Le 23 octobre 1990, le groupe de rap français Suprême NTM sort son premier disque, un maxi vinyle de quatre morceaux dont le titre éponyme, “Le Monde de demain”. Produits par DJ Concepteur Détonateur S, très important pour le groupe jusqu’à leur album 1993… j’appuie sur la gâchette, ces quatre titres (trois morceaux et un instrumental) sont la pierre fondatrice du style NTM de l’époque, hyper rapide, engagé et survolté, dans la lignée de Public Enemy ou de NWA.
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Pochette du maxi “Le Monde de demain” de Suprême NTM
Les rythmiques sont saccadées, samplées pour la plupart sur du James Brown, et les paroles de Kool Shen et Joey Starr (les “acrobaties linguistiques” d’après la pochette) sont un constat amer et violent de la société vue à travers les yeux d’une jeunesse désœuvrée des années 1980. Une véritable fracture sociale et des générations qui trouve écho dans ce disque en même temps que les émeutes de Vaulx-en-Velin la même année. Trente ans après, peu de choses ont changé.
Un clip visionnaire et hors norme
Sur ce maxi 45 tours, à côté des morceaux “C’est clair” et “Le Pouvoir”, toute l’attention va se porter sur un premier clip qui va devenir légendaire, s’alliant totalement à la production où DJ S interpole la musique de Marvin Gaye, artiste engagé par excellence. “Le Monde de demain” va cristalliser les énergies créatives de ce début des années 1990 pour offrir une vidéo visionnaire et hors norme pour l’époque.
Joey Starr nous confiait en interview récemment :
“On nous a proposé plein de teasers et de démos pour réaliser ce premier clip, souvent des gens qui venaient de la publicité. Au final, on a choisi Stéphane Sednaoui sur une pub pour des bottes de cow-boys, des camarguaises. C’était juste un fond noir avec une sorte de portant à chaussures qui tournait en spirale.
On l’avait choisi pour ça alors qu’il n’avait jamais réalisé de clips ou autres, pour te dire à quel point on voulait faire chier les gens (rires). Après je connaissais son excellent travail de photographe, je traînais pas mal déjà dans le milieu de la mode, je connaissais Jean-Baptiste Mondino (qui assure les photos du maxi, ndlr) et tout ça.
Avec le groupe, on voyait bien que Stéphane pouvait faire quelque chose de super léché avec notre musique. On se devait d’avoir une image forte et contrastée qui aille avec l’énergie et la rage qu’on mettait dans notre musique à ce moment-là.”
Stéphane Sednaoui réalise ainsi son premier clip avec “Le Monde de demain” de NTM et apporte cette vision en noir et blanc très graphique, accompagnée du stylisme de Jean-Paul Gaultier sur certaines tenues. La vidéo se veut ainsi au croisement de deux mondes, celui de la rue et celui de la mode, dans une vue de l’esprit proche de la science-fiction. Ce minimalisme sert une nouvelle fois le propos très fort des deux rappeurs, entre coup de poing engagé et espoir pour les jeunes.
Ce clip lancera la carrière incroyable de Sednaoui dans cette discipline. Passionné, il enchaînera dans le début des années 1990 avec Red Hot Chili Peppers (l’incroyable “Give It Away”), U2, Madonna, Björk ou encore MC Solaar pour “Nouveau western”. Le clip “Le Monde de demain” marque donc une pierre angulaire du lancement de plusieurs carrières, à la fois musicales et visuelles.
Joey Starr complète : “Dès notre premier clip, c’était déjà des tournages à rallonge avec beaucoup de décors et de budget. Je me souviens de deux ou trois jours de tournage pleins, de 8 heures à 21 heures. Je me disais un peu bêtement que c’était chiant de passer autant de temps à tourner une vidéo qui va durer moins de cinq minutes au final. Je me suis dit direct que je détestais faire des clips (rires). Je devenais insupportable sur le plateau, pas parce que j’avais la grosse tête mais parce que je me faisais chier. Et que je ne voulais pas comprendre ce que je foutais là.”
Pochette arrière du maxi “Le monde ou rien” de NTM avec Kool Shen, Joey Starr et DJ S sur une photo de Jean-Baptiste Mondino
L’avénement d’une histoire collective
Avec les quatre pistes, ce premier maxi 45 tours Le Monde de demain est l’accomplissement d’une montée en puissance du groupe NTM à la fin des années 1980, omniprésent sur les murs et les trains avec leurs tags et graffitis “93NTM” mais aussi dans tous les concerts, freestyles et open mics à travers la capitale.
Même si les rappeurs, déjà identifiés et bientôt stars, sont Kool Shen et Joey Starr, le collectif est tentaculaire, œuvrant dans toutes les disciplines du hip-hop, de la danse (avec notamment Yazid, futur rappeur de “Je suis l’arabe” en 1996) au graffiti (qu’on retrouve sur la pochette du maxi signée Mode 2, KayOne et Kea) en passant par le djing (superbe séquence de DJ S dans le clip), une vraie famille soudée qu’on retrouve en photos dans le livret de ce premier disque. Les trois lettres NTM sont alors sur toutes les bouches.
Pochette intérieure du maxi “Le Monde de demain” de Suprême NTM
Le maxi Le Monde de demain sort quelques mois après la première compilation de rap français, Rapattitude, où le groupe originaire de Seine-Saint-Denis s’est fait remarquer avec un morceau puissant, “Je rap”.
C’est le premier titre de la face B de la cassette, une place de choix sur cette compilation mêlant alors tous les talents de la scène reggae, ragga et rap de France avec Assassin, Tonton David, Dee Nasty, Saï Saï ou encore EJM. “Je rap” va devenir un des titres qui va garder une aura particulière dans ces débuts du rap en français sur disque. Une véritable rampe de lancement pour NTM et Le Monde de demain juste après.