Beauty in Blood est un couple d’artistes qui sublime le sang des règles.
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Quelques jours après la journée internationale des droits des femmes, en mars, nous avons interviewé Jen, du duo artistique Beauty in Blood, originaire des États-Unis. Ce duo (qui est aussi un couple) se bat contre les idées préconçues autour des menstruations. Rob et Jen subliment le sang des règles en réalisant de magnifiques photos abstraites, et invitent ainsi les gens à voir une forme de beauté dans le cycle de la femme. Véritable tabou dans nos sociétés, c’est avec les armes de l’esthétique qu’ils souhaitent faire avancer les choses, et cela marche plutôt bien. Rencontre.
Cheese : Bonjour Jen ! Plusieurs jours se sont écoulés depuis la journée internationale des droits des femmes, mais on aimerait avoir ton mot sur cet événement et savoir si tu l’as célébré d’une quelconque manière ?
Jen du duo Beauty in Blood : Salut ! Honnêtement, la vie a un goût un peu bizarre en ce moment, j’ai perdu mon père il y a quelques jours de manière soudaine, donc je navigue à présent dans le flot surréaliste de la perte d’un parent. Il est mort un jour avant la journée internationale des droits des femmes, donc je n’étais pas en état de participer aux différentes marches, protestations ou autres événements activistes.
En théorie, par contre, j’adore le concept, et j’y ai participé à travers différentes expositions féministes et conférences par le passé. D’ailleurs, c’était génial de voir cette année toutes les activités organisées par les femmes, surtout ici au États-Unis. Les Américains restent plutôt indifférents aux problèmes des femmes et à nos expériences dans ce monde patriarcal. C’était super de voir des femmes de tous milieux sensibiliser les gens sur ces questions. Il y a une nouvelle flamme politique qui anime les gens ces derniers temps et j’adore ça !
Quel est le principal message que tu veux faire passer à travers ton art ? Et d’ailleurs, comment l’idée de ce concept t’est venue à l’esprit ?
J’ai deux objectifs principaux avec Beauty in Blood : premièrement, changer littéralement la manière dont les gens voient le sang menstruel. Deuxièmement, élever les consciences sur les différents problèmes liés aux règles et aux droits de l’homme trop souvent bafoués (et donc celui des femmes aussi).
Ces images sublimées sont une invitation à la curiosité et l’engagement, une ouverture à un nouveau dialogue qui rompt avec toute la négativité et le silence entourant normalement la menstruation. J’espère que Beauty in Blood arrivera à montrer aux gens que les règles ne sont en rien quelque chose dont on doit avoir honte ou peur. La menstruation n’a pas à être un mystère, et il faut s’y confronter réellement. Je suis pleinement dans la démarche d’utiliser l’art pour une transformation personnelle et sociétale.
Quelle a été ton inspiration ?
Mon inspiration pour Beauty in Blood vient tout d’abord du fait d’avoir travaillé dans un bureau de recherches, puis d’avoir changé mes produits menstruels : je suis passée à la coupe menstruelle suite aux conseils de mon médecin. La coupe permet une approche beaucoup plus “pratique” des règles, et ma relation avec mon corps a commencé à changer tout de suite après les premières utilisations. J’ai commencé à me demander pourquoi la société étiquetait les règles dans la catégorie des choses “immondes” ?
Le sang, le gore et la violence gratuite sont pourtant partout dans la culture populaire : informations, sports, films, séries, jeux vidéo, musiques, etc. Mais le sang des règles, lui, a complètement été banni du paysage visuel, grâce à quelques images iconiques et négatives comme le film Carrie. C’est en train de changer maintenant. Lorsque j’ai commencé Beauty in Blood en 2012, les règles n’avaient pas la même couverture médiatique qu’elles ont aujourd’hui.
