Au cours du Festival du cinéma américain de Deauville, Konbini vous fait part de ses coups de cœur.
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C’est quoi ?
Jane rêve de devenir productrice. Mais pour gravir les échelons, elle doit commencer par les tâches ingrates en tant qu’assistante. Faire des photocopies, décrocher le téléphone, booker des chauffeurs, laver les tasses de café des autres employés, signer les bons de livraison, couvrir son patron et, surtout, rester à sa place.
Esclave moderne de son entreprise, première arrivée et dernière à partir, Jane finit ses nuits dans les taxis et se nourrit de ce qu’il y a dans le placard. En l’occurrence, des céréales dans un bol de lait qui rappellent immédiatement que ce plat enfantin est dégusté par une jeune fille encore naïve.
Après quelques jours au bureau, cette petite main novice, toujours droite et bien coiffée, va découvrir les agissements secrets de son patron, entre la découverte d’une boucle d’oreille dans son bureau et le recrutement d’une (très jolie) jeune fille pour un poste de deuxième assistante – auquel le titre du film peut également faire allusion –, avec laquelle il organise de mystérieuses réunions dans des hôtels.
Ce producteur tyrannique, c’est un Harvey Weinstein qui pratique le harcèlement sexuel routinier. Un secret de polichinelle bien gardé par ses collègues qui l’admirent et s’amusent de son audace de mauvais garçon. Et lorsque Jane se tourne vers les ressources humaines (représentées en la personne de Matthew MacFadyen), qui sentent le siège éjectable et la pourriture, Jane comprend qu’il va falloir subir cette atmosphère malsaine, teintée de toxicité masculine, avec le sourire, pour profiter, un jour peut-être, d’une augmentation et d’une promotion.
Pour The Assistant, la réalisatrice australienne Kitty Green s’est emparée de sa caméra pour illustrer les méthodes écœurantes des magnats du divertissement, le quotidien des jeunes femmes vulnérables dans l’industrie, et pour poser une question essentielle : comment réduit-on les victimes au silence ?
Mais c’est bien ?
Assourdissante de vérité, cette histoire survient trois ans après la naissance du mouvement #MeToo et Time’s Up, libération de la parole féminine suite aux révélations des agissements criminels de Harvey Weinstein, l’intouchable producteur qui avait la réputation de transformer un film en Oscar et une actrice secondaire en grande vedette hollywoodienne.
Forte et dévastatrice, cette plongée effrayante dans le quotidien de Jane rappelle combien les assistants constituent des témoins clés puisqu’ils sont au plus près de ce qu’il se trame. Entre contrat de non-divulgation, défilé de mannequins dans le bureau, crises de colère, humiliation et manipulation, le producteur fictif dépeint de manière presque documentaire le mode opératoire des prédateurs sexuels infiltrés dans le cinéma.
En se focalisant uniquement sur l’évolution et les tiraillements éthiques de son héroïne, la cinéaste Kitty Green révèle le talent de Julia Garner, déjà aperçue dans la série Ozark disponible sur Netflix. Au-delà de la prestation juste et volontairement mutique de son actrice, Kitty Green réussit un merveilleux exercice de mise en scène. Si elle fait du producteur un fantôme qui n’existe que par mail et par téléphone, elle souligne avec ingéniosité l’ampleur de sa présence malaisante dans ce récit. Une sorte d’ombre inquiétante qui pèse sur tous les employés, absolument tétanisés lorsque le monstre hurlant se réveille.
Si Kitty Green s’est inspirée du scandale de Harvey Weinstein qui a secoué le monde du cinéma en 2017, elle a le mérite de rappeler que beaucoup de têtes ne sont pas encore tombées.
Qu’est-ce qu’on retient ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : Julia Garner
La principale qualité : La mise en scène, froide et inquiétante
Le principal défaut : On cherche encore
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : L’Intouchable pour le documentaire, Scandale pour la fiction
Ça aurait pu s’appeler : Jamais sur le canapé
La quote pour résumer le film : “Un témoignage glaçant.”