Le journaliste Laurent-David Samama a choisi de romancer les derniers instants de Kurt Cobain dans son roman intitulé Kurt, paru la semaine dernière.
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Laurent-David Samama est journaliste aux Les Inrocks et pour les revues L’Optimum et La Règle du jeu. Mais avant tout, il est passionné par la musique. Il vient tout juste de sortir Kurt, son premier livre, qui traite d’un artiste qui le fascine : le leader génial et torturé de Nirvana, Kurt Cobain. Il a choisi de donner la parole à un Kurt en colère, qui monologue face à “un Caméscope” (sic). Comme beaucoup d’autres avant lui, Laurent-David Samama a tenté un exercice bien difficile : décrypter les pensées de Kurt Cobain et percer le mystère des dernières heures du martyr du grunge. Entretien.
Konbini | Qu’est-ce qui t’a le plus fasciné chez Kurt Cobain ?
Laurent-David Samama | Tout un ensemble de choses. À la fois sa trajectoire météoritique — finalement, Nirvana c’est trois albums studio et trois albums live — une carrière qui dure cinq années, pas plus ! Tout va tellement vite et pourtant, dès la sortie de Nevermind en 1991, les critiques ont l’intuition qu’il se produit un évènement majeur.
Ma fascination provient évidemment de la puissance de cette musique post-punk, sombre et pourtant poétique et la force de son message. Dans l’Amérique réactionnaire de George Bush senior, Cobain incarne le grunge ainsi qu’une certaine forme de progressisme. Il est féministe, antiraciste, pro-gay, en faveur du droit à l’avortement. Il pourfend également ce qu’il appelle “la Goinfrerie”. On a donc là, face à nous, une nouvelle vague de rock teintée de politique.
Et puis un destin furieusement romantique et romanesque. Est-ce vraiment un hasard si Kurt meurt à l’âge de 27 ans, comme d’autres héros du Club des 27 : Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et plus tard Amy Winehouse ?
Comment as-tu discerné le caractère de Kurt, sa façon de parler un peu bipolaire dans ton roman ?
Pendant une année, j’ai tout lu, tout écouté et tout vu sur Nirvana et Kurt Cobain : son journal intime, ses apparitions live, les interviews de l’époque, portraits, critiques d’albums et autres biographies plus ou moins officielles. Comme une obsession. Petit à petit, un personnage de papier s’est créé. Le problème avec Cobain, c’est qu’il parlait peu. Sur scène, il se permettait simplement de faire des petites blagues au public. En interview, il n’était pas rare qu’il laisse la parole à Dave Grohl ou Krist Novoselic, se contentant d’acquiescer ou de préciser leurs propos.
“Kurt Cobain adorait dire putain !”
Lorsque Courtney Love a surgi dans la vie de Kurt, le couple s’est mis à donner des interviews à deux. Tandis que sa fiancée faisait le job en hyper bonne cliente, Cobain restait en retrait, lisait un livre ou se levait pour prendre l’air. Il considérait la parole comme inutile. La grande difficulté de l’exercice revenait donc à transposer le phrasé d’un homme souvent silencieux.
Heureusement, son journal intime donne des clés, notamment sur ses tics de langage, la façon dont il use et abuse des énumérations, des métaphores, des références propres à son époque ou bien encore du “f-word” ! Cobain adorait dire “putain” !
Tu n’es pas le premier à tenter d’illustrer les derniers jours de Kurt Cobain. Que voulais-tu apporter en plus dans ton livre ?
Dans le film Last Days, Gus Van Sant présente un personnage proche de Cobain, un alter ego silencieux qui lui ressemble sans jamais dire qui il est. Dans mon roman, je sors volontairement Kurt de sa réserve. Il parle face caméra, dresse une forme de bilan de sa vie, se raconte avec une idée en tête : laisser un témoignage pour ne pas que sa postérité soit salie.
Dans le livre, je ne me contente pas uniquement du récit de la chute de Cobain. Il y a également le témoignage de l’ascension, le retour sur l’enfance, des explications quant à son rapport profond et sensible au monde (aux idées, à la politique notamment). C’était à mon sens incontournable. Au-delà du mouvement musical, le grunge est aussi un style de vie. Kurt le raconte bien.
La majuscule de Caméscope cache-t-elle une autre signification que le fait que ce soit un nom de marque déposée ?
Si l’on cherche une explication plus psychologique : la majuscule sert également à souligner l’importance de l’appareil dans l’esprit de Kurt Cobain. Le Caméscope s’est vite imposé dans la dispositif narratif car en fouillant dans les archives, je me suis aperçu combien la vidéo était essentielle dans la trajectoire de Nirvana.
“La vidéo le fascine autant qu’elle le terrifie”
À partir de l’année 1990, on peut suivre Cobain quasiment jour par jour, grâce aux vidéos pirates des concerts de Nirvana mais également par le biais des différentes interviews et autres films privés. Et puis il y a un fait essentiel : Nirvana émerge au moment où MTV devient la chaîne de la jeunesse. Un phénomène mondial ! Les clips de “Come As You Are” et “Smells Like Teen Spirit” vont être diffusés en boucle, faisant passer Cobain du statut d’inconnu navigant dans l’underground U.S. à celui de porte-parole d’une génération.
Ce nouveau pouvoir obtenu grâce à l’outil vidéo le fascine autant qu’il le terrifie. Quelque part, on peut dire que Cobain vient au monde grâce à l’image et disparaît par sa faute…
Qu’est-ce qui était le plus important dans ce livre : écrire l’histoire de Kurt Cobain d’une autre façon, ou explorer son esprit de Kurt Cobain ?
C’est plus précis que ça : tout ou presque est arrivé ! L’enregistrement de l’album Nevermind, l’overdose à Rome, le concert à Miami, le dernier voyage houleux à Paris… Venant de la presse rock, notamment de Rolling Stone et des Inrockuptibles, j’avais à cœur d’écrire un roman solide sur le plan factuel.
Bishxish: #Nirvana on the cover of the Rolling Stone, 1994 … http://t.co/rQFfTyioIE pic.twitter.com/Z3KzjexmKB
— Kelly B. Kapowski (@ishLVL) 14 octobre 2014
Il s’agit bien d’une œuvre littéraire même si, finalement, peu de moments sont purement inventés. Disons qu’il y a plutôt des facteurs qui déforment la perception, à commencer par le point de vue forcément subjectif de Cobain et sa forte consommation de drogues. Tout cela altère la réalité sans forcément la travestir. La liberté de l’écrivain permet de jouer sur les deux tableaux : les faits et le ressenti. Dans Kurt, je fais sans cesse l’aller-retour entre les deux.
Kurt a-t-il ses chances d’être porté à l’écran ? La construction du roman s’y prête plutôt bien…
Je souhaitais raconter Kurt Cobain comme on le voit peu, comme un héros christique et romantique, déçu par les hommes et par le monde alors même qu’il se fixe des objectifs grandioses. L’écrit me semblait être le meilleur moyen d’y parvenir. Pour le reste, l’histoire se prêterait bien à une adaptation. J’aimerais que le roman devienne une pièce de théâtre. Il faudrait trouver un acteur charismatique pour jouer Kurt Cobain. Si vous avez des idées, je suis preneur !
Kurt de Laurent-David Samama aux Éditions Plon, 208 pages.