Depuis 150 ans qu’il existe, le rituel de la photo de classe continue d’être un calvaire pour bon nombre d’écolier·ère·s aujourd’hui. Se présenter sous le flash d’un appareil photo peut intimider, voire angoisser des élèves peu à l’aise. La séance photo ne dure généralement jamais bien longtemps, alors on passe vite à autre chose, on oublie, et on parcourt avec curiosité les portraits imprimés sur du papier glacé une fois à la maison. Mais que doit penser un·e enfant si, en tombant sur sa photo, il découvre avec stupeur que son visage a été retouché ?
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Les services de retouche de photos de classe sont de plus en plus pointés du doigt, notamment aux États-Unis. Comme le rapporte le New York Post, Jennifer Greene, la mère d’une élève de 12 ans, a récemment dénoncé les méthodes de l’entreprise Lifetouch sur Twitter :
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“Il va falloir que quelqu’un m’explique pourquoi Lifetouch offre des retouches de photos pour des photos de classe d’enfants ?! C’est quoi ça ?!”, s’indigne-t-elle. Le site propose en effet plusieurs offres de retouche : pour 7 dollars, une formule “basic” qui retire les imperfections de la peau ; pour 12 dollars, une formule “premium” qui blanchit les dents, uniformise le teint, retire les imperfections de la peau et les cicatrices.
“Ça apprend à nos enfants qu’ils ont besoin d’avoir l’air parfait tout le temps, et qu’ils peuvent changer en un clic”, déplore Greene, qui n’a jamais reçu de réponse de la part de Lifetouch. Cette entreprise basée au Minnesota offre des services de photographie de classe pour les enfants de la maternelle au secondaire, depuis plus de 80 ans, partout aux États-Unis.
L’institution avait déjà été critiquée l’année dernière par une autre maman d’élève : Kristin Loe. Contrairement à Jennifer Greene, elle avait bien choisi de faire appel au service de retouche “basic” de l’entreprise – c’est-à-dire celui destiné au retrait d’imperfections de la peau. Quelle n’a pas été sa surprise quand elle a constaté que les petites taches de rousseur qui constellaient le visage de son fils Kieran avaient subitement disparu, les reléguant ainsi au rang d’imperfections. Une erreur qu’elle n’a pas manqué d’exposer sur Twitter :
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“À gauche, l’été, à droite, l’automne. Lifetouch, est-ce que je peux ravoir ses taches de rousseur, s’il vous plaît ? […] Ne changez pas ce qui se trouvent être les caractéristiques du visage d’un enfant”, a-t-elle ainsi tweeté le 17 novembre 2020. Lifetouch lui a alors renvoyé une nouvelle version du portrait de son fils, avec un visage intact et naturel.
Mais ces méthodes soulèvent plusieurs questions : comment peut-on juger ce qu’il y a de parfait ou d’imparfait dans le physique d’un enfant ? Assiste-t-on à la création de standards de beauté ubuesques chez les plus jeunes ? Si certain·e·s le suggèrent, c’est toujours en demi-teinte ; ces services de retouche adoptent des discours contradictoires.
Lifetouch précisait ainsi sur son site : “Ne vous souciez pas de la ‘perfection’ ! Ces cheveux qui rebiquent toujours ou cette dent manquante montrent votre enfant tel qu’il est maintenant – et vous serez heureux de vous en souvenir au fil du temps.” Venez comme vous êtes… mais pas trop non plus.
Cette norme de beauté ne s’arrête pas aux traits du visage, mais porte aussi préjudice aux personnes atteintes de handicap. Sur son compte TikTok @DeafTimes3AndMe, la maman de deux enfants sourds a révélé que les appareils auditifs de son fils de 3 ans avaient disparu de sa photo de classe.
Certains commentaires tentent de trouver une explication : peut-être est-ce la couleur verte de ces appareils auditifs qui a pu être confondue avec le fond vert du studio pendant la retouche ? Erreur volontaire ou non, il n’empêche qu’à aucun moment, la maman n’a été consultée sur cette décision validiste.
@deaftimes3andme Maybe it was the lighting with new ear molds? ##sahm ##sahd ##mom ##deaf ##hearingaids ##asl ##schoolphoto ##photoediting ##greenscreen
♬ Listen - Official Sound Studio
“Que feriez-vous si l’école retouchait la photo de vos enfants en retirant leurs appareils auditifs ?”, demande-t-elle dans la vidéo. Dans les commentaires, d’autres parents témoignent : les services de retouche d’images auraient aussi effacé le fauteuil roulant ou les hémangiomes de leur enfant… Parfois, c’est au moment de la prise de vue que les photographes demandent aux élèves de retirer leurs lunettes, appareils et prothèses auditifs.
À terme, ce réflexe de retoucher les photos de classe est nocif pour la perception des enfants et leur rapport au corps, selon la pédopsychiatre Yamalis Diaz, interrogée par le New York Post. En pleine phase de croissance, alors que les enfants apprennent à découvrir leur corps et ce qui les entoure, ces abus peuvent provoquer anxiété, dépression, troubles alimentaires et dysmorphophobie. “Au lieu d’accepter ses caractéristiques physiques, ses handicaps, ses traits, son apparence, on est supposé les arranger ou les cacher. C’est un message dangereux.”
Alors que les Facebook Files révélaient il y a quelques semaines la toxicité d’Instagram et son impact négatif sur l’image que les ados ont de leur propre corps, il semblerait que les photos de classe constituent le nouveau champ de bataille pour la préservation de la santé mentale chez les plus jeunes.