En sortant un album par semaine pendant un mois, Kanye West a prouvé qu’il avait encore et toujours un coup d’avance.
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Doté d’un talent incontestable et d’un ego surdimensionné, Kanye West cherche toujours, à chaque sortie d’album, à prouver son audace et à montrer qu’il a toujours un coup d’avance sur les autres. Visionnaire, il créait l’événement en 2010 avec les G.O.O.D Fridays. L’objectif, offrir pendant plusieurs mois, chaque vendredi, un morceau inédit en attendant la sortie de son album My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Le succès fut total.
Huit ans plus tard, il renouvelle l’opération en tablant cette fois sur un album par semaine pendant un mois, dévoilé chaque vendredi. Cinq projets au total qu’il a intégralement produits pour lui-même ou pour ses proches collaborateurs. L’annonce, faite sur Twitter en avril, a fait l’effet d’une bombe. En ce début d’été, la Yeezy Season est désormais terminée et force est de constater que Kanye West a réussi son coup. Mieux encore : sa stratégie pourrait bien marquer une nouvelle fois le rap game durablement.
Une programmation cinq étoiles
Mais pour espérer marquer l’histoire, il faut d’abord s’assurer que les noms à l’affiche resteront dans les mémoires. Une formalité quand on s’appelle Kanye West et que l’on peut s’entourer facilement des meilleurs artistes, ceux de son label mais pas que. Pour sa cuvée 2018, il a d’abord produit un album pour Pusha T, son album solo, un album collaboratif avec Kid Cudi, l’inespéré nouvel album de Nas et celui enfin de la chanteuse phare du label, Teyana Taylor.
La plupart de ces opus étaient attendus depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Outre Kanye West qui suscite l’engouement à chaque nouvel album, Pusha T nous promettait son retour depuis trois ans, tout comme Nas qui se faisait désirer. Sans oublier l’album commun, produit avec Kid Cudi pour leur duo Kids See Ghosts, dont les fans n’osaient pas rêver.
Kanye a donc exaucé les souhaits de nombreux fans de hip-hop, et ce, en cinq semaines à peine. Les retours sont plutôt positifs, même si certains albums se distinguent forcément. Alors que nous vous parlions de Daytona de Pusha T, de Ye de Kanye West, de Kids See Ghosts et leur album éponyme, puis de Nasir de Nas, le média américain DJ Booth s’amusait à classer par ordre de qualité l’intégralité des morceaux de cette cuvée made in Wyoming. À vous désormais de vous faire votre propre avis.
Le choix de la spontanéité
Rassembler les meilleurs artistes de sa génération ne suffit pas pour autant à entrer au panthéon de la musique. Kanye, en éternel dissident, a préféré casser les codes de toute une industrie. Alors que la tendance est aux albums de rap qui multiplient les titres pour générer plus d’écoutes sur les plateformes de streaming, (Culture II de Migos, Heartbreak on a Full Moon de Chris Brown ou encore SR3MM de Rae Sremmurd), le producteur a lui préféré prendre le contre-pied en optant pour la concision.
Exit les disques de 20 ou 30 titres, les projets qu’il produira comporteront tous sept titres, pas un de plus. Un chiffre dont on se dit qu’il n’a pas été choisi au hasard, sept étant le chiffre divin, quand on sait que l’artiste se revendique disciple de Jésus. Et tant pis pour les fans qui déplorent ce nombre réduit, Kanye fait le pari d’aller à l’essentiel. Selon lui, il est tout à fait possible de proposer un disque cohérent sans excéder les 25 minutes.
Autre particularité, ces albums ont longtemps été travaillés dans le plus grand secret, dans les hauteurs du Wyoming. Cette fois encore, Yeezy a choisi de ne pas faire comme tout le monde en se laissant guider par sa spontanéité, plutôt que de plancher des mois à l’avance sur une direction artistique. Bien que dans les tuyaux depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, chaque album a été enregistré quasi instantanément.
Kanye a notamment décidé de repartir à zéro pour son album solo un mois avant sa sortie, pour le rendre plus actuel et personnel, et a même réalisé sa pochette quelques heures avant la sortie définitive de son disque, le 1er juin dernier. Daytona de Pusha T n’avait pas non plus de tracklist, ni de pochette 24 heures avant sa sortie. Enfin, Teyana Taylor a récemment déclaré en interview que son album K.T.S.E n’était en réalité pas totalement abouti.
Parallèlement à cette stratégie de communication, brouillonne en apparence, Kanye a révolutionné le concept de la listening party. Plutôt que de donner rendez-vous à une poignée de privilégiés, il s’est installé devant un feu de camp, d’abord dans le Wyoming, puis partout aux États-Unis, en fonction de l’artiste mis en avant.
Konbini était d’ailleurs convié lors de la fantastique session d’écoute de Ye. Chaque autre session d’écoute a été retransmise en streaming, de manière à ce que personne n’en perde une miette. Seul bémol, il a fallu attendre de longues heures pour que les projets en questions soient disponibles ensuite sur les plateformes de streaming traditionnelles. Les aléas de la spontanéité en somme.
Un changement durable pour le rap ?
Sortir cinq albums courts et prestigieux en l’espace d’un mois semblait être un pari fou, voire impossible. C’est sans doute pour cela que seul un artiste comme Kanye West pouvait entreprendre une telle prouesse. “Cite-moi un génie qui n’est pas fou” rappait-il dans son morceau “Feedback” en 2016. Sans excuser ses égarements politiques sur Twitter, c’est justement grâce à cette folie qu’au fil de sa carrière, le génial Kanye est toujours parvenu à bouleverser les codes, jusqu’à influencer profondément l’évolution de la culture hip-hop.
Utilisation de samples soul au début des années 2000, démocratisation de l’auto-tune et du “rap émotion” avec 808 & Heartbreak, folie des grandeurs avec My Beautiful Dark Twisted Fantasy ou encore tentative osée de proposer une musique brute et totalement déconstruite avec Yeezus. Alors que certains avaient regretté son manque d’audace ces dernières années, Kanye a prouvé avec sa folle série d’albums à sept titres qu’il était encore capable de nous surprendre. Reste à voir si sa démarche sera reprise et améliorée par d’autres à l’avenir.
Il se murmure déjà que le “Yeezy Musical Universe” pourrait très vite s’étendre à d’autres artistes. L’ambition de Kanye est telle qu’il prévoierait maintenant de produire 52 albums en 52 semaines, rien que ça. Et quand on prend la mesure de sa capacité à s’adapter à l’univers de celui qu’il produit, les probabilités de voir émerger de nouvelles pépites musicales mémorables sont énormes. John Legend, Rick Ross, Mos Def, Jeremih, 070 Shake, Cyhi the Prynce ou encore Chance the Rapper ? Qui sera le prochain ? Les paris sont ouverts.