La popularité des mangas n’est aujourd’hui plus à prouver, et les bandes dessinées nippones sont devenues une partie intégrante de la pop culture mondiale, inspirant leurs lecteurs avec des histoires toujours plus foisonnantes. Comme toutes les œuvres culturelles qui forment un socle de références partagées par des générations entières, les mangas façonnent la vision du monde de leurs spectateurs. Ces derniers tirent des leçons de vie en suivant les aventures de leurs personnages préférés, auxquels ils peuvent grandement s’identifier.
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Cependant, concernant ces œuvres japonaises, il y a un débat qui revient souvent parmi les adeptes du genre : l’ethnie des personnages. Bien que sortis de l’imaginaire d’auteurs du pays du Soleil-Levant, les protagonistes des mangas, et notamment des shonens (des histoires destinées à des garçons adolescents), sont souvent dessinés avec le teint pâle, de grands yeux, et des cheveux de toutes les couleurs : autant de traits physiques qui ne sont traditionnellement pas attribués aux Asiatiques.
(© Facebook/”Fairy Tail”)
Une partie non négligeable du public assure que les protagonistes des shonens sont en fait caucasiens, ou sont en tout cas représentés avec des traits que l’on considère comme étant caractéristiques des Blancs. Ce présupposé donne la part belle à de nombreuses suppositions quant aux raisons d’un tel choix graphique. Pourquoi les héros de manga ne paraissent-ils pas asiatiques, même lorsque l’intrigue de leur histoire se passe au Japon ? En réalité, l’existence même de cette question fait part d’un problème plus profond concernant notre rapport aux représentations ethniques dans les œuvres culturelles.
La beauté et la fantasy
Avant de dévoiler la véritable réponse à la question posée en introduction, il semble nécessaire de passer en revue les explications traditionnellement fournies par le public. Premièrement, il est vrai que les traits de visage associés aux Blancs, tels les grands yeux ou le teint pâle, sont souvent synonymes de beauté au sein de l’archipel nippon. Ainsi, de nombreux héros de mangas, dessinés pour paraître physiquement attractifs, ressemblent fatalement à des Caucasiens.
(© Crunchyroll)
Une autre explication est cependant possible : les personnages de mangas, et notamment des shonens, évoluent souvent dans des œuvres de fanatsy, et leur ethnie n’a donc aucune importance. Ces protagonistes ne sont pas dessinés pour paraître réalistes : leurs yeux démesurément grands leur donnent une expressivité accrue, et leur chevelure colorée les rend visuellement identifiables. Ce ne sont ni des Asiatiques, ni des Blancs, mais des êtres de fiction détachés du vrai monde.
Enfin, la troisième et dernière explication, la plus évidente, est que, parfois, les histoires des mangas se déroulent effectivement dans des pays occidentaux en grande partie peuplés par des Blancs. Parmi les exemples les plus connus, nous pouvons citer Fullmetal Alchemist, ou encore L’Attaque des Titans.
Fullmetal Alchemist. (© Funimation)
Si ces trois explications restent valables, elles ne justifient pas complètement pourquoi les héros de shonens ressemblent souvent à des Blancs. En réalité, si vous trouvez que les personnages de manga n’ont pas des traits asiatiques, le problème ne vient pas des auteurs mais… de vous.
Le référentiel de la blancheur
En France et dans les pays occidentaux, la plupart des gens décrivent un individu blanc via sa taille, ses traits de visage ou encore ses expressions faciales. D’un autre côté, lorsqu’on évoque une personne asiatique, on s’attarde d’avantage sur ses cheveux noirs, son teint, ses yeux en amande : en somme, autant de traits qui sont des caractéristiques propres à son ethnie.
En cela, si on demande à un Français de dessiner un Asiatique, il y a de grandes chances pour qu’il le représente en accentuant certains aspects comme les cheveux lisses ou les yeux noirs. Et si le même sujet dépeignait une personne caucasienne quelconque, il ne s’embarrasserait probablement pas à lui attribuer des particularités physiques propres aux Blancs.
En réalité, les personnages de mangas ne vous paraissent pas blancs mais… normaux. Souvent, les héros de shonens ne sont pas spécialement représentés avec des traits physiques caractéristiques d’une certaine ethnie. Or, en France, la référence de normalité étant la blancheur, les protagonistes de fiction qui ne sont pas dessinés avec des traits asiatiques marqués sont fatalement perçus comme étant caucasiens. Pour les Japonais, en revanche, ces mêmes personnages leur semblent parfaitement nippons.
Détective Conan. (© AB Distribution)
En effet, lorsque les Asiatiques se décrivent physiquement, ils s’attardent sur la taille, les expressions faciales, les traits de visage… en somme, des détails qui ne marquent pas forcément l’appartenance à une quelconque ethnie. Les dessinateurs nippons ne représentent donc pas leurs personnages de façon qu’ils soient typés asiatiques, mais seulement avec deux yeux, un nez et une bouche : comme des personnes “normales”.
De plus, lorsqu’un protagoniste de shonen est présenté avec des traits typiquement asiatiques, c’est bien souvent pour lui apporter un signe de caractérisation. Dans Naruto, le personnage de Sasuke est dessiné avec un visage particulièrement japonais pour accentuer son aspect de beau garçon.
Sasuke dans Naruto. (© Studio Pierrot)
Inversement, cette remarque selon laquelle l’ethnie des personnages de manga n’est pas représentée de manière claire pourrait également être faite aux productions culturelles occidentales. Par exemple, le super-héros Nightwing de DC Comics, tel qu’il est représenté la plupart du temps, pourrait très bien être un homme asiatique.
Nightwing. (© DC Comics)
Cette perception du public de l’ethnie des personnages de bandes dessinées a en fait été façonnée par des années de clichés. Longtemps, dans les œuvres francophones, les Asiatiques ont été représentés avec des traits caricaturaux qui les distinguaient clairement des autres personnages, installant l’idée selon laquelle ils devaient nécessairement être dessinés avec des caractéristiques ethniques exacerbées. Il paraît donc égocentrique de considérer les mangas nippons à travers le même prisme de jugement.
Enfin, en ce qui concerne les coiffures et les yeux multicolores, il semble inutile de préciser qu’ils constituent avant tout un choix esthétique, et qu’aucune ethnie ne compte des individus avec des cheveux naturellement roses ou verts. Franchement, il faudrait être sacrément borné pour trouver que la chose la moins réaliste dans une histoire de ninjas qui marchent sur l’eau et crachent du feu est que le protagoniste japonais est blond aux yeux bleus.