Ghost in the Shell : eh non, ce n’était pas du whitewashing !

Ghost in the Shell : eh non, ce n’était pas du whitewashing !

Dès que la première image de Scarlett Johansson dans le remake de Ghost in the Shell a été diffusé, les fans ont hurlé au sacrilège. Après avoir vu le film, le choix de casting n’est plus seulement justifié , il apparaît même indispensable. 

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En général, les accusations de whitewashing commencent très en amont de la sortie d’un film, dès l’annonce de la mise en production, et plus précisément du choix des acteurs retenus pour participer au projet.

Pour mémoire, le terme définit une dissemblance entre l’éthnicité d’un personnage et celle de son interprète à l’écran. Par exemple, on aura reproché à M. Night Shyamalan d’avoir choisi des acteurs caucasiens pour interpréter les rôles principaux, et plus encore, les “gentils”, du Dernier Maître de l’air (2010), alors que ceux du dessin animé original de Nickelodeon n’avaient pas la peau aussi blanche.

Il fut aussi reproché à Cameron Crowe d’avoir casté Emma Stone pour jouer un personnage sino-hawaïen dans Welcome Back (Aloha, 2015) – le réalisateur avait d’ailleurs dû s’excuser de l’avoir engagée. Les accusations à l’encontre de cette nouvelle version de Ghost in the Shell, blockbuster hollywoodien signé Rupert Sanders et coproduit en Chine, ont débuté il y a près d’un an.

Le choix de l’actrice Scarlett Johansson pour incarner le major Motoko Kusanagi a d’emblée fait débat, avec notamment la possibilité d’arguer qu’un androïde n’a pas d’ethnicité propre, mais le reproche a perduré jusqu’à très récemment.

Le voir pour le croire ?

Les accusations de whitewashing sont nombreuses et le plus souvent justifiées ; dans mon cœur, le pompon c’est Mickey Rooney en proprio asiatique dans Diamants sur canapé (1961). Certains cas sont toutefois plus ambigus : on a notamment pesté contre le choix des acteurs de Gods of Egypt (Alex Proyas, 2016) parce qu’ils n’avaient clairement pas l’air d’être nés au bord du Nil, mais c’était faire fi de l’information capitale de leur nature divine les affranchissant de toute ethnicité.

Rappelant vaguement le postulat du Dernier Samouraï (Edward Zwick, 2003), La grande Muraille de Zhang Yimou (2016) précipite lui aussi un personnage blanc dans un conflit en Asie, mais dans son cas c’est l’univers dans lequel se déroule le film qui nuance fortement le reproche de whitewashing formulé à son encontre : a contrario de Tom Cruise, Matt Damon y joue un personnage imaginaire, soit, mais les créatures démoniaques qu’il affronte le sont plus encore.

Autrement dit, une poignée de films taxés de whitewashing auront tout simplement gagné à être vus, non pas pour infirmer, mais du moins pour nuancer l’accusation. Ghost in the Shell, adaptation du manga de Masamune Shirow et/ou remake du film animé de Mamoru Oshii (1995), s’avère être de ceux-là et s’en sort même encore mieux que les autres.

What a twist !

[ATTENTION AUX SPOILERS, ILS SONT PARTOUT]

Sachant que le film de Rupert Sanders reprend peu ou prou la trame originale, la simplifiant au passage, ce que nous écrivons ci-dessous ne tient pas réellement du spoiler. Seulement, pour expliquer dans quelle mesure l’accusation de whitewashing devient un contresens à la vision du film, il faut préciser une révélation de son dernier acte.

Le Major, qui est un être mi-humain mi-gynoïde (androïde d’apparence féminine, et pas qu’un peu d’ailleurs), fusion révolutionnaire d’un cerveau humain (le fameux “ghost”) et d’un corps robotique (la coquille, la “shell”), apprend à terme qu’elle n’était finalement pas une migrante décédée accidentellement mais une jeune indigente japonaise assassinée pour le bien de cette expérience scientifique naissante.

Il y a là l’idée d’un personnage originellement japonais et de son remodelage. En somme, Ghost in the Shell n’est finalement pas coupable de whitewashing puisque la couleur de peau de Scarlett Johansson se révèle légitime et même essentielle au regard de l’intrigue. Ce que la section 9, dont dépend le Major, cherche à faire n’est pas seulement de créer une nouvelle arme façon Robocop, mais aussi de partir d’un être japonais “jetable” pour l’améliorer et cela passe par un physique caucasien – selon la section 9. Le Major fera la rencontre d’un second personnage ayant connu le même destin, systématisant ainsi le procédé.

Le whitewashing des producteurs est dès lors d’autant moins avéré qu’il est intégré au récit : ce n’est pas la Paramount qui blanchit des Japonais, mais le ministère de l’Intérieur dont dépend la section 9. Le film insiste d’ailleurs sur le “beauté” du Major à plusieurs reprises, comme pour discourir discrètement sur la xénophobie latente d’une telle entreprise. Le monde que décrit ce nouveau Ghost in the Shell se veut cosmopolite et gender neutral sur le papier – on y croise des populations variées, des personnages en hijab ou encore un robot transgenre dans les toilettes d’un bar, seulement c’est pour mieux en dénoncer l’hypocrisie.

La fusion androïde-humaine, dont le Major est une version bêta, est censée représenter l’avenir de l’humanité pour ses créateurs, et à ce titre, son apparence uniquement caucasienne est une insulte aux autres ethnicités et notamment aux Japonais.

L’histoire du Japon

Plutôt que de délaisser l’héritage nippon comme on pouvait s’y attendre depuis la mise en production de ce remake, plus ce Ghost in the Shell 2017 se déploie, plus il y accorde d’importance et précise à quel point l’âme de son récit et de ses figures est éminemment japonaise. Et peut-être même au-delà de tout soupçon : la fameuse scène de la traque des deux éboueurs est reprise quasiment à l’identique… à un détail près, un poster à l’arrière-plan avec une date : le 11 mars.

Sur 365 jours possibles, c’en est un que les Japonais ne peuvent confondre avec un autre, c’est la date anniversaire de la catastrophe de Fukushima, survenue en 2011. Bien sûr, ça peut toujours être un hasard, mais également l’élément-clé venant attester de l’empathie du film pour des personnages japonais meurtris, de quoi nous inviter à dresser un parallèle entre les victimes de la catastrophe nucléaire et le flash-back sur les laissés-pour-compte et futures propriétés de la section 9.

Poussant un peu plus loin encore le sous-texte politique du film, les nombreux et gigantesques hologrammes s’agitant entre les immeubles de la mégalopole de Ghost in the Shell, toujours une fusion de Hong Kong et de Tokyo, rappellent alors immanquablement Godzilla et les autres “kaijū” issus de la culture populaire japonaise.

Ces monstres géants sont nés au milieu des années 1950, représentations poétiques de la menace nucléaire encore présente dans l’imaginaire national dix ans après les tragédies de Hiroshima et Nagasaki. Ayant cela en tête, on saura alors observer les figures titanesques de Ghost in the Shell comme les stigmates évanescents de Fukushima, à la fois immatériels et omniprésents.

Que ces symboles soient avérés ou non, qu’ils soient conscients ou non, Rupert Sanders a su prendre la polémique à rebours. Quoi qu’il en soit, son remake hâtivement considéré comme sans âme se révèle aujourd’hui plus complexe et fascinant qu’escompté.