Il y a des visages, des sourires, des voix qui, dès leur première apparition à l’écran, sont une évidence. Des charismes nés pour le septième art tant ils captent l’attention et touchent du doigt l’essence même du jeu. Rachel Zegler est de ces évidences.
À voir aussi sur Konbini
L’inconnue repérée par Steven Spielberg a la lourde responsabilité d’incarner la Maria 2.0 du nouveau West Side Story, personnage mythique de Broadway mais aussi du cinéma, incarnée dans le film culte de 1961 par Natalie Wood. La jeune actrice enchaîne ensuite les gros projets. Elle est passée des planches du théâtre de son lycée à son premier film, son premier projet professionnel officiel, pour l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire.
Qu’est-ce que Spielberg a bien pu trouver à cette jeune femme sans expérience ? Elle raconte elle-même avoir raté son audition. Voyant dans une annonce sur Internet, début 2018, que l’on cherchait la Maria d’un West Side Story dirigé par Spielberg, elle décide d’envoyer une vidéo d’elle chantant un titre de la comédie musicale.
“Je déteste ce que je leur ai envoyé, c’était horrible et effrayant. Avec le recul, je ne comprends vraiment pas que Cindy Tolan, notre directrice de casting, ait pu voir une quelconque once de potentiel. Je sais que ça va sortir sur Internet, j’aurai plus qu’à supprimer tous mes réseaux sociaux et ne jamais revenir [rires].”
Sans nul doute que Tolan et Spielberg ont vu la même chose que ce qui plaira aux spectateurs un peu plus tard. Un talent pur, qui était destiné à finir dans une des plus grosses et importantes comédies musicales de l’histoire. Les choses n’auraient pas pu se passer autrement.
Une amoureuse des comédies musicales depuis toujours
Dès sa plus tendre enfance, Rachel est amoureuse de Broadway. Elle se souvient, gamine, avoir entendu la musique de Sweeney Todd, comédie musicale d’un certain Stephen Sondheim, en être tombée amoureuse dans la seconde, et avoir voulu monter sur scène. Ses parents l’accompagneront dans cette passion, eux-mêmes fans de ce médium – un de leurs premiers rendez-vous amoureux fut d’aller voir Le Fantôme de l’opéra. Forcément, cet amour commun du spectacle joué, chanté et dansé se partagera. Rachel Zegler se souvient :
“On a grandi pas loin de Manhattan, et on voyait beaucoup de shows à Broadway. […] [Mes parents, ndlr] emmenaient ensuite ma grande sœur et moi à toutes les comédies musicales possibles et imaginables. On a commencé par les Disney, ‘La Belle et la Bête’, ‘Mary Poppins’, ‘Le Roi lion’, ‘La Petite Sirène’, pour ensuite aller vers des pièces plus adultes, comme ‘Les Misérables’, ‘Le Fantôme de l’opéra’, et on y allait une fois par an. C’était génial, je suis tombée amoureuse de ce médium et ça m’a donné, déjà à l’époque, l’envie de raconter des histoires. De n’importe quelle manière. J’ai commencé sur scène, avant de finir sur un écran.”
En effet, elle n’a que 12 ans quand elle rejoint la troupe locale de son quartier et monte sur scène pour la première fois. Dans Un violon sur le toit, elle incarne Shprintze, la fille du protagoniste, Tevye. L’action la plus importante qu’elle doit faire ? Emmener sur scène un panier de pommes de terre. “Je l’ai super bien fait, un superbe boulot”, se rappelle-t-elle en se marrant.
Déjà à l’époque, la première fois qu’elle s’apprête à chanter sur scène, elle raconte ne pas avoir ressenti de pression. Rachel se sent, au contraire, libérée. Elle dit avoir vaguement peur avant que le rideau se lève, mais qu’une fois le spectacle commencé, elle ne s’est jamais questionnée et n’a jamais tremblé. “C’est la beauté de jouer en direct sur scène”, conclut-elle avec un petit sourire ampli de nostalgie, accentuant une phrase prononcée juste avant. “Ça me manque terriblement, je dois te l’avouer.”
Car depuis ce premier rôle, Rachel Zegler est montée sur scène chaque année dans la pièce de son école. Tous les ans, sans exception. Toutes ses interprétations ont été récompensées par des Metro Awards, une cérémonie qui concerne les lycéens de sa région. En 2017, figurez-vous qu’elle a même incarné Maria dans une version de West Side Story – le seul rôle qu’elle trouvera vraiment stressant.
Même pour sa dernière année de lycée, alors qu’elle avait été castée pour jouer Maria dans le film, rôle qui allait changer sa vie, elle n’a pas voulu abandonner sa pièce locale. Mieux encore : elle a demandé à Spielberg s’il était possible de décaler un peu le tournage, le temps qu’elle joue dans… Shrek, la comédie musicale. Elle raconte, vaguement embarrassée mais un peu amusée :
“C’est vrai, c’est l’une des premières choses qui est sortie de ma bouche. Je venais d’être castée pour ma dernière comédie musicale à l’école, et comme j’ai fait celles de toutes mes années d’école, littéralement toutes sans exception, c’était vraiment important que je close ce chapitre dans ma vie proprement.
