Fin 2013, le monde du rap français découvre un nouveau rookie avec le morceau “Sort le cross volé”. Cet artiste, c’est JuL. Sauf qu’à ce moment-là, personne ou presque ne peut encore imaginer que celui-ci va devenir l’une des figures les plus importantes de la scène française pour les années à venir.
En 2014, le phénomène prend encore plus d’ampleur avec un premier album nommé Dans ma paranoïa, désormais disque de platine, qui inclut le premier hit solo de la carrière du J. Le tube éponyme passe en boucle sur Skyrock et le rappeur marseillais fait alors figure d’espoir parmi une scène française qui compte une multitude de talents en devenir.
Sorte de Gucci Mane français de par sa capacité à multiplier les projets, JuL affiche déjà sa productivité exceptionnelle dès l’année 2014 : la mixtape Lacrizeomic connaît un très beau succès et renforce sa réputation, tandis que son deuxième album, Je trouve pas le sommeil, affiche de très beaux chiffres et lui permet de poursuivre sereinement sa progression.
En 2015, il expose sa générosité avec un premier Album gratuit bien nommé et dévoile quelques semaines plus tard ce qui est déjà son troisième album studio solo, Je tourne en rond. Le rappeur marseillais, alors âgé de 25 ans, passe un véritable cap dans sa carrière. L’album se classe numéro 2 en France et conforte un peu plus JuL dans son statut d’artiste populaire boudé par la critique.
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Un cap crucial
Mais le véritable tournant de la carrière du sang de la veine sera bien le projet suivant. Peu après la sortie de Je tourne en rond, il quitte Liga One Industry, le label de ses débuts qui l’a recruté en tant que producteur puis comme membre du collectif Ghetto Phénomène, et qui a produit ses trois premiers efforts solo. En cause, des différends financiers avec des membres du label.
Bref, JuL se retrouve alors seul, mais dans une position idéale avec sa musique innovante mais humble, simple mais efficace, déjà prisée du public. L’artiste en profite donc pour goûter aux joies de l’indépendance et fonde son propre label, D’or et de platine. Un hommage aux quelques certifications glanées en cours de chemin par le rappeur.
L’artiste phocéen dévoile My World le 4 décembre 2015 – tout comme l’excellent Nero Nemesis de Booba, l’album Le Rohff Game et la réédition du disque Feu de Nekfeu. Cependant, c’est bien JuL qui va tout rafler avec son quatrième album studio, le faisant passer de rappeur prometteur à superstar du rap français, bien malgré lui. Il renforce considérablement son identité et devient une sorte d’emblème de la cité phocéenne, au même titre que le Vieux-Port, Notre-Dame-de-la-Garde et la bouillabaisse. Surtout, il renouvelle totalement la proposition artistique du rap local, toujours attaché aux fantômes d’IAM, de la Fonky Family ou encore des Psy 4 de la rime.
Hitmaker en puissance
Si l’album est relativement indigeste en tant que tel à cause de sa densité conséquente (21 pistes et plus d’une heure d’écoute) et de l’absence de réel fil conducteur ainsi que de direction artistique, My World brille grâce à ses tubes redoutables, créatifs et complètement décomplexés. L’auditeur y trouve ainsi à boire et à manger, mais il y pioche les titres qui lui plaisent le plus. Une méthode particulièrement adaptée aux playlists des plateformes de streaming alors en pleine expansion. En cela, ce disque est un laboratoire sur lequel JuL expérimente et affûte un sens du hit qui va devenir sa marque de fabrique.
Musicalement, JuL s’affranchit ainsi de tous les carcans du rap de l’époque pour créer son propre style. Avec My World, un album entièrement enregistré dans sa fameuse cabane forestière, le rappeur incorpore encore plus de chant qu’auparavant dans sa musique, notamment grâce à une utilisation de l’auto-tune toujours déroutante aux premières écoutes et pourtant de mieux en mieux maîtrisée, ainsi que des mélodies davantage travaillées. Et il en est bien conscient, comme il le dit dès le second morceau “Dans la légende” : “Le rap a changé […]. Je suis venu, j’ai vaincu et j’ai créé un style de musique d’extraterrestre.”
