Un artiste aux multiples facettes.
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Grayson Perry, les multiples performances de Claire, son alter ego féminin. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Qu’il s’agisse de céramique, de tapisserie, de sculpture, de couture, de performance ou de gravure, l’artiste britannique Grayson Perry excelle dans tous les domaines. Déjà bien connu au Royaume-Uni, il conquiert depuis plusieurs années la scène internationale, notamment depuis qu’il a remporté le prestigieux Prix Turner en 2003 et qu’il a été nommé commandeur de l’ordre de l’Empire britannique, en 2013, soit l’une des plus hautes distinctions honorifiques attribuées par la reine Élisabeth II.
Ayant grandi dans les années 1960 dans une famille ouvrière, la lutte des classes sera un thème important d’une partie de ses tapisseries, plus politiques depuis 2009, qui comprennent aussi, plus récemment, une réflexion sur le Brexit.
Dès ses 4 ans, Grayson Perry projette sur son ours en peluche Alan Measles, un père de substitution, seulement des valeurs positives. Pourquoi “Alan Measles” ? C’est très simple : “Alan” en référence à son premier meilleur ami, et “Measles” – signifiant “rougeole” en français – parce qu’il a reçu cet ours durant son épisode de rougeole.
Quand on parle de Grayson Perry, on ne peut pas oublier d’évoquer sa double identité : l’artiste contemporain se transforme parfois en Claire, un alter ego qu’il s’est créé et qu’il exploite dans des performances publiques et photographiques. Dès l’âge de 12 ans, il se travestit, d’abord dans l’intimité de sa chambre, puis à 15 ans, il saute le pas et se pare d’une jupe et d’une perruque pour arpenter les rues de Chelmsford, tout fier. L’homme et l’art ne font alors qu’un.
Grayson Perry, “L’Annonciation de la transaction avec Virgin”, 2012. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Perry s’est fait connaître dans les années 1980, avec ses premières œuvres céramiques, matériau peu reconnu dans le monde de l’art contemporain et qui, comme la tapisserie et la gravure, le positionne en “artiste artisan”, statut qu’il questionne particulièrement. Au fil des années, il parfait sa technique en incorporant des sgraffites, des pochoirs, des transferts photographiques et des émaux pour ajouter plus de détails à ses céramiques. Ce n’est que dans les années 2000 qu’il se lance dans la sculpture et la tapisserie.
Après avoir présenté le travail de Subodh Gupta, la Monnaie de Paris inaugure la première grande rétrospective en France consacrée à Grayson Perry, “Vanité, identité, sexualité” (titre choisi en référence au rythme ternaire de la devise de la République française), jusqu’au 3 février 2019. L’identité, le genre, la sexualité, la classe sociale et la religion sont autant de thèmes universels qui se mêlent à sa propre histoire et qu’il explore dans cette exposition.
Une redéfinition du masculin
Grayson Perry, “Kenilworth AM1”, 2010. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
À travers des réflexions acides, des critiques grinçantes et des œuvres bourrées d’ironie, Grayson Perry joue avec sa propre identité et remet en question son/le genre. Déjà à travers son nounours, Alan Measles, qui, bien qu’attendrissant, pointe l’injonction à la virilité subie par les hommes : il a construit pour son ours une moto, la “Papamobile”, rose et bleue, où les mots “Patience” et “Humilité” sont inscrits et sur laquelle un siège auto pour enfant et un porte-bagages sont ajoutés.
Mais aussi dans son livre The Descent of Man, publié en 2016, dans lequel l’artiste démontre comment cette masculinité peut devenir destructrice et propose une nouvelle identité masculine. Avec ses sculptures, vases et autres tapisseries innocentes, Grayson Perry devient le théoricien d’une nouvelle place de l’homme dans la société.
Grayson Perry, détail sur un vase représentant des sadomasochistes. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Le rose est le fil conducteur qui guide le spectateur, à travers dix thèmes (identité, masculinité, (nouvelle) masculinité, hospitalité, historicité, antiquité, sexualité, société, divinité, vanité) et sur deux étages. La visite commence par la présentation des robes (roses) qu’il a imaginées pour son alter ego Claire :
“J’ai compris qu’être travesti ne signifiait pas faire semblant d’être une femme. Il s’agissait de porter les vêtements faisant naître en moi les sentiments que je voulais éprouver, et ces sentiments étaient exacerbés par tout ce qui était frivole et froufroutant”, confie l’artiste.
Dans cette exposition, Grayson Perry expose certains vases qui illustrent la sexualisation de notre culture et nos attitudes par rapport à la sexualité. Tout en mêlant cette réflexion contemporaine à un style ancien, il met en scène des pratiques sadomasochistes et fantasmes sexuels tabous dans la société britannique, ainsi que des organes génitaux masculins représentés comme des caricatures.
Grayson Perry, “Travesti se regardant dans un miroir”, 2009. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
“Les travestis ont un lien étroit avec deux […] objets : l’appareil photo et le miroir. L’appareil photo est souvent cruel, il nous condense dans une seule image prise en un instant, nous montrant tels que nous apparaissons vraiment aux autres. Le miroir est plus charitable. Quand on s’y observe, il est vraiment facile de ne voir que la perruque, le maquillage et la robe en ignorant le corps d’homme qui leur sert de support. Il y a une poignante aspiration dans le travestissement, la quête d’une féminité ineffable ; le miroir nous aide à nous convaincre que nous l’avons trouvée. La coiffeuse est un autel et le miroir, l’icône qui s’y loge.”
Féministe invétéré
Grayson Perry, “Our Father”, 2007. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Ouvertement féministe, Grayson Perry souhaite faire fi des normes et de la division entre le féminin et le masculin. Sur ses robes coquettes, il ajoute un pénis rouge pour brasser tous les stéréotypes de genre. Et sur ses vases, il fait correspondre des symboles de masculinité agressive avec des atmosphères victoriennes séduisantes.
“Quand je parle de masculinité à des hommes, j’ai souvent l’impression d’essayer de parler d’eau à des poissons. Les hommes vivent dans un monde d’hommes, ils sont incapables d’imaginer une alternative. […] Ils ressentent le féminisme comme une attaque dirigée contre leur identité profonde plutôt qu’un appel à l’égalité.”
Sur deux sculptures (Our Mother et Our Father) montrant un homme et une femme réfugiés et pèlerins portant leurs objets personnels, on peut voir que la femme porte plus d’éléments que l’homme, en plus de leurs quatre enfants (morts et vivants). Ces deux œuvres cristallisent le débat autour de l’immigration d’un côté, à une ère post-Brexit, et de l’autre, elles soulignent le fait que la femme porte un poids plus conséquent, un fardeau plus lourd, au sein de la société. Simple et efficace.
En sortant de l’exposition, on se dit que notre monde se porterait sûrement mieux si tout le monde pensait comme Grayson Perry.
Grayson Perry, vase céramique mêlant la tête d’une femme aristocrate et le corps d’une autre portant un gode-ceinture. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Grayson Perry, “Kenilworth AM1”, 2010. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Grayson Perry, “L’Adoration des combattants du ring”, 2012. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Vue de l’exposition et des robes de Claire, l’alter ego de Grayson Perry. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
Vue de l’exposition et des robes de Claire, l’alter ego de Grayson Perry. (© Martin Argyroglo/Monnaie de Paris)
“Vanité, identité, sexualité”, exposition de Grayson Perry visible jusqu’au 3 février 2019 à la Monnaie de Paris.