L’adolescence, ce sujet inépuisable. Ce moment de tous les possibles, des premières fois, des fulgurances. Celui où l’on ressent tout très fort, la violence, la tristesse, l’amour. Décrire cet état tragique et fugace est devenu un genre en soi dans les séries. Depuis les années 90, le teen drama a ses pépites, de My So-Called Life à Dawson’s Creek, en passant par Skins, et les récentes Skam et 13 Reasons Why. Dès le premier épisode, Euphoria apparaît comme une évidence : elle appartient à cette catégorie des séries sur l’adolescence qui marqueront les esprits.
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Pour son premier teen drama, HBO a fait confiance à Sam Levinson. Bien que la série soit basée sur un concept israélien, le showrunner, également réalisateur de plusieurs épisodes, s’est surtout inspiré de sa tumultueuse adolescence, marquée par son addiction aux drogues. Pour incarner cette histoire à la fois personnelle et universelle, il avait en tête la chanteuse Zendaya, qui se glisse avec gravité et vulnérabilité dans la peau de Rue Bennett, une ado âgée de 17 ans. Un joli contre-emploi pour l’ex-star de l’écurie Disney Channel. En phase de reconstruction après une période de réhab, elle va notamment se lier d’amitié avec une nouvelle venue, la solaire Jules (Hunter Schafer), une jeune femme transgenre. A cet âge où tout est fusion et euphorie, cette relation va rapidement devenir la plus importante de la vie de Rue.
Certaines séries comme Sex Education – ou Dawson en son temps – nous donneraient presque envie de redevenir adolescent.e.s. Ce n’est pas le cas d’Euphoria. Dans la droite lignée d’un 13 Reasons Why, elle braque ses projecteurs sur le côté dark de la force adolescente, mettant en scène des protagonistes en proie à des troubles dépressifs, déjà fatigués de vivre, englués dans des schémas familiaux toxiques, ou dans des comportements addictifs sans issue. Une des meilleurs storylines du show met ainsi en scène Nate (Jacob Elordi, vu dans The Kissing Booth), un athlète au père abusif (Eric Dane, impressionnant), manipulateur et macho. Le jeune homme reproduit le comportement paternel et devient de plus en plus violent et dangereux à mesure que les épisodes défilent. Euphoria propose une glaçante déconstruction du mythe du mâle alpha à travers ses personnages secondaires, des ados qui rejouent l’hypersexualisation genrée observée chez leurs parents.
Sexe, drogues et dépression
Longtemps abordée de façon superficielle et irréaliste, la sexualité des adolescents se trouve au cœur d’Euphoria. On n’en attendait pas moins de la part de HBO, qui a une réputation à tenir en matière de scènes de sexe explicites. Sam Levinson opte pour un réalisme que d’aucuns qualifieront peut-être un peu vite de trash ou de gratuit. Il n’en est rien. La découverte de la sexualité se fait souvent dans l’ignorance et la douleur, surtout si vous êtes une femme, qui plus est trans. Ainsi, dans une scène complexe à interpréter (c’est ce qui fait tout son intérêt), Jules couche avec un homme marié et beaucoup plus âgé qu’elle, un peu trop dominateur. Le rapport sexuel, consenti au début, ne l’est plus à la fin. Cette rencontre explore toute la complexité de ce personnage, qui souhaite être désirée mais se retrouve fétichisée et dépossédée de son pouvoir.
(© HBO/OCS)
Euphoria dresse le portrait d’une jeunesse hyper-connectée dont la sexualité naissante est pré-façonnée par le porno. Un combo propice aux situations borderlines, qu’elles nous paraissent nocives ou empowering, comme c’est le cas du personnage de Kat (Barbie Ferreira), une ado grosse qui explore sa sexualité, notamment en devenant une cam girl dominatrice. La galerie de personnages présentée, une petite dizaine, permet de varier les points de vue et d’explorer des approches différentes de la sexualité. Pour atteindre parfois des moments un peu fous, comme cette scène dans laquelle Cassie (incarnée par l’excellente Sydney Sweeney), qui a pris de la drogue, est sur le point d’avoir un orgasme sur un manège lors d’une fête foraine, sous les yeux d’une foule fascinée, choquée, médusée…
L’autre grand sujet sulfureux de l’adolescence qui fait flipper les parents, c’est le rapport qu’entretiennent les jeunes avec les drogues. Euphoria met en scène une jeune femme en proie à des troubles de l’anxiété depuis son plus jeune âge. En voix off, Rue explique qu’elle se drogue pour arriver au moment où elle ne ressent plus rien. Nous sommes dans sa tête, comme pour Angela dans My So-Called Life – les fans apprécieront d’ailleurs le clin d’œil à la série culte dans l’épisode 4. La ligne est toujours floue entre portrait réaliste d’une addict et potentielle glamourisation des drogues, et les associations de parents aux États-Unis crieront certainement à l’apologie des drogues dans Euphoria. Comme pour les scènes de sexe explicites, ce n’est absolument pas le cas.
L’une des séquences les plus touchantes de cette première saison montre comment Gia, alors âgée de 13 ans, a assisté à l’overdose de sa grande sœur, Rue. Et l’une des scènes les plus intenses à regarder concerne aussi Rue qui, en manque et au fond du trou, se met à harceler son ancien dealer, trépignant, suppliant, hurlant pendant de longues minutes. Pour comprendre pourquoi tant d’ados consomment coke, MDMA & co, il faut s’intéresser aux causes, à l’effet que cela produit sur eux, ce qu’ils recherchent, pourquoi ils y retournent. Autant de pistes abordées par la série.
Au-delà de thématiques fortes, il se dégage d’Euphoria une poésie sombre, à l’image de son héroïne écorchée vive. L’esthétique néon et paillettes, notamment pour les moments de soirées, n’est pas sans rappeler celle d’Instagram. Sam Levinson cite en référence le travail du photographe Todd Hido et le film Magnolia. La réalisation est sublimée par une bande originale pop parfaite. On y croise aussi bien Megan Thee Stallion que Beyoncé, Yung Baby Tate et des feats de Zendaya ou Drake, producteur exécutif sur le show avec son manager, Future the Prince. Euphoria ne tente pas de cacher son époque. La musique, la présence des réseaux sociaux et de leur impact, les choix esthétiques, sont autant de marqueurs de cette fin des 2010’s. Mais s’il prend des formes différentes au fil des époques, le sentiment adolescent, lui, reste éternel. Et Euphoria le capte avec une grâce triste.
La première saison d’Euphoria est diffusée sur OCS en France, en US+24.