On peut d’ailleurs noter que sortir un titre “Dans la légende” avant PNL mais après la FF, il fallait le faire. On retrouve d’ailleurs dans ce morceau un procédé que JuL affectionne énormément, puisqu’il y reprend brièvement un hymne populaire (“Au clair de la lune”), technique qu’il utilise encore régulièrement aujourd’hui. Ce sera également le cas, quelques semaines plus tard, du morceau “My World”, présent sur la réédition du projet, qui n’est autre qu’un remix bien à lui de “Barbie Girl” du groupe Aqua.
Des roues arrière, de l’espagnol et de la weed
Sur cet album, JuL propose des rythmiques ensoleillées et festives (“Mamasita”, “La Gâchette”, “Lova”, “Mama”, “Comme d’hab” avec Alonzo…) aux inspirations latines évidentes, tant musicales que lexicales. Mais aussi “Wesh alors”, qui va devenir une chanson incontournable et reste l’un de ses plus gros tubes aujourd’hui. “Dans le game en claquettes, dans le carré VIP en survêt.”
“En Y”, toujours l’un de ses meilleurs morceaux à ce jour, développe tout l’univers de l’artiste et traduit parfaitement la nouvelle dimension prise par le chanteur. Avec le soutien des joueurs évoluant alors à l’Olympique Marseille, puisqu’on peut apercevoir Rémy Cabella cagoulé dans le clip de ce titre, tandis que Benjamin Mendy s’invite sur l’outro “Mercé”.
Sur “Amnésia”, introduction du projet, JuL cultive son sentiment d’isolement et sa différence, et l’évoque explicitement à travers sa consommation de cannabis. Un fil rouge de la carrière du Marseillais, qui apporte tout de même quelques touches plus sombres et moins enjouées sur My World que ce que peut proposer le J aujourd’hui (“Dans l’appart”, “C’est réel”).
Le succès est immédiat et dépasse toutes les attentes. JuL parle aux prisonniers (“Pour les taulards”) et ambiance les bourgeois grâce à sa musique accessible qui touche absolument toutes les couches de la société. Cependant, son style est décrié, considéré par certains comme musicalement faible et lyriquement pauvre. Les critiques sur son appropriation de la langue française sont aussi nombreuses que faciles, et cachent très souvent un simple mépris de classe.
Le plus gros succès du J à ce jour
Car cet album est avant tout l’œuvre d’un artiste certes hyper-productif, mais surtout d’un travailleur acharné qui ne doit son succès qu’à lui-même. Ovni du rap français, JuL atteint des sommets et obtient un disque d’or en trois jours. Pour la première fois, il classe son album à la première position des charts en France.
My World demeure l’album le plus vendu de sa discographie avec plus de 545 000 exemplaires écoulés, certifié disque de diamant par le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) – bien aidé par une réédition à la tracklist retravaillée sortie trois mois plus tard et contenant d’autres singles qui ont connu de belles réussites commerciales : “Coucou”, “Elle te balade” ainsi que le morceau éponyme évoqué plus haut. Encore plus fort que les deux blockbusters qui vont suivre, Émotions et L’Ovni, qui ne sont “que” triple disque de platine – même s’ils devraient tous les deux devenir disques de diamant prochainement (470 000 ventes pour le premier et 485 000 pour le second).
Pour la première fois sur le trône du rap game tricolore avec My World, toujours son seul album disque de diamant, JuL va prendre goût à cette position de numéro un. Cette habitude va même lui coller à la peau puisque sur ses neuf albums solo sortis depuis – sans compter les albums gratuits –, pas moins de six vont être numéro un en France dès leur sortie.
De quoi faire de lui en février 2020, à seulement 30 ans, le plus gros vendeur de l’histoire du rap tricolore avec plus de 4 millions d’albums écoulés depuis le début de sa carrière solo en 2013. Une performance qui lui permet de dépasser des légendes comme MC Solaar, Gims ou Booba, et des figures historiques du rap marseillais telles que IAM et Soprano.
My World a permis d’imposer définitivement le style singulier de JuL, et va presque en faire une norme du rap francophone. L’influence de ce disque est énorme. Les morceaux “à la JuL” sont depuis légion, et les artistes inspirés par le succès de Julien Mari, de son vrai nom, ne se comptent plus (coucou Naps). Un exploit – en totale indépendance s’il vous plaît – de la part d’un rappeur toujours décrié, mais au succès unique et qui n’est jamais rentré dans une guerre d’ego qui a flingué plus d’une carrière. Le cœur à Marseille, la tête dans les nuages.