Cy nous propose une BD aussi belle qu’utile sur le sexe, sous toutes ses formes.
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L’illustratrice Cy a officié chez MadmoiZelle pendant plusieurs années. Elle y proposait déjà des planches sur le sexe et a d’ailleurs sorti un premier tome du Vrai Sexe de la vraie vie, lequel a connu un franc succès. Ce deuxième volet devrait avoir un destin similaire et se multiplier sur les étals des librairies et les tables de chevet des jeunes – et des moins jeunes –, car comme l’a écrit Jack Parker dans la préface : “Le sexe, c’est tout plein de premières fois.” Cy dédicace cet album “à toutes celles et ceux qui aimeraient qu’on leur lâche la grappe”. Elle persiste et signe une BD aussi intelligente, bien construite et belle que la précédente.
La déculpabilisation est l’une des visées de cet album : faire disparaître les complexes et les idées préconçues sur le sexe. Les apparences comptent bien moins que la complicité et le plaisir. S’accepter comme l’on est et enfin dire ce que l’on veut semble être un mantra. On y trouve toutes sortes de personnes (hétéros, homos, bi ou transgenres), représentatives de celles que l’on rencontre dans la vraie vie, et non des acteurs porno, lisses et standardisés. L’identification est enfin possible. D’autant plus quand l’on sait que ces histoires ont été créées en se basant sur des témoignages et des confessions sans fard.
Les situations sont parfois loufoques, mais tellement crédibles et justes. Comment faire l’amour sur la plage sans avoir de sable qui vienne nous déranger ? Ou que devient un préservatif qui disparaît mystérieusement pendant l’acte ? Cy raconte des fails en tous genres, tout en abordant des questions importantes (“Ça signifie quoi être asexuelle ?”) et d’autres plus anecdotiques (“Qu’est-ce qu’un frout ?”), et y apporte des réponses rassurantes.
L’aspect éducatif et la prévention sont ainsi distillés au gré des cases de cette BD militante. On y apprend tout un tas de choses, et c’est à la fois didactique et amusant. Il y a même des petits tutos, ainsi que des “points cul” qui permettent de faire un focus sur des sujets en particulier, comme le vaginisme, la protection ou encore le dépistage.
Elle saisit avec drôlerie et finesse le quotidien des couples ou des moments qui sortent plus de l’ordinaire, comme des ébats insolites au cours d’un festival, où le fait de se cacher participe à l’excitation de la situation. On saute d’une histoire à l’autre avec bonheur, et les pointes d’humour allègent certains sujets parfois sérieux et graves.
Différents styles graphiques coexistent : on trouve ainsi des doubles-pages avec des crayonnés doux aux tons pastel, des images pleines de poésie qui transmettent émotions et sensations. On assiste aussi à un choc entre couleurs chaudes et couleurs froides, qui correspond parfois au choc du plaisir. Ces créations aux crayons de couleur côtoient des dessins plus réalistes aux traits francs, avec des contours délimités et nets, qui donnent à voir des petites scènes du quotidien.
Konbini | Comment en es-tu venue à la BD ?
Cy | Quand j’étais jeune, je tenais un blog, c’était la grande mouvance des blogs BD dans les années 2000. J’ai ouvert mon premier blog à 14 ans. Je faisais des BD hyper moches, mais je débutais et ça m’a permis de faire mes armes. Après le bac, j’ai fait des études d’art, mais les strips [bandes horizontales composées de quelques cases, ndlr], les profs n’aimaient pas ça du tout. On me disait que ça ne se vendrait pas, donc j’ai arrêté pour l’école mais j’ai continué sur mon blog. Et c’est ça qui m’a permis d’avoir mon premier job.
Un jour, j’ai participé à un concours de bannières pour MadmoiZelle, alors que je faisais un taf chiant à en crever. C’est là que j’ai été approchée par le patron de ce site pour faire la même chose pour ce dernier. C’est comme ça que j’ai commencé à faire du webcomic. Puis, la graphiste en place est partie, et j’ai récupéré le poste. Je suis arrivée comme ça dans le game de la bande dessinée. J’ai ensuite développé des chroniques qui parlaient de sexe, ça a super bien marché, et j’ai fini par faire de la BD papier.
Comment le premier tome a-t-il été reçu ? As-tu eu des retours de lecteurs et lectrices ou de professionnel·le·s ?
