Avec ses 300 millions d’heures vues lors de sa première semaine de diffusion sur Netflix, Monster: The Jeffrey Dahmer Story n’a fait que confirmer la fascination du grand public pour les tueurs en série. Si c’est la popularisation des récits true crime sous forme de podcasts, séries, documentaires et autres qui a mis ce fait en évidence, l’intérêt du public pour ces serial killers n’est ni nouveau ni vraiment surprenant.
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Proie vs prédateur
Le désir de survie de l’être humain, tout comme celui de tout autre animal, est profondément inscrit dans notre ADN. L’une des raisons qui peut expliquer l’intérêt que l’on porte aux histoires de tueurs en série se cache alors dans notre inconscient et proviendrait d’un désir de “vigilance protectrice”. Selon Marissa Harrison, docteure en psychologie et chercheuse enquêtant sur les meurtres en série à l’université de Penn State en Pennsylvanie, notre consommation de contenus au sujet de tueurs en série ne dépend donc pas que des facteurs culturels et sensationnalistes qui entourent leurs sorties. Marissa Harrison explique :
“Nous sommes préprogrammé·e·s pour nous adapter aux phénomènes dangereux afin que nous puissions prendre des mesures pour les éviter. Encore une fois, c’est inconscient. Si vous demandez à quelqu’un pourquoi il a apprécié Dahmer, il ne vous dira probablement pas que c’était par souci de protection.”
Monster: The Jeffrey Dahmer Story – © Netflix
Coltan Scrivner, chercheur scientifique au Recreational Fear Lab de l’université d’Aarhus au Danemark, ajoute que tout ceci est très similaire au comportement de certains animaux dans la nature. Les jeunes zèbres, par exemple, prennent le temps d’observer leurs prédateurs quand ces derniers ne présentent pas de menace. Cela leur permet d’analyser leurs comportements pour savoir ensuite reconnaître quand ces prédateurs ont faim et besoin de chasser, et donc de savoir quand prendre la fuite. Coltan Scrivner explique qu’un phénomène similaire se produit chez les humains et que nous nous exposons à ces histoires d’êtres dangereux pour mieux savoir comment les identifier.
“L’une des raisons pour lesquelles le genre du true crime est si intéressant pour les gens est qu’il nous aide à identifier ces personnes dangereuses dans la société en nous montrant comment ils vivent leur vie quotidienne, quels sont leurs comportements, etc. Cela nous donne un ensemble d’outils nous permettant de savoir à quoi faire attention.”
Curiosité morbide et désir de compréhension
Jeffrey Dahmer : Autoportrait d’un tueur – © Netflix
De Ted Bundy à Jeffrey Dahmer en passant par John Wayne Gacy, les tueurs en série fascinent aussi car leurs histoires savent satisfaire la curiosité morbide du public, que Coltan Scrivner définit comme le fait de chercher à s’informer sur ce qui peut représenter une menace. Que cela se manifeste par un intérêt pour les films d’horreur, une passion pour le true crime ou même pour les infos du JT, tout le monde a un certain degré d’intérêt pour le danger, mais son intensité varie selon les personnes. Il précise :
“Les personnes ayant une curiosité morbide élevée vont s’intéresser au true crime, mais celles ayant une curiosité morbide modérée le sont aussi.”
Pour lui, la curiosité morbide explique pourquoi Dahmer a autant de succès, car la série puise dans une chose commune à tous et toutes : “Tout le monde a cette curiosité pour les gens dangereux parce qu’à un niveau normal, c’est une curiosité normale à avoir, ça vous garde en sécurité.”
Jeffrey Dahmer : Autoportrait d’un tueur – © Netflix
Notre curiosité morbide va de pair avec une volonté de comprendre ces comportements qui nous semblent trop éloignés de l’ordinaire pour être réel. L’histoire d’un homme qui tuait et mangeait de jeunes hommes dans son appartement nous semble si anormale qu’elle ne peut que titiller notre curiosité. Coltan Scrivner explique :
“Quand on vous offre l’opportunité de jeter un coup d’œil dans la vie de quelqu’un qui fait ça, on voit ça comme une information particulièrement importante parce que c’est rare, parce que c’est lié à une menace, et c’est vraiment attrayant pour nos esprits.”
Marissa Harrison a un avis similaire, expliquant que notre intérêt pour les tueurs en série est lié au fait que leurs crimes sont très éloignés de comportements que l’on considère comme normaux. Elle souligne :
“Nous nous concentrons sur des choses qui ne nous ressemblent pas juste pour nous assurer que nous pouvons en être à l’abri. Comme l’affirme Greg Hartley du Behavior Panel sur YouTube, notre amygdale cérébrale (le centre de la peur) obtient le premier vote. Nous répondons automatiquement par la peur et l’attention. Nous pouvons décider plus tard si quelque chose va nous faire du mal. Une décision tardive aurait été coûteuse pour nos premiers ancêtres hominidés.”
L’avantage des séries comme Monster: The Jeffrey Dahmer Story ou Autoportrait d’un tueur, c’est qu’elles nous permettent d’observer la menace sans jamais avoir à y être véritablement confronté. Et quoi de mieux pour affûter notre réponse au danger et travailler notre instinct de survie et de préservation que de le faire depuis le (ré)confort de notre canapé ?
Monster: The Jeffrey Dahmer Story et Jeffrey Dahmer : Autoportrait d’un tueur sont disponibles sur Netflix.