Mindfuck : “Changement de perspective brutal qui provoque une relecture complète de ce qu’on croyait savoir.” Exemple : quand on apprend que Bruce Willis est un fantôme dans Sixième sens ou qu’Edward Norton et Brad Pitt sont la seule et même personne dans Fight Club.
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C’est avec ces souvenirs de cinéma en tête que le vulgarisateur scientifique Léo Grasset s’est lancé dans l’écriture de son nouveau livre, Le Grand Bordel de l’évolution. Pensé comme un prolongement de son travail sur la chaîne YouTube DirtyBiology, cet ouvrage se présente comme un voyage scientifique savoureux et ludique qui s’amuse à démonter une à une nos certitudes sur l’espèce humaine et le monde du vivant qui nous entoure.
Rencontre avec un biologiste qui a dû (beaucoup) regarder Le Bus magique.
La biologie évolutive peut nous aider à percer les secrets de l’univers
Parce qu’il existe d’autres sciences que l’astrophysique :
“Les gens se passionnent plutôt pour les grandes questions philosophiques que sont les galaxies ou la forme du cosmos. Mais je crois que c’est surtout lié à la vulgarisation scientifique. Aujourd’hui, en France, les vulgarisateurs sont souvent des physiciens. Il y a une sorte de longue tradition avec Étienne Klein, Carlo Rovelli, Roland Lehoucq.
Les vulgarisateurs biologistes sont beaucoup plus rares. Le grand public a donc longtemps eu l’impression qu’il n’y avait pas de grandes leçons à retirer de l’étude des formes de pénis des oiseaux par exemple. Ce qui est complètement faux ! La puissance de cette science est de se poser pas seulement la question du comment, mais du pourquoi. Pas un ‘pourquoi ?’ qui cherche à savoir les intentions, mais un pourquoi évolutif qui s’intéresse à la raison d’être, la fonction. ‘Pourquoi la mort ?’, eh bien, il y a une raison biologique.”
L’humain est loin d’être aussi spécial
Quand les Aliens débarqueront sur Terre, pas sûr qu’ils s’intéressent à nous…
“D’un point de vue biologique, l’humain est intéressant mais pas forcément pour les raisons qu’on n’imagine et pas non plus pour des raisons nobles ou supérieures. On a cette impression d’être au-dessus du panier, mais pas du tout, il y a 6 millions d’années, nos ancêtres ressemblaient à des chimpanzés.
Il ne s’est pas passé un événement magique depuis, on reste des chimpanzés en vêtements. On est très intéressants à ce titre, parce que les chimpanzés en vêtements, c’est cool, mais on n’est pas les dignes héritiers du cosmos, on n’a pas une destinée qui nous incombe, on n’est pas plus intéressants qu’un rat-taupe nu par exemple. Eux ne font pas de smartphones, mais ils ont une forme de société autrement plus cohésive que la nôtre.
Tant de choses qu’on croit spécifiquement humaines ne le sont en fait pas du tout. Le deuil, l’idée que nous sommes les seuls à aimer les gens au-delà de la mort par exemple, il existe aussi chez les cachalots ; la fabrication d’outils, c’est pareil, on pense être les seuls à avoir ce pouvoir-là, mais une simple étude archéologique permet de voir que les chimpanzés utilisent des outils depuis 5 000 ans. C’est la même chose pour toutes ces grandes valeurs qui sont censées fonder l’humanité et nous séparer du reste des animaux, elles ne sont pas proprement humaines. Ça nous remet à notre place.”
L’espèce humaine continue à évoluer
L’homme du futur est déjà en marche.
“La plupart des gens sont à peu près d’accord pour admettre qu’on a évolué, mais ils ont un peu plus de mal à admettre que nous évoluons encore. La sélection naturelle se joue encore aujourd’hui. Pourquoi douter de cela, comme s’il y avait une date à laquelle l’évolution humaine se serait arrêtée ? Comme si les nouvelles technologies avaient mis un terme à l’évolution.
L’évolution humaine n’est pas homogène. Il y a des adaptations locales, ce qui veut dire que nous évoluons encore en réponse à notre environnement. Et cela peut se jouer sur des laps de temps très courts. Si on prend les habitants de l’Altiplano, qui se sont établis il y a peu de temps et qui vivent dans un endroit saturé en arsenic, ils ont développé en quelques générations une résistance à l’arsenic dans l’eau.
Notre espèce continue d’évoluer, elle est capable de répondre à des défis et sans passer par une idée de culture ou de conscience. On est exactement comme les autres espèces, si tu mets des bactéries dans une boîte de Petri avec des antibiotiques, génération après génération, elles vont développer une résistance. Ce sera exactement la même chose pour nous.”
Un village d’irréductible Québécois sert d’objet d’étude aux biologistes de l’évolution :
“Sur une petite île québécoise, les chercheurs ont trouvé le terrain de jeu parfait pour étudier l’évolution humaine. L’Isle-aux-Coudres est complètement coupée du monde, ce qui rend l’analyse scientifique plus facile parce qu’on évite les facteurs confondants. En recueillant les données de sa population entre 1700 et 1940, on a pu voir que la sélection naturelle était toujours active et on a pu tirer quelques traits génétiques forts.
