Avec un Penn Badgley en forme, You représente le vaccin parfait contre le dating et, globalement, l’utilisation de n’importe quel réseau social. Attention, spoilers.
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Grâce à Internet – ou plutôt à cause du Web –, n’importe quelle personne peut devenir un livre ouvert. Les clichés de vacances qu’on partage avec nos prétendu·e·s ami·e·s sur Facebook, les selfies géolocalisés qu’on poste sans vergogne sur Instagram, les vidéos qu’on like d’un simple pouce levé sur YouTube… Tant de données qui sont, à moins qu’on ne les contrôle ardemment, à la portée de tous… et surtout de n’importe qui. C’est ce que Beck, écrivaine en herbe et héroïne de You, a pu réaliser en devenant la proie naïve et innocente de Joe, son stalker pour qui les réseaux sociaux ont été une arme de poids.
Avec You, série troublante adaptée du roman de Caroline Kepnes, la showrunneuse Sera Gamble (The Magicians) façonne une histoire d’amour qui n’en est pas une. On rembobine. En dix épisodes, You se penche sur la rencontre fortuite entre Beck et Joe, dans la librairie de ce dernier. De fil en aiguille, une relation naît entre eux. Si le récit nous était conté du point de vue de la jeune femme, on croirait être face à une comédie romantique à l’eau de rose. Sauf que, et c’est là toute la spécificité de la série, tout nous est raconté à travers les yeux de la moitié masculine de ce couple.
Dans la lignée du personnage éponyme de Dexter, qui arrivait à rationaliser ses actes criminels, Joe Goldberg – très justement incarné par Penn Badgley, le poète solitaire de feu Gossip Girl – est un détraqué. Dès sa première rencontre avec Beck, il la place sur un piédestal et se fait la promesse de la conquérir coûte que coûte. Il se met alors à la stalker, aussi bien virtuellement (il parvient à mettre la main sur son téléphone pour épier ses textos) que physiquement (il l’espionne de l’autre côté de la rue tandis qu’elle change de vêtements). Tout part encore plus en vrille lorsque Joe, prêt à tout pour offrir à sa douce ce qu’il pense être bon pour elle, se met à faire du mal aux personnes de son entourage.
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En clair, You nous est présentée à travers le regard du bad guy. Alors oui, au départ, on pouvait se dire que le pitch de base s’annonçait des plus bancals. Une énième histoire de femme prise pour cible par un homme aux intentions douteuses ? Bitch please, ça sent le vu et revu. Sauf que You, pour le coup, parvient à se démarquer avec ses personnages nuancés et creusés, loin des stéréotypes qu’on pouvait craindre. Fascinant, oscillant souvent entre deux extrêmes, Joe pourrait être qualifié de “sociopathe édulcoré”, dans le sens où, si sa folie – évidente – se manifeste çà et là, la série ne manque pas de souligner son côté bon, ne serait-ce que pour qu’on puisse saisir ce que Beck lui trouve.
Le piège, que la série a en partie réussi à éviter, était de faire de Joe un personnage trop sympathique, à tel point qu’on en viendrait à lui pardonner ces actes répréhensibles. Dans le pilote, il enchaînait les réactions douteuses (fouiller le Facebook de sa target, dénicher son adresse) mais, grâce à sa voix off étrangement rassurante et réfléchie, tout cela semblait presque rationnel. Tout s’écroule dans les dernières minutes, quand il frappe l’ex de Beck avec une masse et l’enferme dans une cage. Le reste de la saison fonctionne d’après ce même schéma, la série venant nous rappeler ponctuellement que non, Joe n’est pas cute, et non, rien de ce qu’il fait n’est excusable, qu’importent les yeux de biche de Penn Badgley.
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De l’autre côté de la balance, nous avons les personnages féminins, écrits avec beaucoup de nuances. Beck, l’héroïne, est étonnamment complexe. Si son stalker la considère comme une innocente demoiselle en détresse, elle est bien loin de cet archétype désuet. Beck a ses défauts, comme un ego mal placé, des penchants autodestructeurs et une fâcheuse tendance à se morfondre. Face à elle, il y a aussi Peach, sa “meilleure amie”, brillante de manipulation, tantôt touchante, tantôt méprisable. Loin de Rosewood et des Pretty Little Liars, Shay Mitchell l’incarne avec brio. Là où le bât blesse, c’est dans la décision de la série de se séparer de ces deux personnages. Si cette décision est cohérente – You est avant tout l’histoire de Joe Goldberg –, elle reste déplorable.
Dans le fond, au-delà de son intrigue addictive ponctuée de rebondissements et au suspense maîtrisé, le point fort de You est son approche des réseaux sociaux. Pour Joe, ces derniers sont un levier, un moyen d’avoir l’avantage sur sa proie et de la manipuler. Pour Beck et les autres personnages, ils représentent un moyen de construire de A à Z une nouvelle identité, un second soi.
Sur Instagram, Beck est tout sourire face à son latte Starbucks ou en soirée avec des copines. En vérité, ces filtres numériques cachent ses névroses, ses complexes et son cruel manque de confiance en elle. Pour beaucoup, les réseaux sociaux sont un exutoire, une sorte de thérapie personnalisée. You partage ici un point de vue plus pessimiste, présentant ces mêmes interfaces sociales comme l’annihilation de toute vie privée et, par conséquent, la mise en danger de sa personne.
Après avoir maté la première saison de You, il est évident que la série est la vie de Joe, et le restera au moins jusqu’à la saison 2, déjà commandée. Pourtant, on ne peut s’empêcher de se dire qu’on a surtout assisté à l’histoire de Beck, une jeune femme avec ses qualités et ses défauts, victime non seulement d’un harceleur mais aussi de la pression sociale de son entourage. Tout au long de la série, elle souffre de la perception de ses proches, Joe comme Peach ou encore son père, qui ne cessent de la fantasmer, de la voir telles qu’ils la veulent et non pour ce qu’elle est. Sa trajectoire, tragique, nous évoque celle d’une figure shakespearienne. Qu’on regarde You selon le prisme de Joe ou de Beck, comme un divertissement ou comme un avertissement, la série mérite amplement d’être regardée.
You vient d’achever sa diffusion sur Lifetime aux US et débarquera le 26 décembre sur Netflix en France.