Depuis 10 ans, Seb Toussaint voyage pour peindre sur des murs de villes et villages des fresques aux couleurs vives autour de mots comme “vie” ou “paix”. “Mon but, c’est de peindre les mots des gens qui n’ont jamais la parole”, dit le muraliste franco-britannique. L’artiste de 35 ans vient d’attaquer le mot “futur” dans le quartier poussiéreux de Zaatar, dans la banlieue de Nouakchott en Mauritanie. Lui et ses deux compagnons de voyage ont couvert de blanc le côté d’une maison branlante, et départagé de larges espaces bleu et rose layette.
À voir aussi sur Konbini
Sous deux ou trois jours, le public attentif discernera les lettres composant en arabe “Almoustaghbal” (“avenir”) sur un mural qui ne détonnerait pas dans les capitales du street art : de grands motifs colorés, figuratifs ou géométriques ou les deux, ondoyant ou statiques. La peinture fera la fierté du propriétaire de la bâtisse.
C’est en 2013 que tout a commencé pour Seb Toussaint ; il a couvert le ciment, la tôle ou le bois de saillies verbales dans des langues et des alphabets différents, comme “humanité” en Palestine, “changement” au Népal, “liberté” en Irak. Vivant de son travail en Europe, il autofinance des séjours d’un mois dans des bidonvilles ou des camps de réfugié·e·s et propose aux habitant·e·s de peindre leur mur. Au propriétaire de choisir un mot que le panneau mettra en valeur.
C’est le projet Share The Word, inspiré en partie, dit-il, par les épreuves de sa grand-mère sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale en Normandie. Lui qui a commencé en confectionnant des tifos pour un groupe de supporteurs de foot et en graffant autour de Caen a été confronté aux réalités du monde lors d’un tour du globe à vélo, il y a une dizaine d’années. En arrivant à Zaatar début janvier, “on a joué au foot avec les gosses, j’ai expliqué dans un arabe sommaire que le but, c’était de peindre des maisons. Une personne a dit : ‘Je veux bien que vous peigniez ma maison'”.
Éphémère
“On n’a jamais eu de refus”, dit-il. Quelques mésaventures, certes. L’énigmatique Doudou, compagnon au long cours, a été pris en otage pendant 24 heures et relâché contre rançon en Côte d’Ivoire. Partout, il peut y avoir un peu de réticence. “L’important, c’est de savoir si les gens ont de bonnes intentions. On a vite compris que ceux-là avaient de bonnes intentions”, dit Amar Mohamed Mahmoud, pêcheur de 52 ans qui mâchonne une racine pour se curer les dents. Il a accepté que sa baraque s’orne de “la chamelle”, rare représentation animalière sur tons fauve et bleu. Depuis, il y a eu “maman”, “jeunesse”, “les amis”… Huit muraux en tout, pans éclatants dans un bidonville desséché par le soleil.
Seb Toussaint calcule avoir essaimé 222 apostrophes polychromes à travers le monde. Ses commanditaires de rencontre ont un goût prononcé pour “paix” ou “amour”. Des mots restent des années, d’autres passent. La pluie, le vent. “Amour”, “rêve” et la ville syrienne de “Kobané” ont disparu avec le démantèlement d’un camp du côté de Calais, d’où les migrant·e·s cherchent à gagner l’Angleterre.
Seb Toussaint s’enorgueillit modestement de contribuer à attirer l’attention sur des oublié·e·s. Ses muraux ont servi de décor à un shooting de mode au Népal. Mohamed Boilil, autre habitant de Zaatar, veut espérer que les autorités cesseront de les “abandonner à [leur] sort” grâce à cet art.