Le français : on le parle tous les jours, pour se faire rire, pour se faire du mal, pour se réconforter, pour parler de la couleur du vernis de tata Véro, pour s’avouer qu’on s’aime, ou bien qu’on ne s’aime plus. Tous les jours, toutes les nuits, on prononce des sons, on dit des mots, on utilise des expressions sans y penser ; mais en fin de compte, sait-on vraiment ce qu’on dit ? Pas toujours : la preuve.
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Pourquoi dit-on “pas” ?
Il y a des mots auxquels on ne pense pas : le mot “mot”, par exemple, les mots comme “je”, “vous”, “eux”, ou encore, très haut perché sur l’Olympe des mots auxquels on ne pense pas, le mot… “pas”, justement. Ces mots sont si profondément ancrés dans notre pratique de la langue que, dès qu’on s’y arrête, ils perdent leur réalité. On connaît leur utilité, leur sens, mais répétez le mot “pas” plusieurs fois, “pas”, “pas”, “pas”, et tout à coup, ce mot d’habitude si banal vous devient étranger. “Pas”. C’est comme penser au fait qu’on inspire et qu’on expire inconsciemment en permanence, et passer soudainement en mode respiration manuelle… Ne le faites pas. Ne vous infligez pas ça, je vous en prie.
Pensons plutôt à “pas”. Qui est-il ? D’où vient-il ? Quelles sont ses motivations ? En latin, d’où vient le français, pas de “pas” : seulement un “non” dont notre langue s’est contentée très longtemps. Il s’est transformé en “ne” et, pour des raisons syntaxiques propres à l’ancien français, nous n’avions besoin de rien d’autre. “Je n’aime cet article, ni n’aime son auteur qui n’est beau”, par exemple, aurait été une phrase tout à fait correcte dans la forme – et, qui sait, peut-être dans le fond.
Puis, la langue évoluant, on s’est dit que ce serait quand même chouette de rajouter une petite merdouille à la fin pour enfoncer le clou, pour dire “non”, mais avec plus de panache. La petite merdouille en question, à l’époque, on la choisissait au contexte. Par exemple, si l’on ne mangeait rien, on disait volontiers : “je ne mange mie”, sous entendu, “je ne mange pas une miette”. Si l’on ne buvait pas, “je ne bois goutte”. Si l’on ne voyait rien, “je ne vois point”. Enfin, si l’on ne marchait pas, on disait : “je ne marche pas”, sous entendu “je ne marche pas… un pas.”
Et, vous l’aurez deviné, après une chienlit sémantique dans laquelle on a pu entendre des “je ne bois mie” ou “je ne vois goutte”, la petite merdouille qui a gagné la guerre, c’est “pas”. Donc aujourd’hui, quand vous ne marchez pas, vous ne marchez vraiment… pas.