Né le 16 juin 1971, Tupac, l’emblématique rappeur de la côte Ouest, disparaissait le 13 septembre 1996 des suites d’une fusillade dont il ne se relèvera pas. Si la controverse autour de sa mort est encore un sujet sensible – les complotistes les plus acharnés l’imaginant fumer un cigare cubain sur une île ou en bon père de famille dans les reliefs montagneux de la Tasmanie – le policier témoin de ses derniers signes de vie a raconté son histoire sur Vegasseven, un hebdo américain basé à Las Vegas et fondé en 2010. Le titre de l’article est prenant : “The Last Words of Tupac Shakur”.
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“Et les mots sont sortis, “Fuck You””
7 septembre 1996, 15 heures. Le sergent Chris Caroll, de la patrouille à vélo de Las Vegas, commence sa journée. Elle s’annonce mouvementée. Le motif ? La grande finale WBA à l’hôtel MGM Grand entre Bruce Seldon et Mike Tyson. Après six ans de prison pour une affaire de viol et tout autant d’années d’éloignement des rings, le boxeur est payé une fortune pour que ses combats se tiennent exclusivement dans cet hôtel. Il y fait son retour en août 1995 et y revient un an plus tard, ce fameux 7 septembre.
Pour l’occasion, son ami Tupac Amaru Shakur fait le déplacement, accompagné de Suge Knight, footballeur à la retraite et co-créateur (aux côtés de Dr. Dre) de Death Row Records, label sur lequel le rappeur vient a signer en octobre 95 en échange du paiement d’une caution pour sortir de prison.
Moins d’une reprise plus tard et voilà Bruce Seldon au tapis, KO. Mike Tyson remporte à nouveau le titre WBA et prend la direction de la sortie de l’hôtel avec 2Pac.
Comme dans un film de genre, les deux protagonistes se dirigent vers la sortie. Au loin, un membre d’un gang rival, Orlando “Baby Lane” Anderson des Crips. Quelques semaines plus tôt, ce dernier aurait dévalisé la boutique d’un proche du label de Suge. Les gardes, Suge et Tupac se chargent alors de son cas alors que les caméras de surveillance enregistrent la “rencontre”.
Comme si rien ne s’était passé, Suge et Pac se mettent en branle et partent dans une BMW noire, suivis de leur clique. Direction le Club 662, où un concert doit avoir lieu. À un feu rouge, un photographe a le temps de capturer Tupac. À la place du mort, il regarde dans l’objectif, pour la dernière fois.
Peu après leur départ, la voiture s’arrête au feu rouge. Tupac baisse la vitre et un photographe immortalise ce moment, réalisant alors le dernier cliché du rappeur en vie
Le sergent Caroll arrive sur les lieux
23 heures 15 : le sergent Caroll reçoit un appel pour signaler des coups de feu non loin de sa position. En se dirigeant sur les lieux, il voit des dizaines de voitures. Il décide alors de faire déguerpir tout le monde, pensant que le tireur de la fusillade est encore présent. S’approchant alors de la BMW noire, il voit un homme côté passager.
Il pense un instant tenir le coupable, jusqu’à ce qu’il aperçoive les impacts de balles sur la portière. L’homme gisant est gravement blessé. Après quelques altercations avec Suge et le garde du corps, le policier réussit enfin à ouvrir la porte qui bloquait.
Il récupère alors le corps de Tupac qui lui tombe comme une masse dans ses bras, comme s’il se tenait sur la portière. Il parvient à reculer avec le rappeur, et à le sortir de la voiture. Tupac gémit de douleur.
Chris Caroll raconte :
Il était recouvert de sang, et j’ai surtout remarqué qu’il portait une tonne d’or sur lui – un collier et d’autres bijoux. Cette image m’a marqué et restera à vie dans ma mémoire.
Tandis qu’un autre policier débarque et écarte Suge de la scène, qui criait alors “Pac! Pac!”, le rappeur essaye de parler. Il est faible, veut répondre à son ami mais n’y parvient pas.
Chris Caroll poursuit :
Je regarde Tupac. Il essaye de répondre à Suge et moi, je lui demande “Qui a tiré ? Que s’est-il passé ? Qui a fait ça ?”. Tout ce temps là, il m’ignorait. Il me faisait parfois un “eye-contact”, mais persistait à répondre à Suge. Je continue à lui demander, encore et encore, “Qui a fait ça ? Qui t’as tiré dessus?”, mais il continuait de m’ignorer.
Puis, j’ai vu sur son visage […], en un claquement de doigt, qu’il avait changé. Il était passé d’un état de lutte pour parler et de non-coopération à une sorte de “Je suis en paix”. En un instant. Il est passé du combattant au “Je n’y arriverai pas”. Au cours de cette transition, il me regardait droit dans les yeux. Je lui ai alors demandé une dernière fois “Qui t’a tiré dessus ?”.
La scène du crime le 7 septembre 1996, lieu de la fusillade qui aura coûté la vie à Tupac
Il m’a fixé, a pris une grande respiration pour faire sortir les mots, a ouvert la bouche, et je pensais vraiment que j’allais obtenir de lui une sorte de témoignage. Et les mots sont sortis : “Fuck You”. Puis il a commencé à gémir et a perdu connaissance. C’est à ce moment là que l’ambulance est arrivée.
