Il est abonné aux tops des “pires films de l’histoire”. Des années durant, Showgirls est resté l’un des exemples phare de ce qu’il convient bien d’appeler un “désastre cinématographique”.
D’abord à cause de son naufrage commercial – 20 millions de recettes en salles américaines à sa sortie en 1995, pour 45 millions de budget. Puis d’un lynchage médiatique XXL. À l’époque, aucune expression n’est assez dure pour clouer au pilori la (supposée) vulgarité de cette œuvre brossant avec force kitsch l’ascension d’une danseuse de L.A., depuis les clubs de strip-tease jusqu’à l’un des spectacles les plus huppés de la ville.
Alors Showgirls, pièce oubliable et oubliée ? Au contraire. Près de 30 ans après sa première diffusion, le titre du film de Paul Verhoeven suscite encore la fascination – il est devenu culte, tout simplement. Mais par quel prodige ? Récit du parcours hors normes d’une œuvre crucifiée, ressuscitée puis portée aux nues.
Une esthétique du too much
Après le triomphe de Basic Instinct, le tandem Paul Verhoeven (à la réal’) et Joe Eszterhas (alors l’un des scénaristes les plus prisés de Hollywood) décident de remettre le couvert avec, pour décor, Las Vegas. Sur les plateaux, le cinéaste dispose d’une liberté quasi totale. Les producteurs font confiance les yeux fermés à celui qui avait alors enchaîné les succès (RoboCop, Total Recall…).
“J’étais totalement libre j’ai fait exactement ce que je voulais faire ! Avec le recul, je me dis que ça a apporté au film un vrai style mais que ça ne l’a peut-être pas beaucoup aidé, commercialement…”
La formule de Verhoeven, rapportée par Allociné, a de quoi faire sourire quand on connaît la réception polaire de l’œuvre. De fait Showgirls a bien un “vrai style” : celui du over the top. Grosso modo tout est exagéré. Tout, vraiment tout.
L’œuvre s’inspire des comédies musicales de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) des années 1940. Mais troque leur romantisme un tantinet désuet, aux yeux du spectateur des 90’s, pour une esthétique ultra tape-à-l’œil. Sorte de surenchère de too much nourrie par la crudité des dialogues, le cynisme exacerbé, l’explosion de lumières…
Cet excès de chaque minute trouve son point d’acmé avec l’interprétation d’Elizabeth Berkley, dans le rôle-titre de Nomi Malone, une belle âme décidée à gravir les échelons du show-business. Incitée par Verhoeven à adopter un jeu pour le moins saccadé, les mouvements de l’actrice (jusque-là presque inconnue) sont parfois si brusques qu’ils en frisent le burlesque. Too much, qu’on vous dit.
Film démoli, meurtri, anéanti (etc.)
C’est peu dire que le parti pris de Verhoeven passe mal. Parmi le flot de formules au vitriol imprimées dans les colonnes des plus célèbres magazines américains, on trouve : “La seule chose positive dans Showgirls, c’est que sa sensibilité reflète à merveille le microcosme qu’il dépeint : incroyablement vulgaire, indigne et grossier”, signé Variety. Côté hexagonal, le ton n’est guère plus tendre. Chez Les Inrockuptibles, on fustige par exemple “une anthologie de la vulgarité proche du néant”. Rien que ça.
Au total, l’œuvre (très) mal-aimée reçoit le chiffre assez glaçant de 13 nominations aux Razzie Awards 1996 – la cérémonie “distinguant” les pires productions ciné. Showgirls récolte les prix du pire film, pire scénario, pire actrice, pire révélation féminine, pire couple à l’écran, pire bande originale et… pire réalisateur. Sacré chapelet de “récompenses”. Fait rare : Paul Verhoeven est présent durant l’événement pour récupérer en personne le prix dont il hérite, bien malgré lui. Beau geste.
La claque est telle que même l’équipe de tournage se lâche. Auprès du Washington Post, le pas hyper corporate Joe Eszterha déclare en 1997 : “on a clairement fait des erreurs […] c’est l’un des plus gros échecs de nos carrières”. Quant à Kyle MacLachlan, l’une des têtes d’affiche du casting du film, voilà sa réaction après avoir vu la première du film : “J’étais absolument abasourdi. Je me suis dit : c’est horrible, horrible !”. OK.
Réhabilitation surprise
Film enterré comme un navet, Showgirls remonte lentement des enfers. Projeté aux côtés de comédies décapantes dans les programmes tardifs des salles obscures américaines, le bébé maudit de Verhoeven est peu à peu perçu avec second degré. Là où on ne voyait que grossièreté, on découvre une hilarante satire de l’industrie du show-business.
Flairant le bon filon, la société de distribution du film, MGM, décide de faire la promotion du film en le présentant comme raté. Mais si raté… qu’il en devient bon. Jackpot. Le mot se répand, et la location vidéo du film génère quelque 100 millions de dollars – faisant ainsi de Showgirls un improbable best-seller de la MGM.
Dans la foulée, de grands pontes du cinéma tels que Quentin Tarantino, Jacques Rivette ou Adam McKay prennent publiquement sa défense. Et, côté universités américaines, au courant des années 2000, on commence à faire de Showgirls une lecture féministe. Derrière son (épaisse) couche de vernis exhibitionniste, l’œuvre pourrait bien dénoncer la misogynie ambiante des milieux du spectacle…
Lors de sa nouvelle sortie au ciné’ en 2016, çà et là, les critiques voient carrément dans le film une critique au vitriol de la société spectacle. L’extravagance des décors et l’incongruité des dialogues seraient le saisissant écho de la vacuité d’une société qui part à vau-l’eau. Du vent, rien que du vent. Why not ? En fait, les degrés d’interprétations se sont tant multipliés qu’on ne sait plus trop pourquoi Showgirls vaut le coup d’œil.
Est-ce parce qu’il est si mauvais qu’il en devient drôle ? Parce que ses excès flirtent avec le commentaire social corrosif ? Ou adore-t-on juste le film parce qu’il est… bon ? Le débat reste ouvert. Et c’est bien pour ça que Showgirls n’est pas près de déchoir de son statut d’œuvre culte.