Savais-tu qu’en France on paye moins de taxes sur les sodas que sur les serviettes hygiéniques ? Le gouvernement a décidé que les sodas étaient plus des produits de première nécessité que les produits menstruels. Je voulais partager cette info avec toi pour avoir ton ressenti là-dessus, en sachant que les serviettes hygiéniques sont gratuites dans les écoles, prisons et refuges de New York depuis peu…
Avant que tu m’en informes, je ne savais pas que les taxes étaient plus chères sur les produits menstruels, mais ça ne me surprend pas du tout… Ces dernières années, nous avons appris énormément sur le fait que les femmes sont surtaxées dans cette société juste parce qu’elles sont nées femmes. Par exemple, les tampons mais aussi les produits féminins pour se laver sont plus chers que leurs homologues pour hommes. Le simple fait que les États-Unis considèrent les produits menstruels comme un luxe est hallucinant.
Pour les corps qui ont leurs menstruations, ces produits sont aussi importants que les médicaments. J’ai une bonne relation avec mes règles, certes, mais ce n’est en aucun cas un luxe dans ma vie ! Bien que l’utilisation des coupes menstruelles et des culottes hygiéniques puisse se faire sentir comme un certain privilège comparé aux tampons et serviettes traditionnelles…
Cependant je suis ravie que l’État de New York ait décidé d’abroger la taxe tampons, même si je suis déçue que la Californie ne l’ait pas déjà fait… Selon moi, la taxe est injuste et illogique, sans mentionner le fait qu’il s’agit d’un décret complètement patriarcal : pour l’instant 12 États ont éliminé la taxe, ce qui reste un pas dans la bonne direction.
On est curieux de connaître l’effet que provoque ton art sur le public. Quelles sont les principales réactions des gens lorsqu’ils voient tes œuvres ? Sont-ils à l’aise avec ce qu’ils ont en face d’eux ?
Les réactions les plus surprenantes et visibles sont celles de la part des hommes, bien sûr… Les hommes que j’ai rencontrés en face-à-face ont été incroyablement encourageants et intéressés. À l’entente du mot “menstruation”, ils peuvent déglutir et devenir un peu penaud au premier abord. Mais après avoir brisé la glace avec une vanne ou deux, les gars finissent plongés dans les œuvres et s’engagent dans des dialogues très attentifs et pleins de respect.
Les épouses me disent que leurs maris sautent sur leurs ordinateurs aussitôt rentrés pour regarder de plus près ce qu’ils ont vu et peuvent leur lâcher un petit : “C’est vraiment ça ?!” Pour moi, ce genre de grande prise de conscience grâce à mon travail (qui donne ensuite naissance à un dialogue), je le ressens vraiment comme une victoire.
Es-tu optimiste concernant l’évolution de la condition de la femme dans nos sociétés dites modernes ou, au contraire, es-tu plutôt sceptique ? Comment la femme est-elle perçue par les hommes selon toi ?
En général, je suis plutôt sceptique, mais avec mon “activisme menstruel”, je vois un réel progrès… Nous avons toujours un énorme travail à faire pour renverser ce tabou universel, certes, mais je crois dur comme fer que c’est une partie du combat du féminisme dans laquelle nous pouvons faire des vagues et faire avancer les modes de pensée.
On a vu que tu avais été à différentes manifestations pour les droits des femmes aux États-Unis, mais aussi que tu communiquais beaucoup à travers les réseaux sociaux sur les nouvelles lois, les positions des gouvernements à propos des femmes, et plus précisément lorsqu’il s’agit des menstruations. Il semble que tu sois une réelle “artiviste” [contraction de “art” et “activiste”, ndlr] et que ta production artistique ne te suffise pas sans engagements politiques.
Oui, le message politique est un composant très important dans Beauty in Blood. Je veux que les gens apprécient les éléments abstraits de nos photos, mais je veux aussi que le public s’engage dans une réflexion critique sur ce fameux tabou. Tout le monde aime faire de l’activisme différemment : certains aiment crier fort et défiler dans les rues, d’autres préfèrent le travail dans l’ombre, changeant les aspects de la législation (comme la taxe sur le tampon ou en préconisant les produits menstruels gratuits pour les étudiants ou prisonniers), tandis que d’autres personnes encore peuvent vouloir créer une chaleureuse et attrayante tente rouge pour encourager le dialogue positif autour des cycles lunaires… J’aime montrer aux gens qu’il n’y a pas qu’une seule façon de s’engager.
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