Matérialisé sur les murs de l’Institut du monde arabe parisien, le profil Instagram de Khookha McQueer s’inscrit dans une révolution intime et politique. Aux côtés d’une vingtaine d’artistes au sein de l’exposition “Habibi, les révolutions de l’amour”, la performeuse dévoile des autoportraits qui croisent la culture héritée de ses racines tunisiennes, la pratique du drag et son militantisme féministe.
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Khookha McQueer est une artiste, femme trans et drag-queen qui se réapproprie les codes des représentations et détourne les contraintes pour donner vie à des œuvres contemporaines et résolument politiques, dans un pays qui criminalise toujours l’homosexualité. Ses photographies explorent l’expression esthétique du genre et s’inspirent de la culture tunisienne et des popstars du Moyen-Orient de la fin du millénaire pour imaginer des récits inclusifs, entre tradition et modernisme.
Née en 1987, l’artiste grandit dans la ville d’Ariana, dans la banlieue de Tunis. “C’est là que j’ai passé la plupart de ma vie, et où j’ai été élevée par deux familles : une biologique et une adoptive. Ma mère travaillait beaucoup et nous a souvent laissées, ma sœur et moi, chez nos voisins, qui sont devenus une seconde famille”, retrace-t-elle.
À l’école, Khookha McQueer reste dubitative face à la différenciation entre les garçons et les filles : tablier bleu pour les uns, rose pour les autres. “On me disait que j’appartenais au groupe en bleu, mais je n’avais pas de lien organique par rapport à cette affiliation.” Au milieu de la vingtaine, lors d’un épisode dépressif, Khookha McQueer s’affirme en tant qu’homme gay, puis se définit comme femme trans non binaire. Elle se genre au féminin en français et arabe pour donner une plus grande place à cette part de son identité trop longtemps oppressée.
Performer son identité en autoportraits
Après des études en école d’art, la performeuse commence à lier ses réflexions identitaires à son travail artistique, sans que la démarche ne soit réellement intentionnelle. “Les autoportraits étaient juste une façon de m’exprimer, de rendre visibles mes pensées. C’est une expression libre et spontanée, qui porte une toute petite réflexion par rapport aux codes que j’emploie. Le contexte culturel est plus ou moins dominant dans mon travail, et reflète mon attachement à mon identité et à mon environnement”, nous confie-t-elle lors d’un entretien.
Dans ses autoportraits sensuels et lumineux, la performeuse, regard mélancolique et poses lascives, exprime toute la complexité de son identité et déconstruit les codes du genre pour en effacer la binarité. “Ce corps est le sanctuaire de tout ce qui est interdit, suivant le contexte religieux on dit que c’est haram en arabe. Vous voyez tout le péché qui est ancré dans ce corps androgyne, ce corps nu, ce corps qui se veut émancipé”, poursuit Khookha McQueer sur son enveloppe corporelle, qu’elle considère comme une expérience vivante.
“La communauté queer a toujours existé en Tunisie. C’est juste une question d’invisibilisation.”
C’est d’ailleurs sur Instagram que Khookha McQueer publie ses œuvres : sur le réseau dédié à l’image, ses autoportraits trouvent une résonance dans les milieux queers et LGBTQIA+. “Ce n’est pas vraiment un choix, je me suis soumise aux contraintes et j’ai essayé de trouver un moyen de m’exprimer en dehors des lieux classiques.”
Une poignée d’années en arrière, la performeuse privilégiait Facebook, où elle publiait textes et chroniques sur les transidentités, le féminisme et les questions queers. L’artiste, qui promeut une écriture inclusive en arabe, participe en 2019 à l’écriture du premier guide de terminologie sur le genre adapté au contexte tunisien.
Textes, autoportraits, engagement militant : Khookha McQueer s’est rapidement imposée comme une figure incontournable des scènes drag, queer et féministe en Tunisie et dans le monde arabo-musulman. Mais dans un pays où l’homosexualité est passible de trois ans de prison, user de sa visibilité individuelle pour porter la voix d’une communauté implique forcément des risques.
“Il y a une légende urbaine en Tunisie qui voudrait que la communauté queer soit le produit de l’Occident. Mais elle a toujours existé, c’est juste une question d’invisibilisation. Ce qui dérange le plus, c’est que je rends visible quelque chose dont on nie l’existence. J’ai un caractère un peu kamikaze, mais je fais très attention à ma sécurité. Je me dis souvent que si jamais je suis emprisonnée ou si je perds une capacité quelconque, je ne pourrais plus aider et être efficace. Régulièrement, je disparais pour reprendre des forces.”
“Habibi, les révolutions de l’amour” est visible jusqu’au 19 février 2023 à l’Institut du monde arabe, à Paris.