Le 16 juin dernier, le clip (et l’album surprise) de Beyoncé et Jay Z est sorti. Après être redescendus sur Terre, on a décidé de revenir image par image sur la beauté de ce clip.
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Hautement symbolique, le clip des Carter, “APES**T”, sorti dans la foulée d’un nouvel album au beau milieu d’une tournée internationale, a tout bonnement déchaîné l’Internet. Partisane de la discrétion, Beyoncé a pour habitude de sortir ses (récents) albums dans le plus grand des calmes, sans crier gare et en se payant le luxe de dépenser son argent ailleurs que dans la promotion. Une chose est sûre, ce clip de six minutes mérite l’engouement qu’il a suscité.
Un militantisme nécessaire
Tourné dans le Louvre en mai dernier, par Ricky Saiz, ce clip suit le couple Carter dans le musée, au milieu d’œuvres d’art, accompagné de quelques danseurs et danseuses. Il résonne comme un militantisme nécessaire dans l’Amérique et le monde actuels. Une place particulière est accordée aux personnages noirs figurant dans les tableaux du Louvre (comme le Portrait d’une femme noire de Marie-Guillemine Benoist), ce qui implique une volonté, de la part du cinéaste et du couple Carter, de reconnaître à sa juste valeur la culture noire dans l’art.
Il devient par ce biais un manifeste de cette reconnaissance et une ode à la communauté noire en questionnant la place des artistes noir·e·s, de la culture noire au sein des grandes institutions et du monde de l’art essentiellement “blanc” et excluant. Pour illustrer cela, on peut par exemple voir une femme noire peigner les cheveux afros d’un homme, avec désinvolture, devant La Joconde.
Dans un article, la journaliste Rokhaya Diallo explique que le musée parisien, comme beaucoup d’autres musées en Europe, possède “des œuvres pillées pendant la colonisation”, et qu’elle voit dans le clip “une affirmation de la présence noire dans un endroit où les Noirs sont relégués au second plan” :
“Le Louvre est le temple de la culture européenne, le fait de l’investir de silhouettes noires est une manière de créer un lien entre une esthétique ancienne et une autre plus contemporaine. […] En faisant cela, [les Carter] se mettent sur un pied d’égalité. C’est une manière de se retourner vers l’histoire. La Joconde a marqué la Renaissance et eux sont les emblèmes de la culture populaire actuelle.”
Dignité et noblesse sont les mots d’ordre, offrant un nouvel éclairage sur l’histoire de l’art et une critique du colonialisme, en pointant du doigt le manque de représentation des Noirs. On peut également lire de nombreuses références au mouvement Black Lives Matter et au geste de protestation de Colin Kaepernick, notamment avec ces plans de personnes agenouillées. Il faut noter que la chorégraphie a été pensée par le danseur belge Sidi Larbi Cherkaoui, et qu’on peut également voir un solo de waacking de la Française Josépha Madoki.
Gert Van Overloop, le manager du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, qui a travaillé sur le clip, déclare que “ce n’est pas un clip contre, dans le sens d’une revanche, mais un clip pour affirmer l’égalité de la culture afro-américaine, et plus généralement noire, avec la culture blanche”.
Entre harmonie et contrastes
L’esthétique du clip réside dans des plans symétriques, et paradoxalement, dans une harmonie permanente présente dans les contrastes : des femmes noires allongées sur les escaliers de marbre blanc, des costumes fluorescents dans des décors boisés et classiques, la confrontation entre les temps modernes et les temps anciens, entre l’art institutionnel élitiste et la pop culture urbaine.
Pourtant, dans les couleurs et les costumes, les protagonistes se fondent dans l’image : Beyoncé est revêtue d’une robe bouffante blanche tandis que Jay Z porte un costume immaculé sur des escaliers de la même couleur ; devant Le Sacre de Napoléon, de Jacques-Louis David, aux tonalités chaudes, Beyoncé et ses danseuses sont habillées en nuances de couleurs chair ; et des correspondances se créent entre les mises en scène des peintures et des moments figés du clip comme ce plan où deux femmes sont assises et liées par un drap blanc, à l’image de la peinture qui trône au-dessus d’elles montrant une femme allongée dans un sofa et vêtue d’une robe blanche.
En commençant le clip dos à La Joconde, Jay Z et Beyoncé, peu impressionnés par cette œuvre de Léonard De Vinci, daignent à la fin, sourire en coin, se retourner pour la contempler. À travers ces sourires, le couple rejoint le Panthéon de cette Joconde et affirme son influence dans le monde de l’art, comme une célébration de son excellence noire, et de sa toute-puissance face à l’élitisme blanc.