De pros, pas beaucoup. Je ne suis pas dans le moule de la bande dessinée franco-belge, donc je ne gravite pas vraiment dans cet univers. En ce qui concerne les lecteurs et les lectrices, effectivement, en dédicace, des personnes me disent : “Ah… telle histoire m’a vachement touché·e.” Certaines ont beaucoup de pudeur et d’autres moins. Sans me dire forcément : “Je souffre aussi de ça”, elles vont me dire : “Cette histoire, elle est cool.” Ça les a fait déculpabiliser et ça, c’est le plus important.
Est-ce que ces réactions ont changé ta manière de créer le deuxième volet ? En quoi ces deux tomes sont-ils différents ?
Oui et non. Ça m’a influencée sur les thèmes. Des personnes sont venues me voir en me demandant des choses précises, comme aborder l’asexualité par exemple, en me disant après une conférence qu’on n’en parlait pas. Pareil pour le vaginisme, c’est un gros tabou. C’est fou le nombre de femmes qui sont touchées par ce phénomène, qu’il soit primaire, secondaire ou total. Les personnes qui ont un vagin ont quasiment toutes souffert de vaginisme primaire : ça concerne le premier rapport, ça fait mal, etc. C’est donc quelque chose d’assez courant. Le problème, c’est quand ça devient récurrent, quand ça dure longtemps. C’est très souvent un blocage mental, et c’est très compliqué. Le fait qu’on n’en parle pas, ça fait mariner ces personnes-là dans un sentiment de culpabilité intense.
J’ai aussi fait attention aux retours : par exemple, dans le tome 1, j’avais fait des erreurs. Sur la page “Protection”, j’avais mis “préservatif masculin et “préservatif féminin”. Ce sont des expressions excluantes. Donc, dans le tome 2, j’ai mis “préservatif interne” et “préservatif externe”. Effectivement, c’était tout à fait justifié, donc j’ai recadré le tir.
Il s’agit pour beaucoup de témoignages, comment les as-tu récoltés ?
Il n’y a que des témoignages. Si je n’avais pas fait ça, mon point de vue aurait été biaisé sinon. Ça n’aurait été que des clichés. Je suis hétérosexuelle, en couple avec la même personne depuis des années. Je ne dis pas que ma sexualité n’est pas intéressante, mais elle est très restreinte si l’on prend en compte toutes les sexualités. La grosse erreur qui a souvent été faite, c’est la représentation du sexe entre femmes par des hommes ; c’est souvent à des millénaires de ce qu’il se passe réellement. Tu sens tout de suite si ce sont des hommes qui ont dessiné, ou des femmes qui n’aiment pas amoureusement les femmes.
Je voulais aussi parler de transidentité, de l’amour quand t’es enceinte, etc. Et je n’ai pas vécu ça, moi. J’ai fait un premier appel aux témoignages quand j’étais chez MadmoiZelle. En une heure, j’en ai reçu 100. Pour le deuxième tome, j’ai reçu 200 témoignages en deux jours. Puis ça a continué, et j’ai tout lu.
La prévention semble être un aspect important pour toi, tu trouves que cela manque encore actuellement ? Que les jeunes ont trop peu d’informations sur le sexe ?
Le Planning familial fait un boulot de dingue. Il crée des plateformes, comme Ton plan à toi, lancée il n’y a pas longtemps, qui explique plein de choses. Mais ça a du mal à rentrer dans l’Éducation nationale. Le premier problème vient souvent des parents d’élèves, qui censurent. Mais les enfants ont accès très tôt à des images sexuelles sur Internet.
Les gamins, on leur apprend la mécanique du sexe. Mais on oublie un énorme pan : le consentement. Selon moi, là-dessus, il n’y a jamais assez d’éveil. Ça commence dès la maternelle. Souvent, on me dit : “Tu vas trop loin”, mais ce n’est pas vrai. Quand tu vois un gamin qui ne veut pas faire de bisou pour dire bonjour, et que l’un de ses parents le prend et le force à faire un bisou, le consentement, là, il n’existe pas. Il existe des parades par exemple, l’enfant peut faire coucou avec la main, un sourire, ou simplement dire bonjour. C’est un système qui commence tôt.
Qu’est-ce qui t’a permis d’avoir un rapport plus libéré au sexe, de te sentir moins contrainte par certaines injonctions ?
