Training Day, MacGyver, 24: Legacy… la série d’action est-elle vouée à être débile ?

Training Day, MacGyver, 24: Legacy… la série d’action est-elle vouée à être débile ?

C’est vrai ça, c’est pas parce qu’on a des gros guns et qu’on fait tout péter autour de soi, qu’on est forcément con… non ? Bah apparemment, si.

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Quel est ce drôle de syndrome dont semblent être affectées les séries d’actions du moment ? Les symptômes sont connus de tous et se répandent vitesse grand V. Les contaminées sont les suivantes : Lethal Weapon, Hawaï 5-0, NCIS Los Angeles ou New Orleans, Training Day, MacGyver, Rush Hour, ou, dans une certaine mesure, 24: Legacy (on reviendra plus tard sur son cas).

Leurs points communs : ce sont des séries policières, ou vendues comme telles, d’action, menées par des héros masculins – si c’est un duo, c’est encore mieux –, avec des enquêtes de la semaine, des méchants qui se font prendre à la fin, des héros qui marchent au ralenti devant une explosion, des décors ensoleillés, des filles en bikini qui font tapisserie. Ces séries sont toutes sur des networks plutôt conservateurs (CBS en tête, mais aussi FOX) et surtout… elles sont bien débiles.

Sea, sex and gun

Disons, pour ne vexer personne, qu’elles ne représentent pas un grand challenge intellectuel pour ceux et celles qui les regardent. Ces séries policières 2.0 ont décidé de sortir du commissariat pour aller chercher l’action là où elle se trouve : dans les rues bordées de palmiers de Los Angeles, Miami, Hawaï, la Nouvelle-Orléans. C’est sexy, il y fait beau toute l’année, certaines abusent même de filtres jaunes bien dégueulasses pour renforcer l’effet “soleil de plomb” (coucou Training Day), et ça donne une très bonne excuse pour y croiser des filles peu vêtues. Bref, on est à des années lumières des séries policières âpres et ultra-réalistes comme Hill Street Blues ou, dans un genre apparenté, Third Watch. On arrête là la comparaison, c’est pas très fairplay pour Hawaii 5-0 et ses copines. Et évidemment, elles ne s’adressent pas au même public.

L’autre point commun qu’ont ces séries (là encore, à l’exception de 24: Legacy), c’est qu’elles ont toutes une pointe d’humour. Elles ne se prennent pas au sérieux, et c’est sans doute pour ça qu’on leur pardonne leur niveau de sophistication bas du front (sauf à toi, Training Day, tu crains beaucoup trop !). Ce sur quoi on a plus de mal à passer l’éponge, c’est sur les petites saillies racistes et sexistes, subtilement distillées. Le public ciblé ne s’en rendra même pas compte, parce que ces séries parlent son langage.

C’est relativement inoffensif, probablement involontaire, mais avec des writer’s room composées essentiellement d’hommes blancs hétéros, on ne s’attend pas vraiment à des modèles d’ouverture et de diversité. Difficile d’obtenir des statistiques sur la proportion de personnes de couleur derrière ces séries, mais sachez qu’en coulisses, seules deux femmes pour onze hommes écrivent sur MacGyver, et deux sur dix pour Lethal Weapon. Peut (beaucoup) mieux faire !

Surtout, ne rien changer

Pas la peine d’épiloguer davantage. Vous l’aurez compris, si ces séries ont autant de points communs, c’est qu’elles sortent toutes du même moule. Et pourtant, les œuvres originales dont elles sont inspirées sont très différentes. Le film Training Day était relativement cool, alors que son remake télé est carrément honteux. NCIS LA est un peu la frangine sexy et fêtarde de la vieillissante NCIS. Même topo pour Hawaii 5-0 et la rétro Hawaï Police d’État. Lethal Weapon version série, au demeurant très sympathique, n’égalera jamais les films cultissimes L’Arme Fatale ; et MacGyver cuvée 2016 est… on ne veut même pas en parler, la blessure est encore trop fraîche. Bref, s’il y a eu malfaçon, c’est à l’usine que c’est arrivé, au moment du délicat processus d’adaptation.

Évidemment, tous les remakes, reboots et autres spin-offs ne connaissent pas le même sort, et la liste de ceux qui sont de vraies réussites a beau être courte, elle a le mérite d’exister. Non, le problème, ce n’est pas de vouloir faire du neuf avec du vieux. Le problème, dans le cas présent, c’est de cumuler un genre qui supporte mal la médiocrité (l’action) avec la volonté d’en faire un truc qui ressemble déjà à tous les autres. Parce qu’en vérité, si la copie était conforme à l’originale, on aurait beaucoup plus de disparités entre ces séries. Et, allez savoir pourquoi, la série policière d’action (comprendre : qui passe plus de temps à faire péter des voitures qu’à résoudre des crimes au commissariat) souffre d’un énorme déficit intellectuel dès qu’on regarde le script d’un peu trop près.

