Entre cinéma et jeu vidéo, ça n’a jamais vraiment été le grand amour. Plus de 20 ans après Super Mario Bros., on attend toujours le film qui mettra tout le monde d’accord, comme ont pu le faire le Batman de Tim Burton et le Spider-Man de Sam Raimi pour les films tirés de comics. Voici des pistes pour y arriver.
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Des dizaines et des dizaines de jeux vidéo ont tenté l’aventure du grand écran, avec peu ou prou le même résultat : un échec public et critique. Pour vous donner une petite idée du chantier qui attend toujours Hollywood, aucun film ne dépasse les 44 % d’avis favorables sur le site de critiques Rotten Tomatoes, quand on atteint difficilement 58 % du coté de Metacritic. Même si ces notations sont à prendre avec des pincettes, elles donnent une idée du chemin qu’il reste à parcourir.
Du côté du box-office, même si la franchise Resident Evil portée par Milla Jovovich a su prouver sa rentabilité – avec 1,2 milliard de dollars engrangés en six films –, le récent Warcraft est le seul à dépasser les 430 millions de dollars dans le monde, et on reste un peu loin du raz-de-marée populaire. Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer – les futures adaptations de licences vidéoludiques qui arrivent étant là pour le prouver. Si l’espoir est permis, acteurs et observateurs du cinéma et du jeu vidéo proposent des idées qui redonnent envie de payer sa place de ciné.
Jordan Vogt-Roberts – le réalisateur de Kong : Skull Island qui a été choisi par Hideo Kojima en personne pour l’adaptation de Metal Gear Solid – a ainsi livré dernièrement au site SlashFilm son opinion assez tranchée sur les adaptations actuelles, mais également quelques pistes intéressantes pour l’avenir :
“Il n’y a pas eu de bon film de super-héros pendant longtemps, et il a fallu attendre des réalisateurs qui avaient grandi sous l’influence des comics comme Sam Raimi, qui aimait vraiment Spider-Man. Il a fallu des gars qui ont grandi avec des influences de bande dessinée et qui sont de bons cinéastes pour enfin s’attaquer à ça.
Je pense que vous avez maintenant des gens comme Dan Trachtenberg [réalisateur de 10 Cloverfield Lane et du court-métrage Portal : No Escape] et une poignée de gars comme moi qui ont grandi avec Zelda et Metroid. Parce qu’il y a une logique dans les jeux vidéo. Il y a une langue particulière. Et je ne pense pas qu’il y a déjà eu avant une vague de réalisateurs ayant été formatés de la sorte.”
Sans doute qu’avec l’arrivée de réalisateurs ayant grandi avec une manette en main ces adaptations seront mieux considérées et de meilleure qualité, comme ce fut le cas pour les films de super-héros. Mais n’en déplaise à Jordan Vogt-Roberts, c’est déjà le cas avec des réalisateurs comme les Wachowski (Matrix, Speed Racer) ou Edgar Wright (Scott Pilgrim ), qui ont produit des œuvres fortement influencées par le jeu vidéo. Si la question d’un problème de génération est pertinente, elle ne résout pas tout et il faut pousser la réflexion un peu plus loin.
Alexis Blanchet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle Paris 3 , et auteur des ouvrages Des pixels à Hollywood (Pix’n Love, 2010) et Les Jeux vidéo au cinéma (Armand Colin, 2012), rappelle quelques réalités :
“Il ne faut pas se tromper : les adaptations ne sont pas faites que pour les joueurs, mais d’abord pour les spectateurs de cinéma. Car l’objectif des producteurs est moins de faire des bonnes adaptations que de bonnes productions cinématographiques, comme le prouve la franchise des Resident Evil.”
Le chercheur a néanmoins quelques idées pour que les adaptations du genre changent de catégorie et brisent le carcan qui les cantonne encore au seul plaisir coupable :
“Le jeu vidéo reste un mauvais objet au regard de la culture dite légitime, et la critique aura toujours du mal à penser qu’il peut donner un bon film. Une des hypothèses pour élever la qualité des adaptations est peut-être de convaincre des réalisateurs qui ont une griffe et un talent de s’y intéresser pour transposer l’expérience au cinéma, et atteindre un nouveau palier qualitatif.
L’adaptation de jeu vidéo reste encore attachée à un type de film de ‘série B’, et a tout à gagner à monter en gamme en attirant acteurs et ‘faiseurs’ talentueux.”
David Peyron, docteur en sciences de l’information et de la communication et auteur de Culture Geek (FYP Editions, 2013), déplore quant à lui les mauvaises habitudes prises par les studios :
“Les producteurs adaptent des jeux en pensant capitaliser sur une grosse fanbase existante, dès lors ils se reposent là-dessus, et sur du fan service un peu facile [comme le montre la scène à la première personne du film Doom].
L’une des solutions est la même que pour toute adaptation : il faut plus se concentrer sur un univers dans lequel de bonnes histoires peuvent être imaginées, de tenter de retranscrire un ressenti, que de vouloir à tout prix faire plaisir aux seuls fans, ou être fidèle à la logique ludique, car c’est le meilleur moyen de faire des films bancals.
Le problème est que les liens esthétiques sont très forts entre cinéma et jeu vidéo, et les synergies transmédiatiques entre les deux empêchent souvent de voir à quel point la logique narrative n’est pas du tout la même.”
Et si on passait par la télé ?
S’éloigner du matériel original, pour mieux l’adapter ? Une stratégie qui a prouvé son efficacité avec des films comme Blade Runner, qui s’éloignait esthétiquement du roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick, ou Apocalypse Now, qui reprenait la trame de la nouvelle Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, en transposant l’intrigue de l’Afrique noire à la fin du XIXe siècle à la guerre du Vietnam. Sur ce point, Alexis Blanchet rejoint David Peyron et propose de contourner le problème en s’éloignant du grand écran :
“La difficulté est dans la différence d’expérience. Si vous jouez à Bioshock, vous allez y jouer 15 heures, quand un film dure deux heures en moyenne. L’immersion dans l’univers de fiction et le récit ne sont forcément pas les mêmes. Dès lors, il faut arrêter d’essayer de transposer telle quelle cette expérience.
La télévision est peut-être plus apte à l’adaptation du jeu vidéo, car c’est un format qui, par sa durée et ses développements feuilletonnant, invite l’usager à une immersion dans la durée. Mais tout reste à imaginer, il y a des très bons conteurs au cinéma, et ça passe fondamentalement par un changement de statut au sein de la production cinématographique.”
Problème de génération, d’expérience, de format, de statut… Le jeu vidéo au cinéma a toutefois de beaux jours devant lui, comme on en parlait dans notre précédent article sur les futures adaptations. Pour qu’il y ait des changements, il faut juste que l’industrie cinématographique change son regard sur le média. Heureusement, la machine est déjà en marche. Même Netflix s’y met, avec des séries adaptées de Castlevania et Assassin’s Creed en préparation.