Les années passent, les musiques évoluent. Une maxime qui se révèle d’autant plus vraie avec le temps, quand elle concerne les musiques “jeunes”, qui ont émergé dans les années 1990 et les décennies qui ont suivi. C’est le cas, entre autres, du rap. Ce n’est pas un hasard si ce dernier n’a jamais été aussi éclectique et ouvert à de nouvelles propositions.
À voir aussi sur Konbini
C’est exactement ce qui arrive au hardstyle, sous-genre de la techno hardcore, hérité de l’apogée du gabber hollandais dans les nineties. Celui-ci a véritablement explosé dans les années 2000, et ainsi donné naissance à tout un tas de nouveaux genres de musiques électroniques de la vaste scène hardcore.
Pour commencer, si ces notions vous sont inconnues, à quoi cela ressemble concrètement ? Voici quelques exemples caractéristiques – à écouter sur des enceintes de préférence.
Hardstyle :
Gabber :
Ces genres aspirent aujourd’hui à toucher toutes les couches de la scène musicale française. De plus en plus popularisées dans l’Hexagone depuis le milieu des années 2010, ces musiques de fête puissantes que sont le hardstyle et le gabber inspirent des artistes tous azimuts, donnant naissance à des hybridations et mélanges des genres nouveaux. De quoi ouvrir de grandes brèches dans une scène musicale française en quête de nouveaux horizons, où quelques artistes n’ont pas hésité à s’engouffrer pour offrir des morceaux inédits. Comme en témoignent ces quelques exemples frappants, où hardstyle et gabber s’entremêlent avec des musiques bien plus ancrées dans la tradition française.
Le hardstyle, enfin mainstream ?
L’exemple récent le plus frappant, c’est sûrement celui du groupe parisien Bagarre. Avant la sortie de son deuxième album 2019-2019, en octobre dernier, le collectif dévoile “Au revoir à vous”, deuxième track du projet. L’inventivité des membres de Bagarre a toujours fait la force de leur musique, et ils ne sont jamais les derniers pour tenter d’innover – étant sûrement l’un des groupes français les plus “éduqués” musicalement – et offrir des propositions en perpétuel mouvement.
Une nouvelle fois, ils réussissent leur coup et démontrent toute l’étendue de leur imagination, avec ce morceau surprenant d’à peine trois minutes. Avec des kicks distordus, des grosses basses et une rythmique entêtante, “Au revoir à vous” se révèle être un titre typique de hardstyle – notamment dans la construction du morceau. Le résultat a de quoi déconcerter.
Si le hardstyle est souvent pourvu de voix, il s’agit bien souvent de remix entiers d’autres chansons, de samples, parfois de références cinématographiques ou télévisuelles, ou tout simplement de “voice packs” (qui ont d’ailleurs tendance à être massivement utilisés dans les sons hardstyle, quitte à utiliser les mêmes). Ici, le groupe propose ses propres paroles, ainsi que sa propre interprétation. Un exercice peu évident, mais particulièrement intéressant, qui n’a pas semblé trop décontenancer le public de Bagarre. Si l’on se penche sur les chiffres de 2019-2019 sur Spotify, on remarque que “Au revoir à vous” est de loin le deuxième morceau le plus écouté sur la plateforme suédoise. Mais, peu importe le résultat, c’est davantage la démarche qui intéresse et interroge.
Rap et techno hardcore, une combinaison gagnante
Une initiative semblable à celle entreprise par le rappeur Hyacinthe – lui aussi grand amateur d’expérimentations –, qui a passé le cap quelques années plus tôt. En 2017, pour signer son grand retour, le jeune artiste dévoile le bouillonnant “Sur ma vie”. Un morceau alors qualifié de “rap gabber” par la presse au moment de sa sortie, qui a la particularité de présenter des kicks propres au gabber et une mélodie épique, digne des tracks de hardstyle des grands DJ européens dans ce registre.
Très bon exemple d’artiste épousant des styles musicaux pas forcément conçus pour aller ensemble, Hyacinthe fait partie de ceux qui rendent les frontières entre les genres musicaux de plus en plus poreuses. Sur son deuxième album, dévoilé en 2019, il va encore plus loin. Il n’hésite plus à allier une esthétique underground, inspirée de la teuf et emprunte même son vocabulaire avec un projet nommé RAVE. En fil rouge, toujours cette influence électronique et techno, comme en témoignent les kicks bien gras de l’outro enflammée “Ultratechnique”.
Un aspect qui peut paraître singulier aux premiers abords, mais qui s’avère toutefois logique lorsqu’on se penche sur le parcours du jeune homme. En effet, Hyacinthe est membre du collectif DFH DGB, où l’on retrouve le rappeur L.O.A.S, certes, mais surtout le DJ et producteur Krampf. Ce dernier n’est autre qu’un membre des… Casual Gabberz, collectif parisien qui remet au goût du jour un gabber “made in France” digne de ce nom, depuis quelques années déjà.
