Un duo parisien numérise les milliers de diapositives qu’il reçoit du monde entier et nous entraîne dans un voyage à travers le temps et les lieux.
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Le développement photo paraissant si étranger à la plupart d’entre nous qui prenons des images avec nos téléphones portable, il n’est pas toujours donné de savoir ce qui se cache à l’intérieur des piles de diapositives qui peuvent s’entasser dans les greniers et les placards. C’est pourquoi un amoureux des images sous toutes les formes a décidé de donner une seconde vie à ces transparents en créant Anonymous Project.
Le projet, dédié à la photo vernaculaire, s’intéresse aux diapositives couleur de ces cinquante dernières années. Le duo à la tête de l’association, composé de Lee Schulman et Emmanuelle Halkin, s’est chargé d’une véritable chasse au trésor depuis janvier dernier : les deux collègues (et ami·e·s) traquent les stocks de diapositives à travers le monde. En six mois, c’est plus de 250 000 images issues des cinq continents qu’ils ont déjà reçues.
Afin de décider lesquelles seront numérisées, chaque diapositive est passée au peigne fin. Quelle histoire raconte-t-elle, d’où vient-elle, de quand date-t-elle ? Au fil des mois, l’expertise des deux compères s’est affinée et ils sont maintenant capables de déterminer en quelques coups d’œil de quelle époque date une image, en fonction de la marque du matériel, des coupes des modèles présents sur la photo ou de leur style vestimentaire. Cependant, une chose ne change pas : l’émotion ressentie en regardant des photos qui ont parfois presque un demi-siècle.
“Chaque lot est un trésor”
Dans le placard de leur bureau s’entassent ces milliers de petits bouts de cartons carrés qui racontent chacun une histoire. C’est parfois une boîte dédiée à la seule histoire d’une famille, sur plusieurs années, qu’ils reçoivent : “On voit les gens vieillir, se marier, avoir des enfants, ça nous fait nous pencher sur notre histoire personnelle. C’est très émouvant, s’émerveillent-ils. À chaque fois qu’on reçoit un lot, c’est un trésor, c’est merveilleux.”
Emmanuelle et Lee ont effectivement des étoiles dans les yeux lorsqu’ils parlent de leur collection grandissante, qui leur fait envisager de nombreux virages dans leur projet d’origine. En effet, si la volonté première était de rassembler et de donner vie à ces diapositives qui finissent parfois à la poubelle, ils se sont rapidement rendu compte que, du Ghana à l’Allemagne en passant par les États-Unis ou la France, certaines thématiques étaient récurrentes. Emmanuelle Halkin souligne que l’expérience est presque devenue sociologique :
“On s’est aperçus que, dans la deuxième moitié du XXe siècle, quand on sortait son appareil photo, c’était pour s’arrêter sur les mêmes moments de vie.”
Ainsi, plusieurs grands thèmes sont apparus. Le site propose un onglet “Me and my motor”, qui regroupe tous ceux qui, notamment au début de la photo couleur, se photographient devant leur véhicule, un onglet “Together” pour les romantiques qui souhaiteraient voir les portraits de couples ou de groupes d’amis, ou encore un onglet “Cake”, parce que le binôme s’est rendu compte, amusé, que “le foodporn ne datait pas d’Instagram”.
Comme l’indiquent Emmanuelle Halkin et Lee Schulman, c’est en rassemblant ces photographies, prises à différentes époques et à différents endroits, que celles-ci prennent sens et deviennent véritablement fédératrices.
La retransmission par l’image
Le projet n’est pas anecdotique. Il porte en lui l’idée de s’inscrire dans la sauvegarde d’un patrimoine commun. Un patrimoine en péril, les gens n’ayant plus le matériel pour visionner et développer ces embryons de photos. Si les images peuvent faire sourire, voire rire, elles retransmettent aussi beaucoup d’émotion. Qu’importe qu’on ne connaisse pas ces personnes, plonger dans leur intimité constitue un voyage émouvant dans le passé.
Toutes les images reçues n’étant pas numérisées, le duo s’affaire à un travail d’édition “à l’ancienne” afin de déterminer lesquelles valent le coup de s’offrir une deuxième jeunesse. Quasiment aucun travail de retouche n’est appliqué aux photos (mis à part quelques traitements occasionnels de la couleur, qui s’affadit avec le temps), afin de conserver ce “côté imparfait de la photo vernaculaire”.
Pour le moment, le duo trouve une grande partie des diapositives sur Internet, dans des vide-greniers ou sur des marchés aux puces, mais les deux amis espèrent continuer à internationaliser leur projet en créant une véritable communauté, ce qui les aiderait à alimenter leur stock.
Le projet livre son lot de surprises et semble avoir tant de ramifications que ses créateur·rice·s n’y voient pas de fin. Les images permettent de voyager à travers l’histoire de la photographie mais aussi dans l’intimité d’illustres inconnus, ce qui nous pousse à “nous pencher sur notre histoire personnelle”. Le passé finit par devenir d’actualité et paraît si proche, que les anonymes deviennent familiers.
Vous pouvez retrouver Anonymous Project sur leur site, leur page Facebook et leur compte Instagram.