Bien que loin du succès de son cadet, la carrière de peintre de Charles Pollock, frère aîné de Jackson, n’était pas secrète. La nécrologie que lui consacra le New York Times, le 10 mai 1985, le présente d’ailleurs comme “peintre émérite et professeur”, sans oublier de préciser qu’il fut “le premier de sa famille à étudier l’art”. “Son influence sur Jackson Pollock était profonde”, poursuit le journaliste. Cette influence du grand frère, méconnue, sur le petit frère, devenu figure de proue de l’expressionnisme abstrait américain, est au cœur d’une exposition présentée en ce moment en Floride, à la Society of Four Arts, et visible virtuellement.
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L’exposition, “Charles and Jackson Pollock”, met pour la première fois en regard les travaux des deux artistes. Soixante-dix peintures et œuvres sur papier signées de l’aîné côtoient une “sélection intime d’œuvres” du cadet, “révélant un Jackson Pollock peu connu du grand public”. En plus de ses toiles et dessins, l’exposition inclut une sculpture, les photos d’un tabouret à quatre pattes “taché de peinture” venant de son studio et un de ses carnets (“un des deux seuls restants des années 1950, exposé une seule fois au public auparavant”, précise le musée).
Charles Pollock, “Chapala 5”, 1956. (© Courtesy American Contemporary Art Gallery, Munich)
Des chemins croisés
Les deux peintres ont suivi des chemins, géographiques et artistiques, distincts. Quelques années après avoir convaincu son jeune frère de le suivre à New York pour épanouir son art, Charles quittait la Grosse Pomme pour Washington D.C. puis le Michigan, où il enseignait au département artistique de l’université de l’État. Pendant ce temps, Jackson affinait sa pratique et sa technique, notamment les célèbres “action painting” et “dripping”, à New York, sous le patronage de la célèbre collectionneuse d’art Peggy Guggenheim.
Les inspirations communes des deux frères (l’artiste Thomas Hart Benton, notamment) se sont matérialisées différemment dans leur pratique. Les travaux des muralistes mexicain·e·s ont inspiré au premier “des scènes rurales de travail”, tandis que le second se laissait plutôt happer par leur “sujet mythologique”, souligne Artnet. L’abstraction prend souvent des formes différentes chez l’un et chez l’autre : des aplats de couleurs chez Charles et des éclats de peinture projetée chez Jackson. On peut toutefois dresser des parallèles entre les pratiques, dans les coups de brosse de l’aîné inspirés de sa pratique de la calligraphie, qui rappellent la vigueur des traînées de peinture du cadet.
Charles Pollock, “Sans titre”. (© Capture d’écran de la visite virtuelle de l’exposition “Charles and Jackson Pollock”)
Derrière les peintres, deux frères
L’exposition ne cherche pas à mettre en compétition les deux frères mais bien à célébrer leur créativité respective. “Leur relation était très spéciale et intime, ils étaient très dévoués l’un envers l’autre“, précise Kirstin Hübner, co-organisatrice de l’exposition. “Très tôt, Jackson était rongé par le doute, autant en lui-même qu’en ceux qui l’entouraient. Les encouragements et la confiance de son frère lui étaient bénéfiques. Dans les années 1920 et 1930, Charles a encouragé les ambitions artistiques de son frère, en l’aidant à terminer ses études notamment.”
Somme toute, c’est sans doute leur relation fraternelle, plus que leur relation artistique, qui a influencé leurs pratiques et a permis à l’œuvre du plus jeune d’atteindre des sommets. Aujourd’hui, leurs travaux sont mis sur un plan d’égalité pour leur permettre de dialoguer à nouveau, des décennies après leur mort.
Six pages tirées du carnet de Jackson Pollock, vers 1950-1954. (© American Contemporary Art Gallery, Munich)
Charles Pollock, “Sans titre”, 1964. (© American Contemporary Art Gallery, Munich)
Charles Pollock, “Sans titre”. (© American Contemporary Art Gallery, Munich)
Charles Pollock, “Post-Rome (Red)”, 1964. (© American Contemporary Art Gallery, Munich)
L’exposition “Charles and Jackson Pollock” est à voir jusqu’au 28 mars 2021 à la Society of Four Arts, en Floride. Une visite virtuelle est proposée ici.