“Nous avons […] essayé d’avoir ce son à la Depeche Mode”
Pour Reflektor comme pour les précédents albums, “le processus d’écriture a été très similaire : on a travaillé chanson par chanson”. Et de poursuivre :
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La plus grosse différence, c’est que nous sommes devenus techniquement meilleurs – pas uniquement en tant que musiciens. Nous sommes capables de faire mieux. Le feeling de Reflektor est quelque chose que nous aurions été incapables de faire il y a dix ans.
C’est aussi pour cela que nous avons eu recours à James Murphy, car nous savions que son avis était bon et important, même s’il n’avait pas le pouvoir de décision. Il sait donner un son moderne à un disque, mais un son qui fait sens aussi. On lui a fait confiance au niveau de la batterie et de l’écriture.
“On veut que ça soit une fête farfelue et débridée”
Le lendemain, nous nous rendons à Nogent-sur-Marne pour le concert du groupe. Et dès 19h30 il y a foule. Sortir du RER n’est pas facile. Mais ce n’était rien comparé à trouver le bout de la file d’attente, interminable, qui annonçait fièrement le concert d’Arcade Fire au Pavillon Baltard. Ça aurait découragé plus d’un Indiana Jones. Une petite demi-heure d’attente dans le froid (mais avec une bière), on demande à un type combien il mettrait pour acheter une de nos places (“au moins une centaine d’euros !”) et on rentre. Pas de fouille, pas de videur excité à l’idée d’ouvrir ton sac. Ici, c’est entrée libre du moment que ton ticket est agréé.
Des freaks, des geeks, des masqués façon Eyes Wide Shut, des Dupont et Dupont : le concert d’Arcade Fire a ramené un public foisonnant. On a les yeux grands ouverts quand on pénètre dans la salle : les hôtes de ce soir sont particulièrement enchantés d’être là.
La veille, William Butler parlait de la tournée : “On veut que ça soit une fête farfelue et débridée. Mais la musique reste sombre à certains moments. Tu ne peux pas voir le carnaval uniquement comme une simple fête. Cela pose des questions profondes à propos de l’humanité et de l’identité. Voilà pourquoi nos concerts ont plusieurs angles de lecture”.
La scène accueillera le 22 novembre prochain un concert exceptionnel d’Arcade Fire, sous le nom de “The reflektors”.
Un concert schizophrénique mais cohérent
Après une série de concerts intimes, le groupe débarque dans une salle plutôt imposante, à mi-chemin entre un petit club de Miami et un festival comme Rock en Seine. Ce qui fait sens avec la vision du groupe selon Butler : “Nous essayons de jouer dans des salles plus petites pour que le public soit en osmose avec notre musique, que ce soit dans des instants de fun pur ou des moments plus sérieux. Et nous voulons que les gens réagissent non comme des individus, mais collectivement”.
La salle, déjà surexcitée, attend dans le noir. Enfin, sur scène, les premières notes de “It’s Never Over (Orpheus)” résonnent. La voix de Régine Chassagne, reconnaissable entre mille, se fait entendre pour la première fois. Le rideau se lève, le concert peut commencer. Et c’est avec un trio de chansons de choix qu’Arcade Fire aborde sa setlist : après Orphée, le groupe rassure les fans de la première heure avec “Neighborhood #3” de Funeral pour mieux repartir avec “We Exist”. Bingo.
Une guitare sale. C’est l’introduction de “Joan of Arc”, hymne parfait aux rebelles sans causes : “Jeanne d’Arc est un personnage à part, très fort culturellement et pas seulement en France. De nombreuses personnes s’en inspirent. Les gens projettent ce qu’ils veulent voir dans les symboles culturels et “Joan Of Arc” parle de se construire ses propres idoles” nous expliquait Will. Le public suit le tempo imposé par Arcade Fire les yeux fermés.
Puis vient “Afterlife”, ode à la vie, à la mort et à nos rêves. Puis une interlude, où l’hymne américain façon Hendrix retentit sur scène avec la basse de Tim Kingsbury, rythmé par la gouaille effrénée – quoique parfois inaudible – de Win Butler. Arcade Fire tient bon son rôle de The Reflektors, arrivés ici par hasard.
