Takeoff était le plus jeune des Migos. Il était le neveu de Quavo et le petit cousin d’Offset, et sûrement le moins identifié du trio. Pourtant, c’est à lui qu’on doit la plupart des meilleurs couplets du groupe à travers les années.
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Au début notamment, quand Offset est en prison en 2013 (il reviendra sur le virtuose “Hannah Montana”), Takeoff a un rôle prépondérant dans le groupe Migos, adaptant des flows nouveaux d’Atlanta aux côtés de Gucci Mane, Future ou Young Thug.
C’est le cas par exemple sur “R.I.P.”, un titre qui résonne complètement différemment aujourd’hui, sur lequel Takeoff impose son charisme avant le couplet de Quavo. Ou encore sur des titres comme “Chirpin”. Takeoff est alors le fer de lance d’une nouvelle génération, le symbole d’une époque florissante pour la trap d’Atlanta.
Le flow Migos ? C’était lui
Concrètement, le flow que tout le monde associe à Migos, c’est celui de Takeoff : régulier, impressionnant et intact dans n’importe quelle situation. Étant aussi le moins populaire des trois, Takeoff était moins attendu que Quavo ou Offset dans l’aventure solo, après le raz de marée de leur album Culture (et “Bad & Boujee” qui a dépassé le milliard de vues sur YouTube) puis Culture II (et la rencontre entre Offset et Cardi B).
Si bien que lorsque Takeoff a débarqué sur la Lune avec son album The Last Rocket, en novembre 2018, le grand public n’était pas au rendez-vous. Mais comme son nom l’indique, il s’agissait d’envoyer “la dernière fusée” des Migos, celle que tout le monde oublie, mais qui peut aussi partir le plus loin.
Le George Harrison des Migos
Et de fait, le projet est parfaitement à sa place. Il fonctionne comme une sorte de visite spatiale, qui commence sur Mars et se termine dans le sillage de Batman. Alors que sur son album solo, Quavo a décliné à toutes les sauces son unique formule, Takeoff a pris les meilleurs atouts de ses deux acolytes pour les intégrer à ses morceaux avec une efficacité et une identité plus marquée. Sur “Last Memory” ou “Lead the Wave”, on est sur du pur Migos, et le rappeur ne cherche pas la fulgurance à tout prix. Sur “I Remember”, Takeoff mange ses mots et marmonne pour rendre ses souvenirs tout à la fois précis et vaporeux – un moment fort.
“Casper” reste sûrement le morceau le plus emblématique de The Last Rocket. Avec ses triolets éclatants, Takeoff s’y transforme en fantôme sonore, hantant les inconscients avec ses mélodies accrocheuses. À la manière de “Space Cadet” de Gunna et Metro Boomin sorti à la même période, “Casper” est un superbe tube cotonneux. Il n’éclate jamais, mais on s’y sent bien, comme dans une bulle.
Mais ce qui rend vraiment l’album spécial, c’est sa fin, en particulier le morceau “Infatuation”. Ce duo avec le chanteur Dayytona Fox emporte Takeoff vers la funk galactique époque 80’s. Pas très éloigné du “Sexual Eruption” de Snoop, cet ovni coloré a donné une nouvelle orientation au flow strict du rappeur. C’est ce genre de petits détails qui rendaient l’album et la musique de Takeoff plus libérée et inspirante que celle de ses collègues.
En terminant avec le duo “Soul Plane” et “Bruce Wayne”, le rappeur ralentit encore sa cadence, laissant plus de rondeur à sa voix enveloppante. Au final, si Takeoff fut le talent caché du groupe, il était aussi bien capable de prouesses techniques et d’idées farfelues que d’un réalisme désarmant.
The Last Rocket manque un peu d’ambition mais, avec quasiment aucun invité, il nous surprend là où l’album de Quavo nous avait laissé de marbre. Le résultat final est une petite défaite dans le milieu du rap niveau exposition, mais une grande victoire pour la dynastie Migos.
Sans un bruit
Le groupe s’est ensuite reformé pour un troisième volume de sa série Culture mais des tensions naissent, Offset fait bande à part, les confinements et autres pandémies les ont éloignés. Le groupe explose après une histoire autour de l’ex de Quavo, la rappeuse Saweetie. Quavo évoque le manque de loyauté d’Offset avec des allusions à une possible relation entre Saweetie et lui. Takeoff ne prend pas parti, il reste dans le giron de son groupe avec son oncle, il rappe, il envoie, sans un bruit.
Migos n’est plus pendant quelques mois. Toujours inséparables, Quavo et Takeoff sortent un album en octobre 2022, quelques semaines seulement avant le décès de Takeoff. Les références y sont nombreuses, de Raekwon & Ghostface à Outkast en passant par Watch The Throne. Le flow de Takeoff y est toujours aussi fluide, efficace, inspirant. Les thèmes sont aussi réguliers que les flows ; Migos est finito mais Migos est toujours là.
Pour Halloween, Quavo et Takeoff étaient à Houston pour l’anniversaire de Jas Prince, littéralement le prince de la ville car fils de J.Prince, le mogul derrière l’empire Rap-A-Lot, celui qu’on appelle quand tout part en vrille. C’est pourtant sous cette protection que Takeoff sera tué pendant une partie de dés dans un bowling à 2h30. Migos ne sera plus jamais. Repose en paix Takeoff.