Ludovic Nkoth se souvient d’une journée marquante de son existence, alors qu’il n’avait que 14 ans. Réveillé auprès de sa mère au Cameroun, il s’est endormi le soir aux États-Unis, devenant d’un coup un “Afro-Américain” : “La classification des corps selon la couleur de leur peau n’était pas discutée au Cameroun – nous étions juste des êtres humains, occupant l’espace. C’était la première fois que la couleur de ma peau affectait qui j’étais”, confie-t-il sur son compte Instagram.
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Depuis, le peintre interroge son identité, le racisme et les migrations. Pour sa dernière série, exposée en ce moment à la Luce Gallery de Turin, le peintre a quitté son studio new-yorkais pour le vieux continent. You Sea Us met en images les innombrables vies perdues de personnes quittant le continent africain pour l’Europe, “à la recherche d’espoir et de lendemains meilleurs”.
Ludovic Nkoth, “The Last Note”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Mettre l’Europe face à son passé et, surtout, son présent
En représentant la détresse de ces personnes qui ont perdu la vie en mer, Ludovic Nkoth met en exergue la responsabilité des pays colonisateurs : “Ces migrations sont directement causées par certaines des choses atroces perpétrées sur nos terres et nos peuples ; mais maintenant, le continent européen ne veut plus rien avoir affaire avec les ‘dégâts’ qu’il a causés”, souligne-t-il.
En réponse au colonialisme européen, la série a été créée en Europe : “Je voulais voyager en Europe et réaliser ces œuvres sur le sol européen pour leur montrer tout ce qu’ils refusent de voir quand ça se trouve pourtant juste sous leur nez. J’ai vécu en Espagne deux mois lors de la pandémie parce que je voulais ressentir ce que cela faisait de marcher dans cette partie du monde en tant que migrant noir.”
Ludovic Nkoth, “Passenger #2”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
“Une des plus grandes tragédies du siècle”
Dans les peintures de Ludovic Nkoth, les tons bleu et vert d’eau – habituellement symbole de vie et d’espérance – saturent l’espace. Les ondulations de son pinceau s’étirent des remous de la mer jusqu’aux visages de ses sujets, funestes reflets “d’une des plus grandes tragédies du siècle”, comme le dit l’artiste. “La situation des droits humains des migrants et des réfugiés en mer Méditerranée est désespérante et dangereuse, et le nombre de vies perdues entres les mains des autorités européennes est injustifiable.”
À Turin, ses acryliques sur toile sont exposées aux côtés de ses masques en bois. Chaque œuvre mesure plus d’un mètre de haut, certaines avoisinant les deux mètres. Les visages, plus imposants que nature, prennent à partie le public pour marquer les drames qui ont lieu chaque jour et chaque nuit sur nos côtes, de plus en plus silencieusement.
Ludovic Nkoth, “The Light in Me”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Do They Hold Me Down”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Lighthouse”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Untitled Mask #5”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Untitled Mask #4”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Untitled Mask #6”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
Ludovic Nkoth, “Untitled Mask #7”, 2020. (© Luce Gallery, Turin)
La série You Sea Us est exposée à la Luce Gallery de Turin jusqu’au 20 avril 2021. Vous pouvez retrouver le travail de Ludovic Nkoth sur son compte Instagram et sur son site.