Le débat sémantique est une lutte du quotidien. Que ce soit pour des raisons militantes, politiques, personnelles, identitaires ou encore professionnelles, on a tous ses combats pour définir quel terme de la langue française est le plus adéquat ou non pour définir une notion. On ne parle pas d’écriture inclusive, de la/du Covid-19 ou encore de chocolatine, mais d’un mal bien profond qui gangrène le milieu de la start-up et envahit nos demandes d’invitation LinkedIn.
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Mon combat personnel, c’est le refus d’utiliser l’adjectif “digital” quand on parle de “numérique”. À ce sujet, et comme nous le rappellent nos confrères de Numerama, le Journal officiel du 9 mars 2021 vient justement de confirmer sa préférence pour “numérique” plutôt que le terme étranger “digital” dans son “vocabulaire de l’informatique”.
En français, lorsqu’on parle de “digital”, on fait référence aux doigts (du latin “digitus”), c’est tout. Donc si votre entreprise opère une “transformation digitale”, vous êtes en droit de demander quand arriveront les futures manucures offertes à tou·te·s les employé·e·s – d’ailleurs, je vais envoyer un mail aux RH, j’attends toujours.
Un combat perdu d’avance ?
En anglais, “digital” peut prendre le même sens qu’en français (rapport aux doigts), mais il fait surtout référence aux “digits”, le terme anglais utilisé pour désigner les “chiffres” de 0 à 9. À ce sujet, l’Académie française rappelle que les anglophones ont aussi créé ce mot à partir du terme latin “digitus”, en rapport au fait qu’on compte les chiffres avec ses doigts.
Et quand on sait l’importance de ces derniers en informatique, on comprend bien que nos ami·e·s anglophones aient lié la notion de “digital” au numérique – terme qui fait lui référence aux “nombres”. À noter par ailleurs que “numeric” existe aussi en anglais, même si c’est un terme bien moins utilisé.
Sauf qu’en français, on ne dit jamais “digits” pour parler de chiffres. Pourtant, “digital” semble désormais adéquat pour désigner aujourd’hui toute relation avec l’informatique. D’ailleurs, du côté des dictionnaires, Le Petit Larousse comme Le Robert désignent “digital” comme un synonyme de “numérique”, mais le premier désigne ce terme comme “vieillissant” (ah bon ?), tandis que le second précise tout de même que c’est d’abord le second sens du mot ainsi qu’un anglicisme.
Enfin, les Québécois, positionnés contre l’impérialisme linguistique de leurs voisins anglophones, précisent également que l’usage de “numérique” est à privilégier. Comme l’indique la page consacrée de l’Office québécois de la langue française (OQLF), “digital fait uniquement référence aux doigts de la main”.
Ou un combat à reprendre de toute urgence ?
La langue française est évidemment sujette aux évolutions et influences des autres langues, à commencer par l’anglais. Dire ou écrire “hashtag” au lieu de “mot-dièse” est parfaitement compréhensible. Pour “digital”, ce n’est pas pareil : on assiste davantage à une forme de lobby mercatique qu’à une vraie appropriation par les locuteurs eux-mêmes.
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que les NTIC commençaient à drastiquement envahir notre quotidien, le terme “numérique” était largement préféré. On parlait alors de ces innovants “appareils photo numériques” ou encore de leurs “cadres photo numériques” consacrés, mais jamais de “digital”.
Alors pourquoi diable “digital” s’est-il imposé ainsi ? Nul doute que cela a à voir avec l’avènement des “transformations digitales” proposées par mille et un conseillers et autres “experts” dédiés à ces nouveaux métiers. L’anglais fait bien plus vendre, il est plus “marketing”. Quand il s’agit de convaincre un client que vos solutions, votre logiciel ou encore votre appli va “révolutionner” le fonctionnement de son entreprise, on préfère “digital” que le désuet “numérique”.
Pourtant, “numérique” est un mot qui ne trompe pas, appris à l’école par les millennials et que même leurs grands-parents connaissent. Tandis que “digital” sème le doute et est bien souvent le cache-misère d’un manque de réelles compétences en informatique. Ce qui est agaçant, c’est que ce n’est pas un usage qui s’est installé naturellement dans la langue, mais bien le résultat de bourrinages de mots déjà vidés de leur sens.
Et c’est ainsi que la start-up nation gagna la lutte sémantique à grands coups d’anglicismes erronés. Désormais, “la révolution digitale” est en marche dans toutes les entreprises et cela ne correspond en rien à une levée de pouces. Je reste néanmoins persuadé que “numérique” aurait suffi pour parler d’une installation de la fibre, du pack Office et de Slack dans une entreprise.
Malheureusement, arrive le moment où c’est désormais la situation opposée qui se passe. La preuve :
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