Amené à l’hôpital, Tupac ira en chirurgie, sous sédatif, tombera dans un coma dont il ne se réveillera jamais, et arrêtera de respirer six jours plus tard, le 13 septembre 1996.
Une mort propice aux complots
Chris Caroll, à la retraite depuis près de quatre ans, a décidé d’exposer les faits dont il a été le témoin. Si les détails de la fusillade sont connus, reconnus, et ont été analysés dans des documentaires, articles ou livres, ces éléments n’avaient encore jamais été révélés. Des éléments qui peuvent relancer une histoire qui, par sa complexité, est sans fin.
Ce “Fuck You” balancé à un policier pourrait par exemple être mis en lien avec la relation qu’entretenait “Pac” avec la police, et notamment le FBI. De quoi alimenter la théorie du complot visant le rappeur de la West Coast. Personne ne sait à ce jour qui a tué Tupac. Mais la version la plus solide parle d’un meurtre impliquant le FBI.
Dans son documentaire Biggie and Tupac réalisé en 2002, le Britannique Nick Broomfield suit Russell Poole, un ancien détective du LAPD (Los Angeles police department), qui avait été chargé de prendre en main l’affaire du meurtre de Notorious B.I.G., l’autre icône du rap assassinée peu de temps après Tupac, le 9 mars 1997.
Une affaire qu’il prendra particulièrement à coeur, et qu’il liera à celle du meurtre de Tupac. Au point de démissionner après 18 ans de carrière, quand on l’a empêché de poursuivre son enquête sur des confrères policiers qu’il soupçonnait d’être impliqués dans les meurtres des deux rappeurs. Il continue alors son enquête seul, pour découvrir la vérité.
Convaincu que la police de Los Angeles est impliquée dans ces meurtres, il pense que tout a commencé parce que Suge Knight devait des millions en royalties à Tupac. Le rappeur voulait quitter son label Death Row – dirigé par Suge – et faire réaliser un audit. Ce serait la raison de l’assassinat de 2Pac, si l’on se réfère aux confidences de Russell Poole dans le documentaire :
Suge Knight voulait que l’on pense à des représailles entre Tupac et Biggie – Notorious B.I.G.. Il voulait faire croire à un lien entre les deux meurtres […]. Des officiers de police travaillaient pour Death Row, ce qui est déjà un scandale en soi. Des représentants de la loi travaillaient pour des gangsters […]. Car tout le monde savait que Death Row Records faisait du trafic de drogue.
“Des officiers de police travaillaient pour Death Row”, les mots sont forts. Et révèlent une vérité. Plusieurs agents du FBI étaient corrompus et emprisonnés. Ils étaient par ailleurs soupçonnés d’échanges avec des gangs, voire même d’affiliation. Suge Knight avait des relations privilégiées avec eux.
Des théories toujours plus nombreuses
Il est possible de théoriser indéfiniment sur le meurtre de Tupac. D’autres parleraient d’un assassinat commandité par le rappeur Sean “Puffy” Combs , mentor et producteur de Notorious B.I.G., et ennemi juré de Tupac (soupçonné de lui avoir tiré dessus, ou du moins avoir ordonné la fusillade, dans ses studios en 1994. Une assaut dont 2Pac sortira secoué, mais dont il se relèvera).
Une autre théorie encore, mais cette fois-ci avec des preuves : ce serait la JDL – Jewish Defense League -, organisation considérée comme terroriste aux Etats-Unis, qui l’aurait tué. Selon des documents déclassifiés par le FBI, la JDL extorquait des fonds à certains rappeurs américains. Cette organisation aurait menacé de mort Tupac… juste avant son assassinat.
Enfin, la théorie la plus folle : Tupac serait toujours vivant. Pourquoi les fans perpétuent-ils sa mémoire en étant persuadés que le rappeur d’Oakland n’est pas mort ce 13 septembre 1996 ? De nombreuses explications sont données, notamment la théorie des 7 jours, incarnée sur YouTube par une vidéo :
La mythologie autour d’un 2Pac post-13 septembre en vie s’est poursuivie d’elle-même sur Internet. À l’ère du numérique roi, et du Photoshop à tout va, on ne sait plus où donner de la tête. Cela n’empêche pas les fans de s’émoustiller des images dans lesquelles on aurait vu le rappeur. La dernière date du 5 mars dernier, lors d’un match de NBA.
Le policier Chris Caroll, au niveau du croisement où 18 ans auparavant, Tupac lui aurait adressé ses derniers mots.
Tout cette histoire de complot pourrait être facilement balayée d’une main. Mais c’était sans compter sur les déclarations des proches de Tupac. Récemment, Suge Knight a déclaré dans une interview à TMZ :
Tupac n’est pas mort. S’il était mort, ils auraient arrêté ces gars pour meurtre.
Pour le sergent Caroll, ressortir cette histoire en 2014 n’est pas anodin. Le sergent explique qu’il ne voulait pas faire de Tupac un martyr ou un héros :
Je ne voulais pas que les gens se disent : “Même quand sa vie est en jeu, il continue de dire “Fuck you”, il continue à refuser de parler à la police”. Je ne voulais pas faire de lui un héros pour ça. Du temps est passé et il est devenu un martyr quand même. Il est vu comme un héros. Et mon histoire ne changera rien là-dessus.
Article écrit avec Rachid Majdoub, initialement publié le 23 mai 2014 et mis à jour le 16 juin 2021 (car Tupac est éternel).