En septembre 2020, Emily Ratajkowski publiait dans le New York Times un texte devenu l’article le plus lu de l’année du prestigieux magazine. La plume aussi frappante qu’élégante, la mannequin relatait dans “Buying Myself Back: When does a model own her own image?” le viol dont elle aurait été victime en 2012, avant de questionner “les droits des mannequins sur leur propre image, et le fait que leur corps devienne souvent la propriété d’hommes (photographes, artistes, agents, créateurs, galeristes…)”, tel que nous vous le rapportions alors.
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Sept mois plus tard, la modèle et actrice persiste et signe en vendant, sous la forme de NFT, une photographie d’elle posant devant “une toile” représentant une capture d’écran de son compte Instagram où elle apparaît en maillot de bain.
Lundi 26 avril, en annonçant la vente de son œuvre NFT sur son compte Instagram, Emily Ratajkowski rappelait la façon dont “Internet a fréquemment servi d’endroit où [certains] exploitent et distribuent des images de corps de femmes sans le consentement de ces dernières, et pour leur profit à eux”.
“L’art a toujours fonctionné de la même façon : les travaux montrant des muses anonymes sont vendus pour des millions de dollars et bâtissent les carrières d’artistes hommes, tandis que les sujets des travaux en question ne reçoivent rien”, écrivait-elle. Pour comprendre la portée de cette vente, qui aura lieu le 14 mai 2021 sur le site de Christie’s, retour sur la genèse de ce crypto-art.
Le droit d’image dans le monde de l’art en question
La jeune femme explique être “bien trop familière de ce genre de narration”, rappelant l’histoire de la toile figurant sur le cliché qu’elle s’apprête à vendre. La “toile” en question est signée Richard Prince, qui s’est appuyé sur une photo de Walter Iooss, Jr. réalisée pour l’édition “Swimsuit” de Sport Illustrated. Prince exposait en 2014 une série de travaux montrant des captures d’écran tirées de profils Instagram. Dont un nu en noir et blanc d’Emily Ratajkowski :
“Tout le monde, surtout mon petit ami [de l’époque], m’a fait sentir que je devais me sentir honorée d’avoir été incluse dans la série. Richard Prince est un artiste important et, en toute logique, je devais lui être reconnaissante qu’il considère que mon image mérite une toile. De quoi se sentir validée. Et une partie de moi se sentait honorée.
J’ai étudié l’art à UCLA et je reconnaissais bien l’intérêt de la vision warholienne de Prince sur Instagram. Mais quand même, je gagne ma vie en posant pour des photos, et c’était bizarre qu’un grand artiste à succès pesant bien plus lourd que moi financièrement parlant puisse dérober une de mes publications Instagram et la vende comme si elle lui appartenait.”
Malgré les tentatives de son petit ami d’alors (qui désire ardemment posséder l’image), Emily Ratajkowski ne peut acquérir l’œuvre de Prince à 80 000 dollars… qui finit dans le salon d’un riche collectionneur, au-dessus de son canapé. “C’est un peu bizarre”, rapporte à l’actrice, qui n’a jamais donné son accord pour apparaître sur l’œuvre, un de ses amis : “Genre, il s’assoit sous ton toi nue.”
Emily Ratajkowski finit par posséder un autre travail de Richard Prince la représentant – celle que l’on voit sur l’œuvre NFT mise aux enchères par Christie’s. Avec son copain de l’époque, elle a déboursé 81 000 dollars pour être propriétaire d’une image dont le shooting lui avait rapporté 150 dollars.
L’arroseur arrosé
Des années plus tard, Emily Ratajkowski se réapproprie cette œuvre et, plus largement, son image, grâce à cette vente.
“Le terrain numérique devrait être un endroit où les femmes peuvent partager leur portrait comme bon leur semble, en contrôlant l’usage de leur image et en recevant quelque capital potentiel qu’il soit. […] Les NFT ont le potentiel de permettre aux femmes de conserver le contrôle sur leur image et de recevoir les compensations légitimes pour ses usages et distribution.”
Emily Ratajkowski se réapproprie doublement son image, en vendant non pas seulement la peinture la représentant, mais en vendant aussi le fichier qui la montre en train de poser devant le “tableau” en question. Pour Rachael White Young, spécialiste de l’art contemporain et d’après-guerre pour Christie’s, le NFT, “en gravant sa présence dans le grand livre immuable et universel de la blockchain Ethereum”, facilite la portée du message d’Emily Ratajkowski, “qui révolutionne la pratique et l’histoire de l’art féministe”.
Enfin, elle prend Richard Prince à son propre jeu, lui qui utilisait son image sans son consentement (et les photos d’autres artistes). Elle devient désormais récipiendaire des bénéfices engendrés par cette nouvelle œuvre. Et nul doute que l’œuvre NFT d’Emily Ratajkowski vaudra bien plus que le travail de Richard Prince. Grâce au système du crypto-art, chaque revente enverra un dividende à la mannequin, lui permettant de garder ad vitam æternam un certain contrôle sur son image.
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