Il y a un an, le punk fêtait ses 40 ans. Depuis, son esthétique est partout, de la dernière campagne Valentino à la présence de l’un de ses grands photographes chez Gucci. Mais pourquoi cette musique contestataire et son look nihiliste “no future” sont toujours aussi modernes ?
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Le punk (qui signifie “voyou”) n’était pas un mouvement appelé à durer. Né en 1976 avec les débuts des Sex Pistols, il se voulait, par essence, dangereux, violent, anarchique, chaotique, débraillé, sale, sans limites et “no future”. Pourtant, le futur de cette révolte contre l’ordre établi s’avère radieux.
Alors qu’il revient très souvent sur le devant de la scène (deux expos en 2013 lui étaient consacrées, au Met à New York et à la Cité de la musique à Paris), cette saison, le look punk incarne une des tendances phares de la mode. Pire, il s’est embourgeoisé, pactisant ainsi avec l’ennemi initial. La contre-culture est devenue une vraie culture, exploitée et vantée de toutes parts. Le perfecto en cuir et le tee-shirt troué sont même adoptés par les jeunes filles bien nées.
Les collections automne-hiver de Valentino reprennent les codes esthétiques créatifs de ce courant pour les mêler à des détails plus luxe. Lors du défilé homme qui avait lieu en janvier dernier, les vêtements s’ornaient d’un lettrage punk DIY signé du graphiste culte des Sex Pistols, Jamie Reid. Les slogans, portés par des mélanges de dandys et de marginaux londoniens, nous invitent à réclamer notre droit à la beauté.
De l’asphalte au catwalk
Chez Yves Saint Laurent, pour faire oublier l’aura rock d’Hedi Slimane, Anthony Vaccarello présente cet hiver des filles en cuir au regard noir ressemblant à des punkettes échappées de l’asphalte pour s’embourgeoiser au Palace.
Tandis que Gucci a recruté l’immense photographe anglais Derek Ridgers pour shooter son book. Ce dernier est célèbre pour ses clichés de créatures de la nuit et de freaks appartenant à des sous-cultures comme des skinheads, des fétichistes, des clubbers, des nouveaux romantiques et des punk. Il n’en fallait pas plus pour que le New York Times se fende ce mois-ci d’une série mode punk avec dentelle, tartan et ceintures cloutées.
Punk un jour, punk toujours
Dans les étagères des librairies, cette musique sauvage est aussi à la page. Viv Albertine, la chanteuse du groupe de punk féminin The Slits, sortait une biographie électrique intitulée De fringues, de musique et de mecs. Et le 17 août, Patrick Eudeline, critique rock et ex-membre d’Asphalt Jungle (une des premières formations de punk français) publie un nouveau roman : Les Panthères grises, aux éditions de la Martinière après une longue absence. Des fanzines, parutions typiques de la culture Pistols et Clash, sont aussi de plus en plus nombreux à être édités dans le monde entier.
La musique punk elle-même se porte d’ailleurs très bien avec des artistes comme Shame, h09909, Mary Bell, Sheer Mag, Police Control, Faire, The Goaties, Uranium Club, The Coneheads, Kitchen People et beaucoup d’autres. Au festival La Route du Rock, qui a lieu en moment, une expo photo parrainée par Agnès b. du photographe américain du punk des 70’s, GODLIS, intitulée History Is Made at Night et une conférence viennent secouer les festivaliers.
Acte de résistance
De la révolte, le punk est devenu une institution. Mieux, un objet d’étude passionnant, un prisme sous lequel on peut voir le monde d’aujourd’hui et permettant de ressentir son pouls, d’entrevoir ses crises. Le 13 octobre à la Philarmonie de Paris, le collectif français PIND (Punk is Not Dead), qui analyse l’histoire du punk hexagonal lors de journées d’études, fera une conférence sur le sujet.
Solveig Serre, musicologue et chercheuse au CNRS, et Luc Robène, historien, professeur à l’université de Bordeaux et guitariste, qui ont fondé cette structure de recherche, ont leur petite idée pour expliquer l’omniprésence de ce genre radical et énergique. Il existe un lien intense entre la société et le cri de révolte du punk. Ils expliquent :
“Si le punk est un mouvement qui place au centre la musique et la création en résistance, il est certain que le contexte politique a un impact sur les dynamiques de la scène punk en France : à titre d’exemple, dans les années 1980, la montée du FN a probablement joué un rôle très important dans la politisation des messages portés par la musique des groupes français, à l’instar des slogans initiés par les Bérus (“La jeunesse emmerde le front national”), des titres évocateurs de Parabellum (“Anarchie en Chiraquie”) ou des Sales Majestés (“J’emmerde la société”).
Aux États-Unis, l’ère Reagan avait généré au cours de cette même période le message politique radical des Dead Kennedys. Il faut donc regarder aujourd’hui dans quel contexte s’organise cette création aux marges et ce qu’elle nous dit du monde dans lequel nous vivons.”
Pourquoi le punk est-il présent maintenant ? Un acte de résistance contre la crise mondiale, les attentats, le Brexit, Trump ? Un ras-le-bol général ? Le collectif poursuit :
“Il faut croire que la période actuelle, perçue comme particulièrement incertaine sur les plans social et politique, constitue une conjoncture propice à réactiver une dynamique de questionnement. Nous pourrions faire la même remarque à propos des États-Unis de Trump… Le poids du contexte, les peurs, les non-décisions politiques, le sentiment que l’industrie et les intérêts particuliers priment sur l’intérêt général sont susceptibles d’alimenter cette veine poétique spécifique.
Simultanément, on se rend compte que le punk, depuis 1977, est le dernier véritable mouvement de rupture et de contestation radicale. Il est une matrice de résistance dont l’épicentre est la musique, et il est logique que cette matrice fonctionne et participe à renouveler – essentiellement par la jeunesse – cette idée de rupture et de cassage des codes, cette vie artistique aux marges.”
Bonne nouvelle donc : tant qu’il y aura des jeunes sur terre, le punk ne mourra pas.