Elle répond au doux nom de Samantha. Lorsque Theodore Twombly “donne naissance” à cette IA en installant un nouveau système d’exploitation smart sur son ordi, le héros romantico-nerd de Her ne le sait pas encore, mais sa vie va être bouleversée. Bientôt, ce mélancolique qui, depuis des mois, n’aspire qu’à combler le “petit trou” qu’il a au cœur va vivre une romance comme seul le cinéma peut en offrir.
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Un élan plein de sensualité 2.0 (4.0 ?), de perles de rires, d’élans vers l’inconnu… Aux côtés de Samantha, donc. L’être de codes et d’algorithmes dont Theodore tombe amoureux, éperdument, et dont les atours paraissent – étonnamment – si séduisants qu’on en viendrait presque à jalouser cette relation virtuelle. Idée complètement lunaire ou… sain idéal ?
La partenaire la plus dispo’, la plus intelligente, la plus drôle (etc.)
Replaçons le contexte. Le très fantasque et très imaginatif Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation…) ancre son récit dans un futur pas si lointain, du côté d’un LA aux couleurs chaudes et au design épuré. Dans les rues de cette séduisante métropole, Theodore Twombly (Joaquin Phoenix) traîne un pas lourd, la mine soucieuse, le front inquiet.
La journée, ce quadragénaire à la dégaine de looser (la faute à la moustache et aux pantalons hauts), rédige des lettres émouvantes à la place d’autrui pour une start-up florissante. Le reste du temps, il écoute des playlists mélancoliques, joue à un jeu vidéo pas franchement jovial et, en cas d’insomnie, s’envoie en l’air avec des inconnues au téléphone. Incapable de se défaire du poids de sa relation passée, Theodore, en un mot, s’englue dans une solitude sans fond. Enfin ça, c’est jusqu’au jour où le cœur brisé télécharge un système d’exploitation d’un genre nouveau : OS1. Oubliez Siri & Co, là on parle de vraie intelligence artificielle.
À peine installée, celle qui décide de s’appeler Samantha et ne peut se manifester que par la voix (celle de Scarlett Johansson) brille par son “esprit”. En plus d’être ultra-super méga efficace question triage de mails, l’IA étonne par ses traits d’humour, sa curiosité, son charme. Son intelligence, aussi. Son goût de l’aventure, sa soif de découverte – bref, Samantha est une personne “à part entière”. Une personne dont Théodore aura tôt fait de s’amouracher (comment lui en vouloir ?), puis avec qui il engagera une relation. Et bonne nouvelle : tout s’annonce sous les meilleurs auspices.
Primo, Samantha qui, elle aussi, tombe “follement amoureuse”, est pour le moins hyper dispo’. Pas de “ça va être compliqué ce soir bébé”, “j’ai à faire cette semaine”. Encore moins de lapins de dernière minute. Theodore a simplement à activer son oreillette et – bim – la dulcinée est là, présente. Suggérant déjà le bon plan du soir, empilant les blagues, poussant notre antihéros léthargique à donner le meilleur de lui-même. Secondo, l’IA étant (logiquement) programmée pour bien s’entendre avec son utilisateur, son profil matche à 100 %. Les tourtereaux se comprennent, s’épaulent, s’adorent. Elle découvre le désir, lui renoue avec. Magique.
Pas de chair, mais polyrelation XXL
“Ils vécurent heureux et…” – nope, on n’est pas chez Disney ici. Bien vite, le rêve mielleux s’effrite. Commençons par l’évidence : Samantha n’a pas de corps. Alors forcément, à un moment donné, ça coince. Certes Theodore, grâce à une sorte de caméra portative, peut “emmener” Samantha partout avec lui et partager une vision commune. Certes, ce couple cultive une vie érotique en échangeant ses fantasmes à l’oral. N’empêche.
Samantha souffre amèrement ne pas pouvoir partager d’expérience sensorielle et, lorsqu’elle tente d’y pallier, notamment, en faisant appel à une amie (humaine) pour s’offrir une relation sexuelle “de chair” avec Theodore, le “ménage à trois” échoue lamentablement. Puis creuse le fossé qui les sépare.
