À 25 ans, ce peintre et sculpteur s’est déjà fait une belle réputation pour ses œuvres sur la jeunesse contemporaine.
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Comment échapper aux chaînes qui nous entravent dès la naissance ? C’est l’une des questions à laquelle essaye de répondre The Kid. Les œuvres de ce jeune artiste contemporain de 25 ans ne reflètent en rien son jeune âge, si ce n’est qu’elles traitent du déterminisme social qui pèse sur la jeune génération.
Autodidacte, il utilise encore le fusain ou le stylo Bic, comme pour ses premières œuvres exposées. Mais il excelle tout aussi bien à la peinture à l’huile ou à la sculpture en silicone, comme en témoignent Too Young to die ? ou As a flower chooses its color (attention ça peut piquer les yeux). Aujourd’hui à Paris et Amsterdam, où il prépare sa prochaine exposition, The Kid a pris le temps, entre deux coups de pinceaux et deux trains, de répondre à quelques questions.
Konbini | Salut, comment va la vie en ce moment ?
The Kid | C’est une période très motivante, je suis en pleine préparation de mon prochain show, je fais des allers-retours quasi permanents entre mon atelier de sculpture en Hollande et mon atelier de peinture et dessin à Paris. Je travaille simultanément sur ma plus grande installation à ce jour, comprenant plusieurs sculptures, qui sera une expérience immersive, et sur mes nouvelles peintures à l’huile et à la tempera à l’œuf. La Galerie ALB les présentera pour ma prochaine exposition, fin mars au Grand Palais, lors de la foire d’Art Paris 2017.
Tu as besoin de musique quand tu crées ? Ou au contraire d’un silence absolu ?
Oui, j’écoute de la musique 24 heures sur 24, avec en même temps la télé allumée sur une chaîne d’info US. J’ai besoin en permanence de sons, d’images et d’infos live autour de moi pour être stimulé. Là, j’écoute un vieil album que j’écoutais au lycée, Encore d’Eminem.
On t’appelle The Kid, mais comment s’est passée ton enfance justement ? Des souvenirs de jeunesse à partager ?
Je détestais l’école, son autoritarisme étroit d’esprit et le harcèlement quasi systématique de tous ceux qui ne correspondent pas à la soi-disant norme. J’ai refusé de me laisser couler dans son moule. Je pense d’ailleurs que c’est ce qui m’a conduit à ma première sculpture Do you believe in God ? que j’ai faite en silicone et à la peinture à l’huile, inspirée du massacre de Columbine aux États-Unis [exposée en mai 2016 à la Triennale de l’Institut d’Art Contemporain, ndlr].
As-tu un maître spirituel ?
Je ne crois pas vraiment aux maîtres spirituels. Mais j’ai été fortement inspiré à la fois par les grands maîtres européens – tels que Le Bernin, Bouguereau ou Le Caravage – et par des réalisateurs américains indépendants, comme Harmony Korine, Gregg Araki ou Larry Clark.
Comme dans l’œuvre de Larry Clark, qui est une forme de critique de la société contemporaine et de sa jeunesse perdue, les jeunes personnages que tu représentes sont vulnérables et séduisants à la fois, tels des héros de tragédie moderne. Est-il important pour toi que tes personnages et tes œuvres aient aussi une forme de sensualité à fleur de peau ?
J’ai toujours été inspiré par cette phrase dans Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde : “Derrière chaque chose exquise, il y a quelque chose de tragique.” Je crois que c’est en grande partie ce que toutes mes œuvres ont en commun, en dépit de leur jeunesse et de leur apparente beauté, tous mes sujets sont prédestinés à une chute prochaine, ainsi qu’une fleur est vouée à se faner. Et j’essaie de les capturer précisément à ce moment clé de leur existence, figés pour l’éternité entre innocence et corruption.
Quelle est la symbolique derrière les figures du vautour et du lion dans tes sculptures Blessed is the lamb whose blood flows et Rise and rise again until lambs become lions ? Pourquoi as-tu mentionné qu’aucun animal n’a été blessé pour leur création ?
Il y a plusieurs interprétations possibles aux rôles joués par les animaux dans mes œuvres, tout dépend du public qui les regarde et de leurs propres références, c’est justement ce qui m’intéresse. Certains peuvent y voir des formes d’animaux “esprits” ou “totems”, comme dans les cultures ancestrales des tribus indiennes d’Amérique du Nord ou du Sud. D’autres y voient des références directes à la mythologie classique, romaine, grecque ou même égyptienne. Dans certaines cultures, le vautour est vu comme le libérateur de l’âme, qui arrache la chair pour libérer l’âme et lui rendre son indépendance vis-à-vis du corps. Dans d’autres, au contraire, le “sale” vautour charognard est souvent perçu comme l’exact opposé du fier et majestueux aigle, qui est lui-même l’icône ultime de la liberté et du pouvoir, symbole du fameux rêve américain, actuellement en plein effondrement.
