La photojournaliste américaine Shealah Craighead vient d’être nommée photographe officielle de la Maison-Blanche par Donald Trump. L’occasion d’en savoir plus sur un poste aux multiples facettes.
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Shealah Craighead, nouvelle photographe officielle de la Maison-Blanche, avait déjà travaillé avec l’équipe de George W. Bush et particulièrement avec la première dame, Laura Bush. Cela faisait plusieurs semaines qu’elle suivait Donald Trump dans ses déplacements, mais sa nomination n’a été officiellement déclarée que hier par la Maison-Blanche.
Habituée aux vicissitudes de la vie politique, la photographe avait aussi suivi le travail du vice-président de Bush Jr. de 2001 à 2009, Dick Cheney, ainsi que la campagne pour la présidence de Sarah Palin en 2008. Sur son site, Shealah Craighead (en photo ci-dessus, entourée de George W. Bush et Marco Rubio) explique que son succès en photographie politique lui vient de sa “présence non intrusive”. En tant que journaliste, elle a travaillé pour le Boston Globe, The Associated Press et Getty Images.
Un poste vieux de plus d’un demi-siècle
Avant la Seconde Guerre mondiale, la mission de photographier le président était réservée à une agence fédérale des États-Unis qui diffusait les photos officielles. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un photographe officiel a été appointé afin de suivre en continu le président Roosevelt, à sa demande. Cependant, comme le rapporte le site PetaPixel, son approche était toujours très conventionnelle.
Le premier président à se faire suivre de manière intime et moins officielle est John F. Kennedy. Il choisit comme photographe Cecil W. Stoughton. Stoughton suivait le président à plein-temps. Très proche de la famille Kennedy, il capturait autant les moments officiels que des instants intimes et familiaux. Lors de la mort de Kennedy en 2008, The Guardian avait rapporté les mots du photographe qui était revenu un peu plus tôt sur le succès de ses portraits du président :
“Avant JFK, on avait Eisenhower, et avoir un photographe attitré n’était pas utile. Il avait 63 ans et il n’avait ni le charisme ni le charme du président Kennedy. Et il n’avait pas une jeune famille qui intéressait le public américain.”
Le 22 novembre 1963, John F. Kennedy est assassiné à Dallas (Texas), alors qu’il est en campagne pour briguer un deuxième mandat. La nation ne pouvant se passer d’une figure à la tête de l’État plus de quelques heures, c’est son vice-président, Lyndon B. Johnson (ci-dessous), qui doit assumer ces fonctions et prêter immédiatement serment. Aux côtés de Jackie Kennedy, devenue veuve, Lyndon Johnson prête serment à bord du Air Force One dans lequel est embarqué le cercueil de JFK. Cecil Stoughton est présent et immortalise ce moment crucial, pivot de l’histoire américaine.
Pour le suivre en tant que photographe officiel, Lyndon B. Johnson (LBJ) avait choisi Yoichi R. Okamoto (ci-dessous avec LBJ). Lui est donné le droit d’entrer dans le Bureau ovale sans être préalablement annoncé, un droit habituellement réservé aux aides du président. Il est connu pour avoir révélé des photos présidentielles encore plus authentiques que celles proposées auparavant. Celui qu’on surnommait “Oke” était un véritable story-teller. Dans une interview pour le New York Times, le photographe officiel du président Gerald Ford, David Hume Kennerly, déclarait à son propos :
“J’ai toujours su qu’Oke était un bon photographe, mais quand j’ai vu les planches de contact des photos de LBJ à la bibliothèque, ce que j’ai vu était du pur génie. J’ai vu un photographe qui, plus que de simplement prendre de bonnes photos individuelles, réfléchissait et photographiait comme un story-teller.
Il m’a un jour donné des conseils : ‘Tu dois être toujours présent. Tu ne peux pas ne pas être présent… Tu dois juste être tout le temps là, seize heures par jour. C’est comme ça que tu prendras de bonnes photos.’ Et il avait complètement raison.”
Après Lyndon Johnson, tous les présidents à l’exception de Jimmy Carter ont nommé un photographe officiel.