Mais le pire est à venir. À mesure que Samantha explore les limites, ou plutôt l’absence de limites, de sa capacité à assimiler des connaissances, elle tisse des liens. Voilà que Madame échange avec l’IA du philosophe décédé britannique Alan Watts. Pour la première fois, Theodore ressent la brûlure de la jalousie. Mais le pire est à venir (bis). En pleine crise conjugale, cette fleur délicate commet l’erreur de demander de combien de personnes Samantha est amoureuse, en ce moment même.
Réponse à la précision un brin glaçante : 641. Breaking news : Samantha n’est pas monogame. Attention, l’idée de déconstruire le modèle traditionnel du couple peut ne pas être effrayante en soi – mais étant donné la taille du chiffre, on comprend que la pilule a du mal à passer. “C’est de la folie”, s’éplore Theodore. Et à Samantha d’essayer de le convaincre que ces polyamours ne remettent pas en question les sentiments qu’elle lui porte. Mais déjà, les deux ne se comprennent plus. Et voici que pour une raison qui demeure mystérieuse Samantha et ses compères OS s’en vont. Pas de happy ending. Juste le brutal point final d’une relation que nous, spectateurs, nous étions surpris à prendre en affection. Et dont le naufrage laisse un goût doux-amer.
Un film d’anticipation ?
Her a souvent été reçu comme une fable. Le récit fantasmagorique, sensible et lyrique d’une rencontre amoureuse possible entre l’humain et l’IA. Mais à bien y regarder, le 4e long-métrage de Spike Jonze n’a pas grand-chose du récit “SF”. Tout au plus est-il une (petite) anticipation.
La preuve. En Chine, une entreprise a conçu à Xiaolce, une IA “dialogueuse” fonctionnant comme un chatbot dont la particularité est d’offrir un soutien émotionnel à ses usagers – dont certains ont témoigné être tombé in love. À tel point que ce programme est parfois surnommé “le robot de l’amour”.
Parmi plusieurs autres exemples, l’application Replika propose de créer un avatar numérique avec qui échanger. Voire développer une relation affective, et sexuelle. Affaire de marginaux ? L’app’ revendique plus de 7 millions de téléchargements, tout de même. De quoi interroger sur le futur de nos relations émotionnelles.
Après tout, comme l’imagine le film Her, et le prouvent plusieurs fonctionnalités d’IA déjà existantes, les frontières entre l’humain et le virtuel s’amenuisent. Mais de là à fantasmer l’idylle avec une IA taillée “sur mesure”, il y a un pas. L’histoire de Théodore et Samantha le prouve : là où il y a sentiment, il y a complexité.
Flirt, premiers émois sensuels, période d’enchantement (la fameuse “lune de miel” chère aux psychologues). Puis l’émergence de dissensions autour de la libido, du statut du couple (exclusif ? Pas exclusif ?), la hantise des ex… Leur couple suit finalement un cheminement assez conventionnel. Avec les bons, et les mauvais côtés.
Le film souligne aussi, par-delà les soucis inhérents a à peu près n’importe quelle relation affective, l’émergence de problèmes liés à la rencontre entre être de chair (finie) et entité numérique (acorporelle, mais infinie). Il y a des fossés sur lesquels on ne peut pas éternellement fermer les yeux. Au début la virtualité de Samantha ne pose guère problème. Elle paraît presque charmante – une originalité, quoi. Il n’aura malheureusement pas fallu attendre longtemps avant que cette donnée rappelle aux amoureux la cruelle évidence : ils ne sont pas de la même étoffe.
Et à Samantha, donc, d’explorer le champ de ses possibles – quitte à laisser Theodore sur le carreau… Drame de couple. En somme, si vous aviez naïvement cru trouver votre salut dans un “néoamour” sans ombrages aux bras d’une IA développée par les Big Tech dans vingt, trente ans : c’est râpé. On préfère être cash. Ça évitera les désillusions. Allez, haut les cœurs.