C’est une lutte constante, en fait. Ce n’est pas parce que je dessine sur le cul que je ne suis pas oppressée par des tabous ou des injonctions. Et en vrai, ce qui m’a vachement aidée, ce sont les témoignages. Ils me fournissent de la matière pour ma BD, mais m’aident aussi personnellement. Quand je vois des personnes qui sont décomplexées par rapport à un fail, des plans à trois qui foirent, etc., ça me permet de décomplexer et de me dire que rien n’est grave. C’est aussi le militantisme et le féminisme qui m’ont permis de comprendre plein de choses : l’idée n’est pas tellement d’ingurgiter d’autres préceptes, mais de démêler les préceptes qu’on nous a fait ingurgiter !
On voit rarement des dessins aussi libres, des corps aussi réalistes, des gros plans sur les sexes, les pénétrations. On y voit des règles, des bourrelets, des poils… Même Aurélia Aurita, qui a beaucoup dessiné sur le sujet, ne le fait pas. Ça a été une décision réfléchie ou c’était naturel et évident pour toi ?
Fraise et Chocolat d’Aurélia Aurita, ça commence à dater, mais c’était hyper précurseur. Peut-être qu’elle n’avait pas été éveillée à ces sujets, ou tout simplement qu’elle n’aime pas les poils !
Mais c’est ni naturel ni évident. Car on gravite dans une société où le corps doit être parfait, glabre, musclé. Je voulais montrer des bribes de vrai sexe et de vraie vie, et donc de vraies personnes. Les “vraies personnes” ne sont pas forcément blanches, fines ou valides. Je voulais montrer un panel de personnes. On m’a dit que ça ressemblait un peu à la cour des miracles ou à une pub Benetton, mais je m’en fous, je veux que les gens puissent se retrouver dedans, peu importe par quel biais. Il faut ouvrir les yeux et regarder autour de soi.
Après avoir terminé le tome 1, je me suis rendu compte que toutes mes vulves étaient pareilles. C’était impossible. Je suis donc retournée à la case départ, et je les ai toutes redessinées. Ce sont des mécanismes de merde.
Quelles sont tes inspirations ? Ta filiation dans la BD ?
J’avais beaucoup de BD franco-belge parce que c’est ce qu’on m’offrait – Boule et Bill, Spirou… –, mais j’avais beaucoup de mal à m’y retrouver car il n’y avait pas d’héroïnes auxquelles me rattacher. La première BD qui m’a vraiment parlé, c’était Lou, de Julien Neel. C’est une petite fille qui joue aux jeux vidéo et qui a une mère célibataire. Sa meilleure pote est noire et hyper badass. Ça a créé un vent de fraîcheur. La seule que j’avais lue auparavant avec des héroïnes, c’était Atalante, de Crisse. Les femmes étaient un peu sur le même modèle : taille fine, gros seins. Dur de s’y retrouver à 14 ans !
Je me suis aussi beaucoup inspirée de blogs BD que je lisais, puis des BD que je me suis offertes. Pénélope Bagieu pour sa narration, ses personnages ultra-expressifs. Brecht Evens, Manuele Fior, Isabelle Arsenault, et Moebius forcément, pour leurs couleurs.
Et en art ? Du côté de la peinture ? Tes dessins me font penser à Modigliani et au cubisme, entre autres.
J’adore Modigliani. J’ai rarement vu une œuvre d’un autre peintre qui me fasse autant frissonner, c’est entre le malaise et la beauté. Je détestais le cubisme au lycée, jusqu’au jour où l’on m’a expliqué que plusieurs plans se trouvaient sur un même niveau. Même si c’est largement simplifié, j’ai trouvé le concept vraiment génial.
Avec les crayons de couleur, je n’utilise quasi jamais de noir, car ça a tendance à “bloquer” visuellement ma gamme de couleurs. C’est quelque chose que j’ai appris avec l’impressionnisme, par exemple.
Quelles sont tes relations avec ta maison d’édition ?
En fait, j’ai eu beaucoup de mal à trouver un éditeur, car mon projet était entre le pédagogique et l’érotique. Donc c’est difficile de rentrer dans des cases. Un jour, je suis tombée sur les éditions Lapin. J’ai envoyé un mail en MP sur Facebook en joignant mon dossier. Une semaine après, je rencontrais mon éditrice, et deux semaines après, je signais mon contrat. Ça s’est super bien passé, une vraie lune de miel. C’est une petite maison d’édition, ce qui m’a permis d’avoir carte blanche. Mon éditrice était hyper présente, je me suis sentie vachement soutenue.
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