu”, avoue-t-il, nostalgique.

“J’ai laissé un Easter egg dans X-Perts pour me moquer de Sega”

Que s’est-il passé durant le développement de X-Perts, le jeu vivement critiqué par le Joueur du Grenier dans sa vidéo dédiée ? David a regardé partiellement la vidéo que je lui ai envoyée, sous-titrée en anglais. Il a bien sûr rapidement compris l’aspect humoristique du JDG et admet que plusieurs points de critique sont plutôt bien vus.

David Goodenough se souvient bien qu’à cette époque, en 1996, la Mega Drive était déjà en fin de vie. Beaucoup d’investissements avaient été mis dans le rendu 3D des personnages malgré une faible équipe dédiée. “Nous n’étions pas assez nombreux pour l’étendue de travail que ça demandait !”, se souvient-il.

Quid des pavés de textes ? David n’a pas l’explication, car il n’était pas dans les décisions de leveldesign. Il se souvient en revanche que le nom de “Janus”, utilisé dans X-Perts, était une référence au dieu romain du même nom. “Je me souviens avoir fait partie du petit groupe de personnes à s’être opposées à ce nom pour les raisons… eh bien… qui sont pointées du doigt dans la vidéo du JDG [rires].”

La suite de l’histoire est encore plus passionnante. Goodenough explique qu’en plein développement, Sega, éditeur du jeu, a commencé “à débrancher le projet” car la Mega Drive était alors en train de mourir. X-Perts fait partie de ces jeux sortis près de la fin de vie d’une console, et les studios Abalone ont dû s’adapter.

Sega revoit ainsi son budget à la baisse et cela commence par un changement de cartouches : de 5 Mo on passe à 4 Mo, ce qui est absolument énorme pour l’époque. “À la base, il y avait même quatre personnages jouables ! On a dû en enlever un parce que ça ne rentrait pas dans une cartouche de 4 Mo”, explique-t-il.

Vingt-cinq ans après, David Goodenough reconnaît avoir calé un Easter egg dans X-Perts, et pas des moindres. Il est littéralement aux toutes premières secondes du jeu, dans l’introduction. Le logo de Sega descend et le personnage de Shadow vient dégommer le S pour le faire tomber. “C’était ma réponse à Sega ! Un bon coup de pied dans son logo !”

Il avait discrètement travaillé cette animation avec la complicité d’un artiste 3D. “Le logo de Sega, c’était sacré, peu de jeux avaient pu jouer avec ainsi !”, admet-il fièrement, même si, à l’époque, il craignait qu’on vienne un jour lui demander des comptes. Il n’en fut rien et, depuis sa confortable retraite, David assume désormais pleinement son pied de nez à Sega.

“Qu’adviendra-t-il de mon mème ?”

David Goodenough n’en revenait pas quand je lui ai appris qu’il était à l’origine d’un mème, connu outre-Atlantique et même un peu à l’international. Malgré le côté moqueur du personnage incarné par Sébastien Rassiat, il comprend la tonalité humoristique et n’en veut pas le moins du monde à l’équipe du JDG.

Fred et Seb, si vous nous lisez, sachez que David ne compte pas intenter de procès pour usurpation d’identité ou diffamation. David est allé regarder sur Know Your Meme la page extrêmement détaillée qui lui est consacrée. Au final, il prend la chose avec beaucoup de philosophie :

“C’est juste une de ces choses qui arrivent comme ça sans qu’on puisse réécrire l’Histoire. Je ne peux pas changer le jeu ni que les choses décollent ainsi sur Internet et deviennent des mèmes. Question : pourquoi l’image d’un chien et pas d’un autre devient-elle un mème qui bouleverse Internet ? Pour rien ! Comme le ferait David… [il hausse les épaules].”

La légende perdurera-t-elle ?

Il continue :

“Le plus intéressant maintenant, c’est ce que cette interview va avoir comme effet sur le mème. Je ne peux pas donner la réponse à cette question. Comment les gens réagiront lorsqu’ils mettront un visage sur un programmeur autrefois inconnu ? Lorsqu’il s’agit d’une vraie personne, avec une vraie histoire, qu’advient-il du mème ? Je suis très curieux de savoir pour être honnête.”

David ne cherche pas à rétablir une quelconque vérité. Ce retraité, plein de sagesse, n’en a que faire que sa présence sur les réseaux soit désormais complètement occultée par le mème. Pour la postérité, il tient juste à préciser qu’il a gagné, en 1990, un prix à l’International Obfuscated C Code Contest, un obscur concours de programmation absurde.

“C’était mon quart d’heure de célébrité, comme dirait Andy Warhol ! C’était pour moi le maximum de ma popularité sur Internet, maintenant, je sais qu’il y a bien plus ! [Rires.]”

Il finit en me disant qu’il ne tient pas rigueur au JDG pour sa critique acerbe de X-Perts :

“Je ne dirais pas merci [rires], mais j’apprécie et je comprends parfaitement son concept de vidéo ! Tant mieux si ça a marché et qu’il a eu des vues sur YouTube ! ‘X-Perts’ n’était clairement pas ma meilleure œuvre, mais comme je l’ai déjà dit : on ne peut pas réécrire l’histoire !”

Un mot à passer à David ? On s’en chargera, écrivez-nous à hellokonbinitechno@konbini.com