Dans la tête de Kevin cohabitent l’aimable Barry, l’inflexible Patricia, cette pile électrique d’Edwig et… 20 autres personnalités dont l’une, enfouie, menace de surgir afin de massacrer, au nom d’un idéal de pureté, plusieurs innocents. Voilà le pitch du second volet de la trilogie fantastique signée M. Night Shyamalan, Split (2016).
Une pépite de suspens inspirée d’un diagnostic psychiatrique : le trouble dissociatif de l’identité (TDI). Mais aussi, et surtout, basé sur un parcours glaçant – et authentique. Celui de William Stanley Milligan dit “Billy”, également surnommé aux États-Unis “The Campus Rapist” (le violeur du campus). Avant d’être à la source de Split, son histoire au retentissement historique a inspiré la pièce italienne 24 volte Billy (Cinzia Tani), ainsi que le livre Les Mille et unes vies de Billy Milligan (Daniel Keyes). En voici le récit.
Une enfance arrachée au forceps
Comme dans la majorité des cas de TDI, le mal de Billy prend sa source dans des traumatismes infantiles. Né en 1955 à Miami Beach, l’enfant a 4 ans seulement lorsque meurt son père, qui souffrait d’alcoolisme et de dépression, suite à un suicide par intoxication au monoxyde de carbone. Devenue veuve, la mère de Billy se remarie en 1963 avec Chalmer Milligan, qui commence alors à battre et abuser sexuellement le garçon. Billy a huit ans.
Devenu adolescent, il multiplie les forfaits. Vol à main armée, agressions, séquestration et viol. Crimes pour lesquels il est incarcéré deux ans dans une prison de l’Ohio. Peu après sa sortie, Billy retourne sur les bancs du tribunal. On l’accuse d’avoir violé trois étudiantes de l’Ohio State University.
Examiné par des psychiatres lors de la préparation de sa défense, il est d’abord diagnostiqué schizophrène, puis atteint de TDI. Lequel trouble implique “la présence de deux ou plusieurs identités ou ‘états de personnalité’ distincts qui prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet, s’accompagnant d’une incapacité à évoquer des souvenirs personnels”, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (“DSM”, une référence mondiale en la matière).
24 personnalités pour un seul visage
À la lumière de ces informations, ses avocats plaident la non-culpabilité au motif que certains “alter ego” auraient commis des crimes, sans que Billy n’en soit conscient. Et donc responsable. Pour la première fois de l’histoire, une personne est jugée non responsable suite à la mention d’un TDI.
Envoyé dans diverses institutions psychiatriques, les spécialistes décèlent non pas trois, quatre, ni même cinq individus se “partageant” le corps de Billy, mais 24. Avec autant de talents, de caractères et d’ambitions distinctes.
Coexistent par exemple un communiste yougoslave aspirant à la justice sociale et… une enfant de 3 ans souffrant de dyslexie. Plusieurs experts distinguent également un arabophile ayant appris la médecine en autodidacte, un bandit spécialisé dans la planification de délit ou encore un garçon de 4 ans atteint de surdité. Billy est libéré en 1988, après huit ans passés au sein d’hôpitaux psychiatriques. Il meurt d’un cancer en 2014, à l’âge de 59 ans.
Offrande sanglante à “La Bête”
Fasciné par l’idée d’une mosaïque de personnalités dans un seul corps, M. Night Shyamalan a décidé de faire du diagnostic de Billy la matière première de Split. En a résulté une véritable démonstration de force en matière de suspens, où, à l’instar de Billy, un certain Kevin, victime de maltraitance infantile, est devenu malgré lui “l’hôte” de 23 personnalités.
Selon un complexe système d’exclusions et d’alliances, chacun essaie de “prendre la lumière” – comprenez, contrôler le corps de Kevin. Certaines personnalités sont inoffensives, d’autres moins. Beaucoup moins. Ainsi du très, très, méticuleux Dennis, qui enlève au début du film deux jeunes filles jugées “impures” ainsi que, par un malheureux concours de circonstances, Casey – l’excellente Anna Taylor-Joy, révélée dans The Witch. Ce afin de nourrir “La Bête”. Soit la 24e personnalité ensommeillée de Kevin, quant à lui incarné par James McAvoy, qui déploie avec Split toute l’étendue de son talent.
Thriller psychologique flirtant avec le surnaturel (et si les personnes atteintes de TDI pouvaient repousser les limites de “l’humanité” ?), Split a rapporté quelques 278 millions de recettes et été largement salué par la critique comme le retour en force dans l’horreur de M. Night Shyamalan, en suivant le sillon amorcé avec The Visit (2015), après les accueils polaires réservés au Dernier Maître de l’air (2010) et After Earth (2013).
Un film stigmatisant ?
Succès commercial et carton auprès des critiques, le film n’en a pas moins suscité une vive levée de boucliers. La raison ? Une illustration estimée trop violente – et donc stigmatisante – des personnes atteintes de maladies mentales. La Société internationale pour l’étude du trauma et de la dissociation a par exemple publié en 2017 un communiqué dénonçant un film réalisé “au détriment d’une population vulnérable qui se bat pour être reconnue et recevoir le traitement efficace qu’elle mérite”.
Certaines personnes atteintes de TDI ont également rédigé des lettres ouvertes en s’insurgeant contre la représentation effrayante (sinon clairement monstrueuse) de Kevin. L’une d’elles accuse : “Split représente une parodie grossière de notre condition basée sur la peur, l’ignorance et le sensationnalisme […] le sectarisme de votre film d’horreur inspirera une nouvelle vague de révulsion et de haine contre la diversité […]. Votre œuvre s’inscrit dans une longue tradition nous dépeignant comme de dangereux et imprévisibles malfaisants.” (2)
De fait, Split est loin d’être la première œuvre à être accusée de nourrir des préjugés négatifs sur le trouble mental. Psychose, Vol au-dessus d’un nid de coucou, ou encore Black Swan sont quelques-uns des titres souvent cités par les psychiatres. Avec, dans le viseur, la vision jugée biaisée que charrie, parfois, le 7e art sur un domaine qui, à ce jour, demeure largement obscur alors même qu’il touchait en 2019, selon l’OMS, un huitième de la population mondiale : le trouble mental.