La photographe allemande Lia Darjes a mené une étude photographique sur les “combats et les joies d’individus s’identifiant comme queer et musulman, vivant en occident au début du XXIe siècle du calendrier chrétien“. Cette série, menée par une photographe “non-musulmane et hétérosexuelle” présente les portraits d’une dizaine de personnes qui tentent de concilier, ou non, leur identité queer avec leur foi ou leur culture musulmane.Exposée dans le cadre du festival Format à Derby, sa série Being Queer. Feeling Muslim (“Être Queer. Se sentir musulman”, ndlr) présente des individus queer et la façon dont ils vivent leur foi musulmane. Certains l’ont délaissée, ne voyant comment concilier leur homosexualité avec l’islam, tandis que d’autres vivent pleinement “leurs deux identités”, comme ils les présentent, se sentant pleinement musulmans. Pour les derniers, en plein questionnement sur leur foi et leur identité sexuelle, le chemin est en cours.
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Lia Darjes a rencontré ses modèles à travers le monde occidental, de Paris à Toronto, en passant par Londres et Los Angeles. En plus de leur image, Darjes partage leurs histoires et leurs interrogations, à propos d’eux-mêmes et de leur place au sein des “communautés” auxquels ils appartiennent : la communauté queer et la communauté musulmane.
Si les stéréotypes poussent à croire que c’est la religion qui leur poserait problème vis-à-vis de leur orientation sexuelle, quelques-uns d’entre eux rappellent que le rejet existe aussi dans l’autre sens, et que l’islamophobie de certaines personnes est toute aussi violente pour eux. Nous avons rencontré la photographe, afin qu’elle nous en dise plus sur son projet et toutes ces rencontres.
Cheese : Ton titre est très intéressant, il semble indiquer qu’être queer et musulman, ce n’est pas du même ordre, les individus dont tu parles “sont” queer et se “sentent” musulmans, comme si les deux notions étaient antagonistes. Est-ce quelque chose dont tu t’es rendue compte après avoir photographié et interviewé tes modèles ?
Lia Darjes : C’est exactement la question que je voulais engendrer dans l’esprit des gens. Beaucoup de personnes pensent que la foi n’est pas quelque chose d’aussi fort que l’identité sexuelle, ou le contraire. Ils pensent qu’il est nécessaire de choisir entre ces deux identités. La plupart des personnes que j’ai rencontrées pour ce projet ont décidé de ne pas choisir. Elles ont décidé qu’il était possible de vivre pleinement ces deux parties de leur identité.
Peux-tu nous raconter comment t’es venue l’idée de ce projet ?
Pour terminer mon cursus universitaire et obtenir mon diplôme, je devais rendre un projet photographique. J’avais choisi de faire porter celui-ci sur des Allemands convertis à l’islam et, au même moment, j’ai lu un article sur un projet de mosquée ouverte aux queers à Paris. Cela m’a fascinée. Tout comme les convertis, les musulmans queer sont un groupe d’individus qui sont confrontés à de nombreux stéréotypes et connaissent des préjudices au quotidien.
Les opinions de tes modèles sont très différentes les unes des autres. Leurs déclarations ont-elles influencé la façon dont tu les as photographiés ?
Les dialogues étaient toujours très ouverts et n’avaient pas de structure propre. La plupart du temps, je leur demandais de me raconter leur histoire et je creusais lorsque certains aspects m’intéressaient particulièrement. C’était une façon d’apprendre à les connaître et, en ce sens, cela a influencé la façon dont je les ai portraitisés.
J’ai rencontré la majorité des personnes deux fois. Une première fois afin d’apprendre à se connaître et parfois mener un entretien, et une deuxième fois afin de les photographier. Ces deux moments sont très intenses et méritent une grande concentration.
Les réseaux sociaux sont un outil important pour ce genre d’initiatives et de projets. J’ai sauté sur cette tendance et j’ai contacté beaucoup de personnes grâce à Facebook. Je suis parvenue à trouver des gens au sein de communautés locales qui voulaient être visibles, qui désiraient parler au public. Évidemment, j’ai dû les convaincre que je ne voulais pas simplement faire une nouvelle à scandale dans laquelle je ne relaierais que des stéréotypes.
Tes projets précédents, 10 portraits of female soccer players from different Arab countries (“10 portraits de footballeuses originaires de pays arabes”, ndlr) et Konvertieren (“se convertir”, ndlr), s’intéressent à l’islam et au Moyen-Orient, d’où te vient cet intérêt pour la culture musulmane et le monde arabe ?
J’ai grandi à Saint Pauli, un quartier de Hambourg, et je vis maintenant dans le secteur de Kreuzberg à Berlin. Ce sont des endroits très cosmopolites où vivent de nombreux musulmans. Quand j’ai commencé à travailler sur Konvertieren, j’ai été surprise de mon manque de connaissance sur l’islam. Je me suis rendue compte qu’il y avait un véritable fossé entre les stéréotypes et la représentation générale des musulmans dans les médias et les personnes que je rencontrais dans la vraie vie. Cet écart m’a incroyablement fascinée.
La série de Lia Darjes Being Queer. Feeling Muslim est exposée à l’université de Derby dans le cadre du festival Format, qui a lieu jusqu’au 23 avril 2017.