The Walking Dead : une leçon d’altruisme valait-elle un sacrifice majeur ?

The Walking Dead : une leçon d’altruisme valait-elle un sacrifice majeur ?

Avec un épisode émouvant, la série zombiesque effectue un passage de flambeau dans la douleur, qui alterne entre le très bon et le médiocre. Attention, spoilers de zombie.

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Depuis deux saisons et demie (les rageux diront depuis la fin de la première), “rien ne va plus” est une locution qui pourrait ouvrir chaque article concernant The Walking Dead. Quoi d’anormal me direz-vous, puisque la vie dans un monde post-apocalyptique grouillant de zombies n’a rien de réjouissant. Mais pour la série d’AMC, cette phrase d’introduction a une signification viscérale : le show enchaîne les déconvenues, les ratages grossiers et le non-respect de son matériau de base.

Quand ce n’est pas une biche en CGI réalisée avec les pieds qui vient gâcher notre plaisir, ce sont des scènes de fusillades aussi intenses que Rooney Mara en train d’engloutir une tarte à la pomme dans A Ghost Story. Pour AMC et l’équipe de la série, la note est salée : les pertes d’audience en saison 8 sont significatives. Pourtant, d’irréductibles Gaulois fans persistent, attachés à ces personnages qu’ils suivent depuis huit ans, poussés par l’envie de les voir bâtir une nouvelle civilisation pour cesser de survivre et commencer à vivre.

Juste avant de passer la main à Angela Kang au poste de showrunner, le mal-aimé Scott M. Gimple a lâché une bombe et pris le risque d’enterrer les derniers espoirs des aficionados : tuer Carl. Une décision qui a entraîné des réactions contrastées, allant des mèmes hilarants aux pétitions scandalisées réclamant l’éjection du producteur. Maintenant que les coulisses de la série ont été bousculées, le trépas de Carl a-t-il été géré de la bonne manière ?

Un départ qui fait polémique

Intrinsèquement, la mort de Carl accompagnait le départ de son interprète, Chandler Riggs. Le jeune acteur de 18 ans a appris la nouvelle du jour au lendemain selon ses dires, au même titre que les spectateurs de TWD. La décision fut si brusque pour sa famille et lui que son père est monté au créneau. Et pour des raisons honorables : non seulement Chandler Riggs avait repoussé ses études pour la série, mais son paternel a acheté une maison près d’Atlanta pour se rapprocher des lieux de tournage.

On sait pertinemment que les voies d’Hollywood sont impénétrables, mais un tel foutage de gueule en interne rajoute une couche supplémentaire au dégoût de voir Carl partir. Les lecteurs de comics subiront une déception encore plus grande, sachant combien le fils de Rick devenait essentiel dans la suite des aventures. Pourtant, à sa prise de fonction en 2013, Scott M. Gimple avait déclaré dans les médias américains combien il était fan de l’œuvre de Robert Kirkman et Tony Moore…

Avec l’épisode “Honor” qui entame la deuxième partie de la saison 8, le mal est fait mais permettra potentiellement à The Walking Dead de ravaler sa fierté et rebondir afin de proposer une série de qualité à ses spectateurs. En effet, les bouleversements en interne du show se ressentent étrangement dans cet épisode émouvant, où Carl (et donc Chandler Riggs) fait ses adieux à ses camarades et cet univers qui lui a permis de s’épanouir. Son sacrifice forcé aura au moins servi à donner une leçon d’altruisme au groupe de Rick, mais aussi et surtout à toute une équipe de scénaristes, producteurs et acteurs en perte de repères depuis trop longtemps.

L’anti-spectaculaire, une mise en scène qui nous veut du bien

Pour ce retour de la saison 8, les fans ont toutes les raisons de se sentir aussi inquiets qu’impatients en commençant l’épisode : la mort de Carl s’étalera sur 55 minutes. Inquiets, car la série a tendance à avoir le ventre mou ces derniers temps, malgré la guerre qui fait rage entre Negan et Rick. Mais impatients de retrouver cette émotion qui nous a tous foudroyés au meilleur de The Walking Dead : la perte d’un être cher, un personnage qu’on élève au rang de compagnon fictif, de modèle, d’icône.

Shane, Dale, T-Dog, Lori, Andrea, Hershel, Beth, Tyreese, Noah, Abraham, Glenn, Sasha… La liste des morts poignantes de la série zombiesque ne cesse de s’allonger. Mais contrairement à la grande majorité, celle de Carl résonne différemment. Non pas parce qu’il est le fils de Rick ou l’un des quatre derniers survivants d’Atlanta, mais par sa mise en scène. Pour une fois, le show a joué la carte de l’anti-spectaculaire, prenant au dépourvu ses spectateurs, se plaçant à contre-courant de l’industrie sérielle américaine et sa tendance à “blockbusteriser” des productions ultrapopulaires.

Dale a été éviscéré par un zombie, Hershel a eu la tête coupée par le Gouverneur, Abraham et Glenn ont été massacrés par Negan… À l’inverse, Carl a pris la décision courageuse de se donner la mort, de la même manière qu’il avait apaisé les souffrances de sa mère en saison 3. Ce geste de bravoure cache une grande sagesse de la part du personnage, qui évite ainsi de traumatiser davantage son père et Michonne.