Déjà, faire la même série que son voisin de FOX ou de CBS, c’est pas très malin. Mais en plus, les scénarios, les dialogues et les enquêtes sont tellement convenus qu’on se demande bien souvent s’il y a un showrunner à bord. En même temps, tenir sur la durée (ces séries ont souvent des saisons de 22 épisodes) avec un concept qui repose sur la surenchère d’action, c’est un défi. Bien sûr, elles pourraient compenser en injectant un peu de substance dans leurs histoires, et surtout dans leurs personnages. Mais ça irait à l’encontre de leur nature propre : si ces séries veulent conserver leur public, le plus large possible évidemment, elles ne doivent pas diviser. Et un héros qui change, qui apprend de ses erreurs ou prend des décisions radicales, c’est un héros qui risque ne plus être conforme aux attentes d’un public qui l’a aimé pour ce qu’il était, et moins pour ce qu’il est devenu.

Nous sommes sur des séries conservatrices dans tous les sens du terme : politiquement, bien sûr, mais aussi “psychologiquement”. Le changement, c’est l’ennemi. Leur succès repose sur cet immobilisme. Si demain Martin Riggs arrête de pleurer la mort de sa femme et décide de tourner la page, il cesse d’être ce personnage borderline et alcoolo qui défie la mort à chaque épisode – en partie pour le fun (le sien et le nôtre) mais aussi beaucoup parce qu’il est mu par des pulsions autodestructrices. Non, pour le bien de Lethal Weapon, Martin Riggs ne peut pas guérir. Il peut aller mieux, mais seulement temporairement, histoire de finir l’épisode sur une note légère.

Le cas 24: Legacy

L’héritage empoisonné de 24 Heures Chrono laisse sur son passage une drôle impression de mettre le feu aux poudres. Si ses petites collègues citées plus haut n’abordent jamais les problèmes qui rongent la société (comme le racisme dans les forces de l’ordre, pour n’en citer qu’un), c’est parce qu’elles ne sont pas destinées à nous faire réfléchir ou à questionner notre époque. Est-ce à dire, pour autant, que ces séries d’action ne peuvent pas être politiques ?

24: Legacy, rejeton attardé de 24 heures chrono, n’apporte non seulement rien de neuf à une franchise qui a marqué l’histoire des séries, mais elle est en plus totalement inappropriée pour son époque. 24 heures chrono, par un terrible hasard du calendrier, était lancée un mois seulement après les attentats du 11 septembre. Elle est devenue un symbole de l’Amérique qui riposte. Elle a mis un président noir à la Maison-Blanche, David Palmer, avant l’ère Obama. Mais c’est aussi une série qui a beaucoup été critiquée pour son apologie de la torture. Politique, elle l’était assurément. Et elle avait le mérite de regarder son époque droit dans les yeux, et de parfois lui mettre une grosse beigne sans s’excuser.

Son remake insipide, 24: Legacy, a tout compris de ce qui fait une série d’action : ça canarde dans tous les sens, le rythme est toujours aussi soutenu (les épisodes représentent toujours une heure de la vie du héros), et complot jusqu’au plus haut niveau et espionnage jouent une part importante dans le récit. Mais ici, on bascule dans un genre bien moins fun et la série se prend très (trop ?) au sérieux. On ne rigole pas avec les terroristes.

Aujourd’hui, ce remake débarque en plein tumulte du “Muslim Ban” avec un discours ouvertement islamophobe, des méchants très méchants qui parlent avec des accents, des méchants qu’on croyait gentils mais qui sont en fait très corrompus, bref… ça vole pas haut. Et même si la série a été écrite et tournée avant l’élection de Donald Trump, le climat xénophobe, qui régnait déjà aux États-Unis avant ça, n’avait vraiment pas besoin que l’on mette de l’huile sur le feu. Et à la limite, même si elle exprimait une idéologie en phase avec celle de beaucoup de ses téléspectateurs – ce qu’elle est tout à fait en droit de faire, comme avant elle, 24 heures chrono – 24: Legacy croule surtout sous le poids d’éléments d’intrigue tous plus over the top les uns que les autres. On en revient donc au problème initial : de l’action oui, mais décérébrée… et le second degré en moins.

On a quand même l’amer sentiment que la série d’action serait un genre dénué d’aspérités et, pire, que c’est un acquis parfaitement assumé. Comme si les gros flingues, les explosions massives et les poursuites de bagnoles n’étaient pas compatibles avec des scénarios surprenants et des personnages qui évoluent face aux épreuves que l’on met sur leur parcours. Certaines d’entre elles font évidemment le job et nous divertissent, mais devant chaque épisode, l’encéphalogramme reste plat, et les émotions en berne.

Or, on se heurte à l’une des injonctions les plus profondément ancrées de l’histoire de l’entertainment : cette idée incongrue selon laquelle le divertissement et la moindre stimulation intellectuelle seraient des ennemis jurés. On sait très bien que c’est faux, et elles sont nombreuses à l’avoir démontré, mais le genre tout entier semble figé dans des conceptions d’un autre âge et chérit un peu trop ses clichés. La future Taken, encore un remake de film, prendra-t-elle ce même chemin ? On sera rapidement fixés puisqu’elle arrive le 27 février sur NBC.