Casual Gabberz, garant du gabber parisien
Car c’est bien ce crew, avec qui nous avons pu échanger lors du festival de Dour l’été dernier, qui est à l’origine de tous les changements actuels. La combinaison entre rap et techno hardcore a déjà plusieurs années derrière elle et porte même un nom officieux : le frapcore. Une alliance folle de deux musiques puissantes et revendicatives, que l’on doit à l’un des cofondateurs de Casual Gabberz. J’ai nommé Evil Grimace, que l’on avait eu l’occasion de rencontrer il y a un peu plus d’un an pour discuter de cet étonnant phénomène.
Il est le premier à avoir lâché des morceaux créés sur des bases de rap français old school, en y ajoutant des kicks typiques du gabber, comme le prouve l’avant-gardiste titre “3L”, avec un sample du morceau (fabuleusement nommé) “Moi aussi, je veux baiser la p*te de la république”, de LIM. Du bon gros rap bien ter-ter donc, qui en a inspiré plus d’un. Derrière, d’autres membres du collectif lui ont emboîté le pas. On peut notamment penser à son compère Von Bikräv, qui a sorti son très bon album 100% Bibi l’année dernière. Une belle réussite, qui démontre que le frapcore peut se décliner sous plusieurs formats et être pleinement exploité, autrement que sur des compilations, mixtapes et autres morceaux isolés.
Le regain de popularité du gabber
Parmi les autres membres du crew francilien, on retrouve également Paul Seul. Un artiste qui a lancé un autre projet de son côté, avec la chanteuse française Mathilde Fernandez, nommé Ascendant Vierge. Dans un style beaucoup plus gabber classique, ce groupe à deux têtes étonne et détonne depuis la parution du premier résultat de leur collaboration, en juillet dernier : “Influenceur”. Un morceau où la magnifique voix (digne d’un opéra) de Mathilde Fernandez s’envole progressivement, entre obscurité et lumière, sur les beats furieux et hypnotisants de Paul Seul.
En décembre dernier, les deux artistes en remettent une deuxième couche avec “Faire Et Refaire”, où la combinaison se révèle toujours aussi efficace. À coup sûr l’association de genres, avec de la hard music, la plus réussie et pertinente à ce jour. Celle-ci apporte une nouvelle dimension artistique à un style souvent décrit – à tort – comme de la musique boum-boum de “neuneu”, faite pour se péter le crâne en soirée. Des morceaux “ultra-techniques”, comme dirait Hyacinthe, puisqu’il est essentiel que les kicks ne soient pas trop présents pour que la voix s’exprime, mais qu’ils le soient assez pour garder l’intérêt de recourir au gabber. Tout un travail d’équilibriste, qui peut basculer d’un moment à l’autre dans une forme d’outrance. Cette collaboration, pas forcément évidente sur le papier, a débuté par le remix fougueux du théâtral morceau “Oubliette” de Mathilde Fernandez. Depuis, le duo franchit à son rythme les étapes et s’apprête à sortir son premier projet en commun, attendu prochainement.
Un échange gagnant-gagnant
D’autres DJ, bien plus mainstream, sont également attirés par cette tendance émergeante. On peut notamment penser au squelette le plus célèbre de France, l’hyperactif Vladimir Cauchemar. En avril dernier, il dévoilait son tout nouveau titre “(G)RAVE”. Une piste pourvue des célèbres flûtes qui ont fait sa réputation, mais aussi d’une seconde partie de morceau qui tendait vers des sonorités bien plus brutes. Et pour cause, le bougre masqué s’est lui aussi livré à l’exercice délicat du hardstyle, avec une belle justesse. On remarque d’ailleurs la différence bien distincte à partir de 1 min 40, moment à partir duquel les kicks sont bien identifiables.
Preuve supplémentaire que le hardstyle et le gabber deviennent de nouvelles possibilités à explorer pour de nombreux artistes, et se détachent de leur image de musiques encore très cantonnées aux férus de la scène hollandaise et à certains teufeurs de rave ou free party. Au fil des mois, les verrous sautent les uns après les autres. Ce grand carrefour des genres musicaux présente d’ailleurs de nombreux avantages. On peut y retrouver une voix, rendant les musiques techno et électronique plus accessibles aux novices, mais aussi le côté teuf et “vénère”, que recherchent tant les amateurs de ces musiques. De quoi offrir de nouvelles perspectives, comme un deal que l’on décrierait comme “gagnant-gagnant”.
D’autant plus que les hybridations conviennent davantage à un public de plus en plus attiré par les extrêmes et qui, grâce aux plateformes comme SoundCloud, présente des profils d’auditeurs bien plus éclectiques qu’auparavant. Le constat est simple. Que ce soit la variété, le rap, la pop ou le DJing, la musique française cède de plus en plus à la tentation que représente la hard music.