La séquence choc témoigne de l’évolution de Carl, un personnage qui était avant tout un pleurnichard agaçant quelques saisons plus tôt. De cette manière, il transmet à Rick cette notion d’altruisme que le shérif ne saisissait pas en attaquant Siddiq dans la station-service. Judicieusement, les scénaristes et le réalisateur de l’épisode ont harmonisé ce message avec une mise en scène sobre mais très symbolique, partie intégrante de ce choix de l’anti-spectaculaire.

S’il aura fallu une cinquantaine de minutes souvent (trop) longues pour achever Carl, la séquence filmée à l’extérieur de l’église en ruines, où un seul coup de revolver vient briser le silence du chagrin, est déjà mémorable. C’est à ce moment précis qu’on ressent toute la détresse de Michonne et Rick, qui s’écroulent à l’écoute du coup de feu fatal, en hors champ. En quelques secondes, la scène sublime toute la puissance émotionnelle de la mort de Carl.
 
Nul besoin de sang ou de surenchère d’actes violents, comme avec l’exécution de Glenn, pour transmettre une émotion aussi vive et tranchante. C’est d’ailleurs pour cette raison que “The Grove” et “Coda”, dans lesquels se déroulent respectivement les meurtres de Lizzie et de Beth, font indéniablement partie des meilleurs épisodes de The Walking Dead et pourquoi pas des années sérielles post-Breaking Bad.
 
Le sacrifice de Carl se justifie (certes difficilement) dans la narration par deux aspects, saupoudrés de cette notion d’altruisme qui flotte au-dessus des dernières paroles du fils de Rick. En premier lieu, le passage de flambeau à sa petite sœur Judith, réalisé dans une scène déchirante. La séquence devient particulièrement nostalgique pour les fans de la série avec la transmission du chapeau de shérif. Un acte final où Chandler Riggs a clairement mis toutes ses tripes dans une longue tirade, qui hantera encore longtemps les spectateurs. (“Before mom died, she told me that I was going to beat this world. I didn’t. But you will. I know you will.”)
 
Dans un deuxième temps, son sacrifice est nécessaire pour permettre à son père d’accepter la notion de compassion, de clémence envers leurs adversaires. Par ailleurs, l’altruisme de Carl lui a donné l’opportunité de sauver Siddiq, alors qu’il offre aux spectateurs la compréhension des scènes rêvées du season premiere : un futur utopique imaginé par le fils Grimes, où même Negan est devenu un joyeux paysan, travaillant main dans la main avec la coalition des trois communautés. Enfin, la compassion de Carl est soulignée explicitement par les quelques mots de Daryl avant son départ pour la Colline (“You saved all this people”).

Un épisode touchant mais toujours aussi inégal

“Honor” aurait pu être un grand épisode sans ce qui gangrène la série depuis deux saisons : son rythme en dents de scie. Il me paraît inutile de revenir sur la partie action de cet épisode, à savoir le sauvetage d’Ezekiel par Morgan et Carol. Si le duo vend du rêve sur le papier, leur plan d’attaque est une succession de scènes franchement idiotes et sans intérêt, uniquement au service d’un teasing pour l’arrivée de Morgan dans Fear The Walking Dead. Le personnage tourne en rond avec ses états d’âme insupportables, tandis que la production du show confirme qu’elle a du plomb dans l’aile avec cette séquence de fusillade ridicule dans le théâtre.

Outre quelques dialogues fébriles, l’épisode tirait bien trop en longueur sur la mort de Carl qui semble agoniser pendant des heures. Toutefois, quelques fulgurances viennent sublimer cette tragédie, à commencer par la partition bouleversante de Danai Gurira, l’interprète de Michonne. Les liens sont très forts entre les deux personnages – une mère et un fils de substitution – et les larmes de la sabreuse répondent à celles des fans. Ce n’est pas un hasard si Chandler Riggs a révélé dans Talking Dead, le late show qui suit l’épisode sur AMC, que l’actrice était celle qui avait le plus mal vécu son départ.

Difficile de ne pas rendre non plus à César ce qui est à César. Andrew Lincoln a toujours été très bon dans les scènes d’émotion, “Honor” ne faisant pas exception. On retiendra notamment cette étreinte émouvante juste avant que Carl se tire une balle dans la tête, à mettre en parallèle avec la séquence de leurs retrouvailles en saison 1. C’est à travers ces petites touches de nostalgie et de “fan service” que The Walking Dead s’en sort le mieux, tout comme l’idée intéressante des lettres d’adieux écrites par Carl et adressées à ses camarades éparpillés, qui pèseront sans aucun doute sur la suite de la saison.

Pour conclure sur cette notion d’altruisme qui parcourait l’épisode “Honor”, elle devient méta quand on découvre la tristesse de l’équipe de la série face au départ de Chandler Riggs. Les messages tragicomiques d’Andrew Lincoln, Jeffrey Dean Morgan et des autres acteurs représentent les liens très forts qui unissent leurs personnages brisés et perdus dans un monde en putréfaction. C’est une vraie famille avec laquelle on a appris à vivre et grandir, tout comme ils ont dû le faire pour participer au bon déroulement du show. Si elle continuera de voir ses membres tomber au fur et à mesure des saisons, certains ne cesseront de croire en leur salut. Ceux qu’on appelle les fans.

En France, la saison 8 de The Walking Dead est diffusée en US+24 sur OCS Choc.