Après avoir demandé au gouvernement français de respecter le droit des nations, il lance, comme s’il découvrait Paris de manière candide :
La tour Eiffel est belle. Votre Disney est un trésor. Tellement de cultures. J’adore les émeutes au nord de Paris, c’est relaxant, j’apprécie le racisme profond bouillonnant sous la surface.
Aucune personne n’est normale
Nous endormir pour mieux réveiller la carcasse du Pavillon Baltard, telle semble être la mission que s’est confié la troupe canadienne ce soir. Souvenez-vous : cette antre violée par les pires émissions des années 90 et 2000 nous promettant de fausses étoiles (Stars, Stars 90, Graine de Star, Nouvelle Star) retrouve aujourd’hui ironiquement son honneur avec “Normal Person”, issu de Reflektor. Le refrain, guitares de sortie, retentit triomphalement. Ça gueule, ça saute. Le riffing acide et bluesy emprunté aux Queens Of The Stone Age prend d’assaut les cerveaux façon Aragorn dans Le Retour du Roi. Sauvage.
Les bras du public se lèvent de concert avec ceux des percussionnistes qui agitent des pompons de pom-pom girls. Un mec, complètement bourré, tente maladroitement de danser devant nous. Peine perdue. Notre attention se détourne involontairement vers deux filles, mêlant passionnément leurs lèvres et leurs perruques (l’une verte, l’autre bleue) dans une étreinte passionnée. “Normal Person”, débridée, chante la différence pour mieux remuer l’audience. Et ça fonctionne.
“Comment ça va ? Comment ça va ?” répète inlassablement Win Butler comme pour mieux se rassurer sur l’état du public alors qu’un énorme masque de carton-pâte, le même que celui porté par le groupe dans le single “Reflektor”, prend place sur sa tête. William Butler rêve alors d’un soleil qui descend, s’abattant sur la foule. C’est la nuit : avec “Here Comes The Night”, le public repose ses jambes et lève son coude. On pénètre dans l’obscurité distillée par Arcade Fire avec une finesse exemplaire jusqu’à ce que la tension explose soudain dans une dernière gigue effrénée. Tempo ralenti, final en douceur, dernières notes de piano furtivement frappées, puis le silence. Le masque de Win Butler retombe.
Arcade Fire, ce groupe fait pour le live
C’est sur scène que les chansons d’Arcade Fire trouvent leur place. Quel meilleur moyen de convraincre une audience que de la convier à participer à sa folie avec des paillettes et d’énormes boules réfléchissantes ? À l’issue d’une écoute assidue de l’entité Reflektor, on est frappé par le large panel de styles musicaux, tout autant que par la multitude de petits bruits d’ambiance placés par le groupe. Une manière de préparer le public, inconsciemment, au live.
Dans ces “ambiances” différenciées on retrouve une rage punk (“Joan of Arc”), un Brésil dansant (“Here Comes the Night”) ou encore les rues mystiques de Haïti (“Flashbulb Eyes”), pays de coeur de Régine Chassagne. “Reflektor”, en rappel, prend la relève.
Le refrain surprend et les membres s’adaptent aux changement échographiques de la composition, s’échangeant des trips rythmiques saccadés. La dernière chanson, le classique “Wake Up”, met tout le monde d’accord. Non pas qu’elle soit la meilleure de leur discographie mais en tout cas la plus chorale.
Au final, on se rend compte d’une chose quand on sort de ce concert qui confirme la démarche entreprise par la formation depuis plus de dix ans : les chansons d’Arcade Fire sont façonnées, triturées, habillées pour la scène. Elles n’ont besoin d’aucun arrangement supplémentaire ou spécifique pour le live : elles sont comme à la maison et respirent, enfin. La blague du groupe The Reflektors prend alors un tout autre sens : le jour où Arcade fire ne sera que le reflet de lui-même est loin devant nous.
Interview et live-report réalisés et écrits par Théo Chapuis et Louis Lepron