Une posture ambivalente
Richard Nixon ne partageait pas vraiment l’excitation de son prédécesseur, Lyndon Johnson, à l’idée d’avoir un photographe le suivant partout. Le New Yorker rapporte que Nixon n’offrait qu’un “accès limité” à son photographe, Oliver Atkins. C’est sans doute la raison pour laquelle un nombre moindre de ses photos est passé à la postérité.
Au contraire, certains photographes sont devenus de véritables intimes des présidents, du simple verre partagé à l’amitié. Dans un documentaire de National Geographic intitulé The president’s photographer : 50 years inside the oval office (Obama dans l’objectif en français), qui revient sur cinquante ans d’histoire photographique à l’intérieur de la Maison-Blanche, David Hume Kennerly raconte que presque chaque soir, le président Gerald Ford l’invitait à boire un verre.
Capturant des moments de vie, David Hume Kennerly ne photographiait pas seulement le président, mais toute la famille présidentielle. Avant que les Carter emménagent à la Maison-Blanche, il a fait un dernier tour de la demeure avec la première dame, Betty Ford, qui lui a confié avoir toujours rêvé de danser sur la table de la “Cabinet Room”. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle a retiré ses chaussures, a sauté sur la table et a pris la pose, immortalisée par Kennerly (ci-dessous).
Le nom de Pete Souza vous dit sûrement quelque chose. Il a suivi Barack Obama pendant ses deux mandats, collectant des photographies qui ont fait le tour du Net plus d’une fois. Avec sa famille ou en déplacement, il a souvent été dit que le travail de Pete Souza avait permis de rendre le président plus proche des citoyens. Dans le documentaire de National Geographic, Obama affirmait : “À ce stade-là, Pete est devenu un ami. Il m’a vu dans les jours difficiles comme dans les bons jours. C’est vraiment comme s’il faisait partie de la famille.”
Pete Souza faisait aussi partie de l’équipe de Ronald Reagan. Dans une interview pour Digital Photo Pro, il distingue les deux expériences :
“J’étais un simple membre du staff de Reagan, donc je n’avais pas accès aux mêmes choses que sous Obama. J’avais une relation spéciale avec Obama que je n’avais pas avec Reagan. Reagan avait près de cinquante ans de plus que moi quand j’ai commencé à travailler à la Maison-Blanche, tandis qu’aujourd’hui, je n’ai que quelques années de plus que le président Obama.”
Un témoin de l’histoire
Bien que les photographes cherchent à montrer une face plus humaine et plus intime des présidents, leur rôle est aussi de documenter l’histoire. Les photographes ont accès à des lieux et à des moments confidentiels. Eric Draper, le photographe officiel de Bush Jr. et le premier à avoir instauré le numérique à la Maison-Blanche, avait répondu à quelques questions à ce sujet sur un forum du gouvernement, notamment sur son rôle lors des attentats du 11 septembre :
“J’ai eu l’impression de vivre un cauchemar toute la journée : avoir le rôle d’un observateur muni d’un appareil photo m’a aidé émotionnellement. Voir la force du président m’a aidé à tenir le coup. Je savais qu’il était très important de documenter minutieusement autant de moments que je le pouvais, ainsi que de noter sur un carnet à quelle heure les choses arrivaient, parce que ces photos seraient d’une importance cruciale lorsque les historiens travailleraient dessus des années plus tard.”
Certaines images résonnent particulièrement avec du recul. Bob Mc Neely, photographe officiel de Bill Clinton, a souvent photographié le président et son épouse, Hillary Clinton, travailler à deux sur certaines problématiques. En 2017, alors qu’Hillary Clinton est elle-même une personne politique, ce genre de photo prend un nouveau sens. Madame Clinton semblait déjà être plus qu’une simple première dame.
De même, Pete Souza était présent dans la “Situation Room” lors du raid qui a tué Oussama Ben Laden le 1er mai 2011. Sont présents Barack Obama, son vice-président Joe Biden, la secrétaire d’État Hillary Clinton et des membres de l’équipe de sécurité.
C’est donc une lourde tâche qui revient à Shealah Craighead, à qui on souhaite bien du courage. Ce mandat risque d’être haut en couleur.