J’ai demandé s’il était possible de démarrer une semaine plus tard pour que je joue dans ‘Shrek’, ce n’était pas non plus trop en demander en soi… Je me rends compte maintenant que ça a l’air d’être un caprice [rires]. Mais surtout, il m’a dit qu’en plus de me comprendre, il avait produit le premier film, donc que ça ne posait aucun souci [rires].”
A star is born
Spielberg devait être absolument sûr de son choix pour permettre à une aussi grosse production de prendre une semaine de retard. Un pari audacieux, Rachel n’ayant fait jusque-là que du théâtre amateur. Enfin, ça, et une chaîne YouTube (200 000 abonnés) créée à ses 14 ans, sur laquelle elle poste des interprétations de grands morceaux et ses propres compositions. Sa vidéo qui a eu le plus de succès, avec plus de 3 millions de vues, est une reprise de “Shallow” du film A Star Is Born. Prémonitoire ?
Pas sûr que ce soit cette dernière qui ait fait pencher la balance chez Spielberg, contrairement à son audition, lors de laquelle elle a interprété deux morceaux qu’elle connaissait sur le bout des doigts : “I Feel Pretty” et “Tonight”. Même si le souvenir de cette tape tournée alors qu’elle n’avait que 17 ans est devenu amer au fil du temps, Tolan et Spielberg y ont vu la perle rare parmi les 30 000 candidatures.
Le cinéaste a pris soin de son casting de manière assez incroyable, comme le raconte Rachel Zegler. Alors même qu’il s’agissait d’une production à 100 millions de dollars. L’actrice se souvient de sa première rencontre avec lui, qui a atténué toutes ses craintes :
“Tu as tellement peur de ses jugements, de ce qu’il pense de toi. Puis tu le rencontres, et sa confiance inhérente si magnifique ressort en premier. Quelque chose qu’on ne retrouve vraiment pas d’habitude avec des personnes sur un plateau. Et tu sais qu’évidemment, il sait ce qu’il fait, que tu peux lui faire confiance en permanence, mais que tout ceci est aussi cher pour lui que pour toi, que ce soit pour une audition, ou que tu sois sur le plateau devant lui.”
Il faut dire qu’arriver sur un plateau de tournage de cette ampleur, avec le poids de l’héritage de la pièce et de l’original, avec un aussi grand cinéaste derrière la caméra, et avec l’ombre de l’immense Stephen Sondheim pas loin, peut faire beaucoup pour une jeune actrice peu expérimentée. Mais elle a réussi à ne jamais être dépassée par les événements.
Un moment émouvant l’a marquée plus que le reste. Une situation devenue une expérience incroyable et un conseil gardé à vie. Quelques mois avant de mourir, Sondheim, un des quatre papas de West Side Story, est venu assister à une séance en studio d’enregistrement de chansons. Rachel Zegler, même pas 20 ans, assise entre Sondheim et Spielberg, avait tout pour avoir le vertige. Elle raconte :
“Nous savions, et on le sait encore plus maintenant qu’il n’est plus là, […] que cette scène en studio ne peut être qu’un moment irréel. […] Pouvoir s’asseoir à côté de lui était un honneur, mais surtout pouvoir discuter avec lui de l’autocritique qu’il se faisait en permanence en tant qu’auteur.
Il avait 24 ans quand il a écrit les paroles de ‘West Side Story’, c’était son premier vrai boulot. Il était très jeune, et son mentor Oscar Hammerstein lui avait dit à l’époque ‘tu sais, ça n’ira sans doute nulle part mais tu devrais l’écrire pour l’expérience’ [rires]. Nous voilà, 64 ans plus tard, à continuer de discuter de ce travail. […]
Il avait tellement de moments où il disait ‘j’aurais tant aimé faire ça différemment’ ou ‘j’aurais aimé faire ça plutôt que ça’. Et c’est un vrai testament de l’incroyable artiste qu’il était, toujours en train d’essayer de s’améliorer et de s’inspirer des artistes autour de lui. C’est une vraie inspiration, et il le sera à tout jamais.”
Elle ne s’en cache pas : elle veut se faire confiance, comme son mentor a pu le lui apprendre. Et cela semble fonctionner. La preuve, elle a envoyé une vidéo qu’elle trouvait nulle pour se retrouver dans un des plus gros films de l’année, et voit désormais une carrière à Hollywood pointer le bout de son nez.
Car oui, alors même que son premier film n’était pas sorti, elle a déjà été castée dans deux grosses productions blockbusteriennes. La première, le nouveau film DC, Shazam! Fury of the Gods, où elle incarnera une des trois filles d’Atlas. Le deuxième, Blanche-Neige en live action chez Disney, avec Gal Gadot en sorcière et Marc Webb à la réalisation. Et ce n’est que le début.
(© Konbini)
D’autant plus que Zegler est maintenant une des favorites pour l’Oscar de la Meilleure actrice. Elle a déjà été récompensée par le prestigieux National Board of Review dans cette catégorie le jour où l’on s’est entretenus avec elle – elle nous disait, évidemment, ne pas y croire. On sait que les dernières à avoir reçu ce prix (Carey Mulligan, Renée Zellweger, Lady Gaga ou encore Meryl Streep, pour ne citer qu’elles) ont toutes été par la suite au moins nommées aux Oscars.
Il faudra suivre de près la saison des prix pour voir quelle statuette Zegler va récolter. Spoiler : il se pourrait qu’il y en ait un paquet. On vous l’avait dit, a star is born.