“Tout le monde l’adore, personne ne l’aime”, c’est ce qu’on peut lire en haut de l’affiche rose bonbon de Sweat (“transpiration” ou “transpirer” en anglais), sur laquelle Sylwia, influenceuse fitness polonaise aux 600 000 abonnés sur Instragram, scrute la photo de son derrière sur son téléphone.
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Aborder le sujet des réseaux sociaux et du monde de l’influence, dont on connaît encore mal la réalité, était un ambitieux pari. Dès lors que le réalisateur de 38 ans, “simple observateur” malgré beaucoup de temps d’écran selon ses mots, choisit le prisme d’une jeune et jolie coach sportive en ligne, il devient risqué.
Après un premier film “lent, statique et silencieux” sur la vie après la prison (Le Lendemain), le Suédois Marcus Von Horn s’est donc lancé un défi – non pas sportif mais artistique –, et on lui attribue une médaille sans hésitation. Sans cynisme, le réalisateur ne nous propose rien d’autre que le portrait profondément humain d’une femme face à sa propre solitude.
“Je n’avais aucun intérêt à la regarder d’en haut. On n’a pas besoin de davantage de cynisme aujourd’hui, je pense même qu’on a besoin de l’exact contraire.”
On fait la connaissance de Sylwia, ovni blonde moulée dans ses vêtements de sport aux couleurs criardes, lors d’un cours de fitness qu’elle dispense dans un centre commercial de la capitale polonaise (où vit le réalisateur depuis plusieurs années). Certaines de ses élèves pleurent d’émotion, elle affiche un sourire Colgate crispé de circonstance, la scène est agitée, intense, presque malaisante pour nous, spectateurs. Mais lorsque le cours prend fin et qu’on infiltre le quotidien de Sylwia, le film s’épure pour se construire autour d’une héroïne tout en retenue.
(© Lava Films)
À la manière d’un abonné Instagram fasciné par la banalité de son quotidien, le spectateur de Sweat suit Sylwia pendant trois jours, durant lesquels elle va vivre un épisode traumatisant impliquant un stalker. La machine bien huilée de son quotidien millimétré, où promenades avec son chien, unboxing et préparations de milk-shakes énergisants se succèdent à la façon des stories Instagram, va alors s’enrayer.
“J’adore la façon dont les influenceurs postent sur Instagram, parfois jusqu’à soixante stories par jour. C’est une narration très condensée et j’aime la structure que ça offre à la vie de Sylwia. On a juste à suivre sa journée et le récit naît de cette répétition. Un événement extraordinaire va surgir, mais le film est surtout basé sur sa vie quotidienne.”
On scrute donc les journées de Sylwia, qui évolue dans son grand appartement vitré, un peu à la façon de Fenêtre sur cours d’Hitchcock, mais sans perversion, seulement de l’empathie à l’égard de cette jeune femme qui fait son travail de coach et d’influenceuse avec beaucoup de sérieux.
(© Lava Films)
Ce regard bienveillant sur cette héroïne à la vie si éloignée de la nôtre s’emploie simplement à explorer où l’on se rencontre, et c’est là la grande réussite de Sweat. Jamais Marcus Von Horn ne fait le procès, attendu, des réseaux sociaux et de ceux qui en vivent très confortablement, comme Sylwia, et c’est pour cette raison qu’il est ce qu’on a vu de plus pertinent sur le sujet au cinéma.
“C’est une question de respect mutuel. Quand tu respectes ton personnage, tu ne le traites pas comme un objet, mais tu ne l’excuses pas non plus. On a imaginé Sylwia avec ses propres soucis et le reste, son travail et son apparence physique, c’est juste l’emballage.”
Sylwia est magnifiquement interprétée par Magdalena Kolesnik, une actrice de théâtre polonaise qui n’était pas sur les réseaux sociaux avant d’être retenue pour le rôle. Elle s’est entraînée pendant un an, a fréquenté assidûment les salles de sport et s’est liée avec des influenceurs. Surtout, en étant filmée constamment en plan très serré, elle supporte le poids de cette caméra oppressante, toujours trop proche et qui ne lui laisse aucun répit, à la façon d’un smartphone envahissant, “où d’un labrador qui ne connaît pas la notion d’intimité”.
Cette caméra protectrice nous rappelle celle qui filmait Bella dans Pleasure, le premier long-métrage de Ninja Thyberg. La réalisatrice, elle aussi suédoise, y sondait l’industrie du X pour nous montrer la réalité du porno sans en reproduire les images traditionnelles. Elle plaçait sa caméra de façon à toujours préserver son héroïne, star du X, pour permettre au spectateur de s’identifier à elle, sans voyeurisme.
Après avoir été confrontée au pire comme au meilleur des réseaux sociaux, l’ovni blonde du début du film a disparu pour céder la place à une jeune femme simplement humaine, dont on a partagé la solitude pendant trois jours de sa vie, ou 1 h 45 de cinéma.
“Je ne voulais pas présenter les réseaux sociaux comme quelque chose de bien ou de mal. Je voulais juste que le spectateur sorte de la salle de cinéma en s’étant senti proche de ce personnage. Mon chemin, c’est de l’amener à penser qu’il a quelque chose en commun avec elle, au final.”
On ne saura donc pas si son compte Instagram a sauvé Sylwia de sa solitude ou s’il est responsable de son effondrement. Ce n’est pas le sujet de Sweat, et c’est très bien ainsi.