Attendue pour ce vendredi 5 août (ou pas), la parution du nouvel album de Frank Ocean n’a pas été amorcée après la fin du mois de juillet, mais l’année dernière. Lorsqu’il enregistrait le stream qui prend – temporairement ? – fin sous nos yeux, et pendant que le monde pleurait déjà une première sortie faussement avortée. C’était en juillet 2015 : on rembobine pour tout remonter jusqu’à aujourd’hui, puis demain.
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Endless. Habité par le silence, cet entrepôt est son Madison Square Garden. Frank y réside seul, voyant, dans la pureté, les choses en plus grand que les autres. Comme un rat sur-malin de laboratoire, il ne présente pas les premiers contours de son disque tant désiré entouré de la crème du showbiz. No bling.
Entre quatre murs blancs et derrière son atelier, il construit quelque chose : son album, pendant des heures, des jours, à l’Infini – Endless est le nom de son œuvre.
Son unique alliée : la force d’Internet, comme il l’a toujours si bien utilisée, réveillant avec parcimonie son silence d’or, sa discrétion redoutable. Les oreilles restent à l’écoute des quelques bouts d’instrumentaux partiellement diffusés à mesure que l’album prend forme.
Les caméras et les yeux à travers elles sont braqués sur lui, scrutant ses moindres faits et gestes… accomplis tout en lenteur, l’année dernière. La patience est une vertu, un talent, un pouvoir que Frank maîtrise à la perfection pour nous servir, tel un artisan, le fruit de son labeur.
#July2015
À la manière de My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West, c’est l’une des sorties d’album les plus savamment orchestrées. Les plus marquantes. Tant dans son apogée, qui pourrait ne pas survenir aujourd’hui [update : et elle n’est pas survenue], que dans son élaboration. Un monument dont la construction a été sérieusement lancée il y a un bon moment, à travers le plan génial d’un mec encore plus habile qu’on le connaît déjà.
Quatre ans après Channel Orange et près de 13 mois après la première fausse couche de son troisième (si l’on ne considère pas l’excellent nostalgia, ULTRA. comme une mixtape) essai, Frank Ocean avance lentement sur le chemin qu’il s’est dessiné, en toute discrétion, depuis juillet 2015.
Cette date, on l’avait tous notée dans nos agendas, avec marqué à côté : “Hallelujah, le retour de Frank !” Le membre du défunt collectif Odd Future publiait de son côté une photo, sur laquelle on le voit tenir “deux versions” de son nouveau projet, deux magazines imprimés et titrés Boys Don’t Cry, pour un album ni montré ni déclaré achevé pour autant.
Inception
Le rendez-vous était pris. Sauf qu’avec Frank Ocean, il faut savoir lire entre les lignes. “#July2015” : tant l’émotion était grande, ce simple hashtag accompagnant l’image a très vite été interprété comme étant l’arrivée du graal. Vous connaissez la suite : la date tant attendue arrive… pas d’album. Juillet 2015 indiquant l’#ISSUE1 du tunnel dont la fin se discerne peu à peu.
“Issue 1” pour “premier numéro” d’un magazine de deux versions différentes. Éditées depuis tout ce temps, elles illustrent l’univers entourant le nouveau projet multi-supports de Frank Ocean. Quelques pages viennent d’ailleurs tout juste de leaker, dans cette nuit de vendredi à samedi.
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Ses mags imprimés, Frank passe dans la foulée de la photo à la vidéo en enclenchant le tournage de la scène qui se présente à nous depuis lundi.
À cette époque, son album est déjà fini, ou presque. Il a quand même eu le temps de le fignoler depuis l’été dernier, tout en avançant sur la longue route qui le mène à sa sortie. Un itinéraire au passage jonché de plusieurs dates-clés (volontairement ?) erronées. Mais du début à la fin, de juillet 2015 à juillet 2016, tout était planifié.
Saut dans l’espace : Frank n’était pas dans notre écran cette semaine. Qui sait, peut-être qu’il se trouvait plutôt devant le sien à scruter les innombrables réactions des fans impatients tout en savourant le moment, ou en s’observant, tant son narcissisme n’est tout de même pas à négliger.
Saut dans le temps : l’Ocean sciant du bois est plus jeune d’une année. Dès le premier jour de stream, on s’interrogeait sur l’identité de l’ombre qui occupait la pièce. À travers des détails d’abord tout bêtes et risibles : à l’image, un Frank avec une coiffe bien plus fournie que celle arborée lors de sa toute récente sortie, et avec une carrure plus étoffée que celle qu’on lui connaît aujourd’hui. Puis, avec des éléments plus cools.
Le Boombox de Sachs
Le Boombox géant entreposé dans un coin du hangar. Nommé Toyan’s, il a été créé en 2002 par Tom Sachs, artiste plasticien américain et ami de Frank Ocean depuis plusieurs années. C’est lui qui dirige par ailleurs le stream basé sur une œuvre de Francisco Soriano, lui qui avait demandé à Frank Ocean de lui concocter une playlist à base de Kanye West ou Young Guru pour l’exposition de son multi haut-parleurs inspiré du sound system jamaïcain, et lui qui a donné quelques cours d’arts plastiques à Frank Ocean pour le tournage de ce clip inédit d’une semaine.
Le problème, c’est que, comme l’a relevé Pigeons and Planes, l’installation d’enceintes est actuellement exposée au Brooklyn Museum dans le cadre d’une rétrospective sur le Boombox, de 1999 à 2016. Et ce jusqu’au 14 août prochain. À moins d’avoir une réplique, l’œuvre confirme que celle dans laquelle elle apparaît n’est pas une diffusion en direct. Tom Sachs finira par confier à The Fader que la vidéo a été tournée l’an passé, dans le plus grand des secrets et depuis le même atelier.
Endless
Marche après marche, FO y a érigé une pièce d’art que l’on a explorée et découverte pas à pas. À mesure de son élaboration. Chaque jour de la semaine correspondant à une étape de la construction du disque. Jusqu’à l’apothéose. Jusqu’au dernier coup de pinceau. Celui qui finissait de colorer les dernières planches de bois façonnées pendant cinq jours. Elles forment désormais une sorte d’escalier en spirale. A stairway to heaven. Là où repose son album, sa masterpiece de théâtre toujours en cours dont il a lui-même construit la scène.
À l’instar d’un Jay Z ou d’un Kanye West, Frank Ocean aborde la musique, sa musique, comme une œuvre d’art à part entière. Aussi bien sonore que visuelle. Mais contrairement à eux, Frank Ocean ne gonfle pas les muscles dans une salle où s’entassent 20 000 personnes pour assister à un tour de force artistique. Depuis sa tour d’ivoire, il caresse les choses plus en douceur, plus en simplicité, tout en étant possédé par une démesure narcissique. Si l’on pourrait situer Kanye en plein milieu d’un Guernica de Picasso, Frank serait au cœur d’un monochrome.
Le gamin de la Nouvelle-Orléans ne fait rien comme les autres. L’Histoire s’en souviendra, en le détestant d’abord pour ensuite le remercier pour sa création initialement annoncée pour ce vendredi 5 août, sur iTunes, par le New York Times.
À moins que… ce nouveau rendez-vous ne soit qu’une première grande étape sur le chemin de Boys Don’t Cry, marquant la fin de la confection d’un album qui paraîtrait alors le 13 novembre 2016, dernière date non cochée de l’inépuisable journal de Frank. ENDless.
Article publié le 5 août 2016 à 20h29