Doctor Who n’était pas destinée à devenir une référence de la sci-fi. Comment s’est-elle imposée dans le paysage télévisuel ? Il était une fois un extraterrestre vieux de plusieurs centaines d’années, Time Lord de son espèce, qui vivait dans les nuages.
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1963. Les Britanniques découvrent sur leur écran bichromatique un programme mettant en scène un personnage énigmatique voyageant à travers le temps et l’espace à bord d’une police box qui répond à l’étrange nom de TARDIS, le plus souvent flanqué de compagnons. À l’origine à vocation didactique et éducative (apprenons aux enfants l’histoire et la géo au travers d’aventures extraordinaires), Doctor Who posait là ses valises dans les foyers, sans savoir qu’elle allait, bien plus tard, s’élever au rang de mythe intergénérationnel.
Bénéficiant de peu de moyens, la série se démarque par la richesse de ses récits spectaculaires mêlant science-fiction et suspense. Pour pallier le côté bricolage de ses monstres “boîtes de conserve”, ses ennemis en caoutchouc et ses décors en carton-pâte, Doctor Who brille par son inventivité et son ambition, et concocte des histoires qui laissent autant rêveur qu’elles font froid dans le dos. Il se dit même que l’expression “to hide behind the sofa” fait directement référence au mélange de terreur et fascination qu’expérimentaient les jeunes téléspectateurs face aux Daleks et autres Cybermen, devenus depuis des méchants emblématiques.
Les années passent. Les épisodes (en cinq parties de 25 minutes chacun) défilent. Les acteurs se succèdent dans le rôle-titre. Une simple astuce permet d’expliquer ce changement d’interprète : lorsque le Doctor est sur le point de mourir, il a le pouvoir de se régénérer. Changer de tête, de personnalité, de costume, et même le TARDIS a (parfois) droit à son relooking !
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Interrompue en 1989 après 26 saisons faute d’audiences suffisantes, la série s’endort avec son septième Doctor (sans compter un téléfilm en 1996 que beaucoup préfèrent oublier). C’est la fin de ce qu’on appellera communément “Classic Who”. Elle devra attendre seize ans avant d’être ressuscitée par le papa de Queer as Folk, Russell T. Davies. “New Who” est là, et elle compte rester.
Régénération
Doctor Who rencontre alors un public plus mature, plus exigeant aussi. Sans se départir de son vernis kitsch (c’est sa marque de fabrique), la série opère une refonte partielle de ce qui a fait son succès, en s’affranchissant des allusions à la vie du Doctor sur sa planète d’origine, Gallifrey, qui avaient jalonné la première série. L’extermination brutale de sa race, survenue entre Classic et New Who, lui confère le statut d’unique survivant (quoique…) et lui offre une dimension plus sombre.
Les successives interprétations de Christopher Eccleston, David Tennant, Matt Smith et Peter Capaldi donnent le ton. Tour à tour intransigeant mais sensible (9), trublion brillant à la curiosité égale à sa gravité (10), personnage loufoque au côté enfantin (11) et vieux loup aigri au cœur tendre (12), chaque acteur va apporter sa pierre à l’édifice, mais c’est Tennant et Smith qui recevront le plus d’honneurs de la part de la communauté.
Pourquoi ? Non seulement parce qu’ils bénéficient d’intrigues plus exaltantes et plus complexes qui participent grandement à étoffer la mythologie déjà fournie de l’univers, mais également parce qu’ils se glissent dans le personnage avec une aisance telle qu’on se délecte de courir par monts et par vaux à leurs côtés et de les observer sauver le monde à coups de tournevis sonique et d’affirmations pseudo-scientifiques. L’habit du Doctor leur sied à la perfection, des lunettes 3D au nœud papillon.
Russell T. Davies puis Steven Moffat leur offrent un lot varié d’ennemis à combattre, allant des vieux rivaux remis au goût du jour (Judoons, Sontarans, et le Master, némésis historique) aux terrifiants nouveaux prétendants (les Weeping Angels en tête), de savoureuses répliques et des moments d’émotion par dizaines. Monologues grandiloquents, rencontres ubuesques, enjeux planétaires et amitiés indéfectibles font le sel de leurs ères ; le tout saupoudré, bien sûr, d’une bonne dose de fun, d’une poésie folle, et du travail d’orfèvre du compositeur Murray Gold qui accompagne avec volupté toutes leurs aventures.
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Ils brillent aussi grâce à leurs compagnons. En 2005, les assistants des débuts sont devenus des compagnons, terme moins clinique. En premier lieu, ils fonctionnent comme des avatars du spectateur, qui se retrouve dans leur étonnement constant (“It’s bigger on the inside !”) et leurs réactions profondément humaines aux merveilles et horreurs qu’ils rencontrent. Mais ils servent aussi à donner la réplique à un Doctor qui parle constamment, raisonne, s’extasie, négocie, ergote sans filtre aucun.
Notamment chez Ten et Eleven, il arrive que sa figure plus grande que nature et ses nombreuses vies passées fassent qu’il s’oublie un peu et prend des décisions inconsidérées. En éclairant sa part d’humanité et le confrontant à ses failles, ses compagnons deviennent la clé de sa survie et de son intégrité. Ils sont essentiels.
C’est ainsi que Rose, Martha, Donna, Amy, River, Clara et Bill brillent par leur témérité, leurs ressources, leur bagout, leur intellect, et servent souvent de déclic pour que le Doctor résolve la situation. De plus, observer la place plus centrale qu’on leur confère (notamment Clara, the Impossible Girl, qui finira comme l’égale du Doctor) permet de témoigner de l’évolution du rôle accordé aux femmes à la télévision.
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