En ce qui concerne le lion, l’une des interprétations possibles est donnée par le titre lui-même, Rise and rise again until lambs become lions, puisque, dans la Bible, Jésus à la fois meurt tel l’agneau sacrifié et doit revenir tel un lion fier et sans peur. Au-delà de ces nombreuses significations, je suis un grand amoureux des animaux et, du coup, oui, je ne pourrais personnellement jamais supporter que l’un d’entre eux doive être blessé pour la création d’une de mes sculptures.
Tu as appris à faire des sculptures en silicone en regardant des vidéos de Ron Mueck sur internet, n’est-ce pas ? Parce que tu es un autodidacte qui ne sort pas d’une école des beaux-arts : YouTube semble être ton plus grand professeur.
Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours ressenti l’obligation de dessiner, peindre et sculpter des choses afin de créer mon propre univers dans lequel m’échapper. Je détestais l’école et je ne voulais pas rentrer dans le moule, ce qui a été source de beaucoup de difficultés pour moi. Mais, au bout du compte, ça a été une bénédiction ! Beaucoup de mes techniques me viennent de manière très spontanée et instinctive.
Comme je le disais, j’ai eu la chance dès le plus jeune âge que le dessin, la peinture et la sculpture me viennent naturellement. Et j’ai toujours pu visionner dans ma tête le projet terminé avant même de commencer. Pour moi, chaque nouvelle œuvre est comme un grand puzzle, je sais ce que ça doit devenir. Donc je commence à rassembler les éléments du puzzle et évidemment je rencontre des difficultés chemin faisant, mais je continue d’avancer jusqu’à ce que chaque pièce soit à la bonne place. Et bien que je déteste toute forme d’autorité, en particulier celle qui règne dans les écoles, j’adore découvrir et rechercher par moi-même, et ce jusqu’à l’obsession. Donc, oui, si je suis coincé au cours d’une création, je peux passer des nuits entières à faire des recherches sur internet et YouTube pour trouver la solution.
Les sujets de tes œuvres sont-ils purement fictionnels ou des personnages réels (que tu pourrais connaître) ? Utilises-tu des modèles vivants dans ton processus créatif ?
En fait, mes œuvres sont souvent inspirées d’évènements – dont la plupart se sont déroulés ces dernières décennies aux États-Unis – et des personnes qui y ont été impliquées. Après, j’utilise des modèles vivants leur ressemblant, ainsi que différentes références visuelles, pour en créer ma réinterprétation personnelle et que cela soit représentatif de ma génération.
As a flower chooses its color est une de tes rares œuvres dont le sujet n’est pas un jeune homme, mais une jeune mère et son nouveau-né – et aussi probablement l’une des plus choquantes pour certains. Peux tu nous en dire plus sur l’idée qui t’a conduit à réaliser cette sculpture ?
Je voulais représenter un nouveau né sortant du ventre de sa mère et se battant déjà pour son droit à choisir son propre futur, alors même que son visage porte déjà les mêmes tatouages de gang que sa mère qui lui donne la vie. Le bébé fait-il un doigt d’honneur ? Cela veut-il dire qu’il sait qu’il est “fucked” et qu’il dit “fuck” à la vie et au monde ou bien, au contraire, qu’il va se libérer du destin qu’on veut lui imposer ? C’est justement là toute la question que je veux poser au public !
Et puis, la bannière Américaine [sur laquelle la mère est allongée] est pour moi iconique de la dualité entre idéal et réalité, ce qui en fait le parfait symbole contemporain du “clair-obscur social” que nous connaissons actuellement. Les réactions à mes œuvres varient beaucoup selon les personnes. Mais, bonnes ou mauvaises, elles sont toujours passionnées. Beaucoup de gens, d’origines sociales et géographiques très différentes, sont profondément touchés. Souvent, ils peuvent rester un très long moment devant une œuvre, comme plongés dans un état de catharsis personnelle.
Mais certaines réalisations, comme Too young to die ? peuvent déclencher des réactions très choquées. La plupart du temps à la suite d’une erreur d’interprétation à première vue, parfois en raison d’un certain conservatisme du public. Ce n’est pas grave, au contraire !
Justement, est-ce important pour toi que certaines de tes œuvres choquent le public ? Est-ce pour rendre ton message plus percutant ?
Pour être honnête, ce n’est pas quelque chose que je recherche en tant que tel. Ce qui m’importe, c’est que mon travail parle à tout le monde, depuis les passants dans la rue jusqu’aux collectionneurs avertis. Je crois que l’art doit être pour tout le monde, tout comme l’éducation ou la liberté. Pour moi l’art doit parler de l’humanité, de la société. L’art doit représenter son temps, questionner le public, initier un débat, déclencher des prises de conscience chez les gens en leur tendant un miroir. Et je crois que cela n’a jamais été aussi urgent depuis la révolution culturelle des années 1960 !
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