Avec le succès international de Lupin, les séries françaises de Netflix n’attirent désormais plus la moquerie des sériephiles les plus sévères. Le bad buzz de Marseille est parti aux oubliettes depuis longtemps, notamment grâce à de belles réussites (pas toujours populaires, certes) comme Marianne, La Révolution ou encore Family Business. Si ces œuvres ne sont pas toujours parvenues à trouver leur public, la plupart d’entre elles étant annulées après une seule saison, elles ont en revanche eu l’audace de tenter des choses et d’explorer les genres. C’est justement le cas de Caïd, la petite dernière création francophone réalisée par Ange Basterga et Nicolas Lopez.
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Les deux réalisateurs ont souhaité adapter leur long-métrage autoproduit en série avec un parti pris fort : le found footage, cette fameuse technique de mise en scène dite amateur, où les images sont filmées comme une bande-vidéo recyclée. Un procédé démocratisé et même très populaire dans le cinéma d’horreur des années 2000, avec les franchises Rec et Paranormal Activity. Mais dans le cas de Caïd, le found footage est employé pour nous offrir une sensation d’immersion palpable dans les quartiers d’une cité du sud de la France, dans un show à la croisée de “Blair Witch et Top Boy“ comme aime le décrire Ange Basterga.
Franck et Thomas, un réalisateur et son caméraman, sont recrutés par un label de musique pour tourner le clip d’un rappeur montant. Le tandem débarque avec une certaine appréhension dans une banlieue où les deals, les règlements de compte armés et la fraternité font loi. Forcément, les deux hommes ne sont pas vraiment bien accueillis, alors que les habitants de la cité leur opposent une certaine méfiance voire hostilité quand ils commencent à filmer leur quotidien. Rapidement, les choses s’enveniment lorsqu’une guerre des gangs éclate au beau milieu de leur tournage. Franck et Thomas vont devoir survivre au cœur de ce conflit, où les alliés se font rares et les ennemis impitoyables.
Spielberg, drogues et rap français
Ⓒ Netflix
Fort de son emprise sur le rock depuis les années 2000, le milieu du rap (et des banlieues) est de plus en plus décortiqué par les scénaristes français sur le petit écran. On pense évidemment à Validé de Franck Gastambide, gros succès populaire de Canal+ l’année dernière, à laquelle Caïd se rapproche sur plusieurs points. On y trouve en effet une volonté d’offrir un point de vue immersif sur ce milieu fascinant, à travers une plongée dans la carrière d’un MC émergent et un environnement pas toujours propice à son éclosion.
Ici, le rappeur en question est Tony, chef d’une bande de dealers de son quartier, fraîchement sorti du trou. En vérité, Tony aspire à s’extirper de ses HLM pour s’offrir une meilleure vie et protéger sa famille, souvent prise au milieu des fusillades qui ponctuent leur quotidien. Contrairement à Validé, qui revenait en profondeur sur les différentes étapes musicales et personnelles d’Apash, Caïd propose une sorte de chronique étalée sur quelques jours des espoirs et des obstacles à l’explosion de Tony. Un sentiment renforcé par cette mise en scène mi-documentaire mi-fictive du found footage, le gros point fort de la série.
D’abord, parce que la caméra en POV d’Ange Basterga et Nicolas Lopez renforce l’adrénaline du séjour pour le moins explosif de Franck et Thomas dans la cité. Contrairement à l’amateurisme forcé des productions de Jason Blum, les deux réalisateurs proposent un vrai travail sur la composition des plans et les qualités esthétiques de Caïd. Plusieurs épisodes spectaculaires, dont la course-poursuite avec la police de l’épisode 4 et le style inspiré des jeux vidéo FPS du dernier épisode, emmènent le spectateur au cœur de l’action pour apporter une sensation de réalisme à l’ensemble.
Ⓒ Netflix
Les deux créateurs cherchent d’ailleurs une forme de témoignage sur la banlieue dans leur série. Ils ont laissé une place importante à l’improvisation pour leurs acteurs, afin de ne pas tricher sur leur langage et leurs conditions de vie souvent difficiles. Dans la même idée, Franck et Thomas, sachant leur vie en danger, sont littéralement abandonnés par leur label alors que la guerre fait rage dans les quartiers. Ils deviennent des renégats, des oubliés de la société, qu’on laisse s’entretuer pour ne pas avoir à affronter la vérité de leur situation dangereuse. Au fur et à mesure des épisodes, les deux protagonistes deviennent en réalité les nouveaux “caïds” de la cité, quitte à se prendre au jeu hostile du deal et de l’économie souterraine.
Si les épisodes de 10 minutes favorisent l’action haletante et sans temps mort du show, ils ne sont pas optimaux pour creuser les personnages. Ange Basterga et Nicolas Lopez veulent clairement apporter de la chair à Tony, visiblement plus humain et vulnérable qu’il ne le montre fusil en main, tout comme à Franck, qui se retrouve petit à petit perverti par la violence qui l’entoure. Malheureusement, ils n’ont pas le temps de proposer une véritable évolution pour ces deux personnages tragiques, confrontés à des choix qui ne leur permettent pas d’accomplir leurs rêves et désirs d’ailleurs. Ils se retrouvent coincés dans la masse, obligés de la suivre pour survivre en attendant des jours meilleurs.
Ainsi, même si la série pèche par la redite poussiéreuse de certains clichés du genre, Caïd est traversée par un discours sincère et palpitant sur le piège de la banlieue. Un lieu rempli d’espoir et de passion pour ces jeunes enfermés dans une caverne de Platon, où la seule issue proposée est celle de la violence et du trafic. La fin de la saison, âpre et brutale, n’a pas plu à tous les spectateurs. Elle reste pourtant symbolique de ces images volées inhérentes au found footage mais aussi du destin tragique de Tony et celles et ceux qui peuvent s’identifier à ce cador de la street.
La première saison de Caïd est disponible en intégralité sur Netflix.