On s’est notamment aperçu que les femmes se reproduisaient de plus en plus tôt et qu’en cinquante ans, l’âge de la mère au moment d’avoir son premier enfant avait chuté de quatre ans. À l’aide d’un arbre généalogique très complet, on a donc pu établir tout un processus biologique. Mais l’évolution humaine n’est pas cantonnée aux micro-sociétés coupées du monde, il est certain qu’à Londres, à l’heure où je vous parle, la sélection naturelle continue son bonhomme de chemin, elle est juste beaucoup plus dure à étudier pour les chercheurs.”
Les secrets de l’évolution se trouvent dans l’évolution de nos organes génitaux
Parler de sexe, c’est toujours le meilleur moyen de capter votre attention :
“Les organes génitaux sont les organes qui évoluent le plus vite. C’est donc pour moi le meilleur modèle sur lequel étudier. Parler d’évolution, c’est parler de bite et de vagin, c’est aussi simple que cela. Toutes les strates de l’évolution et toutes les règles qui la régissent se retrouvent dans l’évolution de leur forme.
Par mutations successives, les organes génitaux changent et répondent mieux aux contraintes qui s’opposent à eux. Certaines espèces utilisent leur pénis pour se défendre face aux prédateurs, la sélection naturelle fera alors en sorte que la version la plus aboutie en termes de défense soit celle qui s’impose. D’une manière plus classique, un appareil génital qui va te permettre de maximiser le transport du sperme ou de minimiser la concurrence avec les autres mâles sera celui qui triomphera au fil des générations. Vous seriez surpris de voir les formes de pénis qui existent sur Terre.”
Les couleurs sont une invention
Au fil de l’évolution, la nature nous a conféré des super-pouvoirs :
“L’ensemble des perceptions humaines a été inventé au cours de l’évolution. On a développé tout un tas de facultés comme par exemple transformer la pression de l’air en son. La couleur, c’est pareil, les photons en eux-mêmes ne sont pas colorés comme disait Newton.
Au cours de l’évolution, les cônes sont apparus dans nos yeux et ont permis de coder ces différentes variations de fréquences. Un code couleur pour naviguer dans notre monde de façon cohérente et ne pas se prendre les portes. Les couleurs telles qu’on les voit ont donc été inventées, elles n’existent pas en dehors de moi, c’est mon cerveau qui crée ce phénomène sensible.”
Un scientifique russe a essayé de créer un “chimphumain”
Est-ce qu’on ne tiendrait pas le scénario du prochain Marvel ?
“Au début du XXe siècle, les chercheurs étaient très bons mais ils avaient un sens moral assez douteux. Aux débuts de l’institut Pasteur par exemple, un scientifique greffait des testicules de chimpanzés à de vieux humains pour essayer de leur redonner de la vigueur. Une pratique qu’on jugerait aujourd’hui délirante…
Ilya Ivanovich Ivanov était l’expert russe en insémination artificielle. Ce mec-là s’est dit un jour qu’il allait essayer de créer un ‘chimphumain’, croisement entre un chimpanzé et un humain. Il y avait bien sûr tout un contexte philosophique et politique lié à ça, avec notamment la recherche de l’homme nouveau. Il a donc essayé de créer cet hybride en se disant : ‘Si on peut faire des enfants entre chimpanzés et humains, on peut en apprendre beaucoup sur la génétique et on peut surtout fabriquer de meilleurs humains, plus forts.’
Il est donc allé en Guinée pour mener son expérience. Il faisait ça en douce avec son fils, à 2 heures du matin, personne n’était au courant ! Il a d’abord essayé d’inséminer des femelles chimpanzés avec du sperme d’humain puis il a fait l’inverse. Il s’est fait virer de Guinée, mais a continué en Russie avec du sperme d’orang-outan. Il a été poursuivi par les autorités puis a fini exilé au Kazakhstan. Biologiquement parlant, évidemment que c’est passionnant, mais éthiquement, c’est juste impossible. Même si cela avait été réalisable, il n’aurait jamais pu réussir, il faisait cela dans des conditions horribles, caché dans des labos clandestins.”
Nos lointains cousins, les Néandertaliens, ont disparu à cause de nous
Comme disait Francis Cabrel, “Je l’aime à mourir”.
“On ne parvient toujours pas à expliquer pourquoi cette autre espèce humaine a disparu de la surface de la Terre. Certains ont avancé l’idée que l’éruption d’un super-volcan en Italie aurait eu raison d’eux, mais une autre hypothèse a selon moi plus de sens.
Pourquoi une espèce qui a survécu aussi longtemps par ses propres moyens a disparu au moment même où les Homo sapiens, c’est-à-dire nous, ont débarqué ? Rien à voir avec une extermination, bien au contraire, tout serait en fait lié aux coquineries qu’ils faisaient ensemble ! Étant un bien plus petit nombre, ils auraient été les victimes d’une extinction par hybridation. Leur pool de gènes a fini par se faire diluer par le pool de gènes des sapiens, faisant de nous la seule espèce humaine sur Terre.”