The Social Network (2010)
Il y a ces notes distordues, comme si elles hésitaient à s’assumer, à être présentes. S’ensuivent quelques notes de piano, qui tentent, tant bien que mal, de donner une consistance à cet arrière-plan sonore qui brouille les pistes. En fond, une note inquiétante émerge progressivement. Dans “Hand Covers Bruise”, on semble entendre le bruit des années 2010. Le premier morceau de la bande originale de The Social Network, magnifiquement orchestrée par Trent Reznor et Atticus Ross, est un tremplin sonore à tout ce que comportera une décennie qui verra les réseaux sociaux s’élever, s’affirmer, et menacer. Pour cela, le film de David Fincher est idéal tant il est méthodiquement implacable, en accord avec le sujet qu’il traite, l’algorithme imprévisible qu’est Mark Zuckerberg.
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Prenons le casting : Jesse Eisenberg (Mark Zuckerberg), Andrew Garfield (son acolyte et futur ennemi Eduardo Saverin), Justin Timberlake (génial en ambitieux Sean Parker, cofondateur de Napster), Armie Hammer (qui incarne à lui tout seul les jumeaux Winklevoss) ou encore Rooney Mara (Erica Albright). Poursuivons avec un scénariste de renom, Aaron Sorkin : connu pour son travail sur la série À la Maison-Blanche, il trouve avec David Fincher sa meilleure collaboration cinématographique, ses dialogues aiguisés pour le verbe excité de Mark Zuckerberg.
Finissons avec la mise en scène : pour son huitième long-métrage, David Fincher parle de tout sauf de Facebook ou de la présupposée modernité du réseau social qu’il semble raconter. Au contraire, il préfère se concentrer sur les luttes internes, les amitiés qui se brisent face aux luttes de pouvoir, la jalousie, l’argent : tant de thèmes aussi vieux que le monde que le cinéaste magnifie à travers des scènes désormais iconiques. Que ce soit la course d’aviron des frères jumeaux, Eduardo Saverin qui se rend compte de la trahison ou encore ce moment où Mark Zuckerberg réfléchit aux prémices de Facebook alors qu’une fraternité se réunit lors d’une soirée :
Incendies (2010)
Si les contours exacts du scénario d’Incendies s’estompent au fur et à mesure que les années passent, le choc ressenti à la fin du film est lui toujours aussi présent. On se souvient très exactement dans quel cinéma et avec qui on a vu ce film puissant sorti il y a presque dix ans. C’est pour la trace qu’il a laissée que nous avons tenu à le faire figurer dans ce top.
Incendies a des airs de grande tragédie grecque et réinterprète, à la sauce trash, le mythe d’Œdipe. Mais la grande force de ce film est de toucher à ce qu’il y a de pire dans la guerre sans jamais rien nommer. S’il s’inspire du conflit libanais, ni le Liban, ni Beyrouth, ni Israéliens, ni Palestiniens ne sont cités.
Le mérite de la prouesse scénaristique d’Incendies ne revient cependant pas uniquement à Denis Villeneuve mais également à Wajdi Mouawad, le grand metteur en scène libano-canadien, dont le film adapte la pièce du même nom.
La Cabane dans les bois (2011)
Entre l’effondrement de la franchise Paranormal Activity de Blumhouse et l’arrivée de l’univers ciné Conjuring (qui amènera les Anabelle et autres joyeusetés flippantes), se trouve La Cabane dans les bois.
Forcément, son histoire se déroule au fin fond d’un forêt située elle-même au fin fond du trou du cul des États-Unis. Forcément, elle va attirer un groupe de jeunes en apparence décérébrés, emmenés par Chris Hemsworth, Kristen Connolly ou encore Anna Hutchison. Forcément, chaque jeune va incarner son propre cliché : le beau gosse footballeur américain, la cruche, l’intello de service, la fille (presque) ordinaire ou le mec qui semble débarquer d’un reboot d’American Pie. Forcément, ils vont faire de l’essence et ne pas remarquer que le responsable de la station-service essaye tant bien que mal de les avertir : s’ils continuent leur route, ils vont direction les emmerdes.
Avec Drew Goddard à la réalisation et au scénario, aidé de Joss Whedon (Buffy, Avengers), La Cabane dans les bois n’est pas un film d’horreur classique. S’il enfile les clichés dans son introduction, c’est pour mieux les moquer, les détourner et les détruire, faisant de ce slasher morbide l’une des meilleures surprises horrifiques de la décennie.
Cloud Atlas (2012)
13 ans après le tout premier opus de Matrix, quatre après Speed Racer, Lana et Lilly Wachowski sont de retour avec un nouveau projet, le plus ambitieux de toute leur carrière (et l’un des plus fous mis en scène au XXIe) : l’adaptation d’un livre de David Mitchell, Cloud Atlas (2014).
“Ambitieux” est à la limite de l’euphémisme tant l’histoire, divisée en six récits, parait complexe à adapater au cinéma. Car ces six parcours, en plus de se situer dans différentes époques de notre temps (les îles Pacifique au milieu du XIXe, l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, etc.), se déroulent aussi dans des espaces temps différents du nôtre.
Les soeurs Wachowski, aidées du réalisateur allemand Tom Tykwer, réussissent l’impossible : mélanger cinématographiquement ces six aventures afin de plonger le spectateur dans une immense expérience liant différentes époques, différents personnages et souvent des acteurs similaires, si bien grimés, qu’il parait parfois difficile de les reconnaître – leur donnant, au passage, une liberté de jeu qu’on ne leur connaissait pas.
Si la forme est incroyable, les cinéastes excellant à créer une cohérence scénaristique, visuelle et musicale impeccable (le travail sur les transitions en est un exemple, brutes au début du long-métrage, puis progressivement adoucies à mesure que les minutes s’écoulent); si les acteurs trouvent toujours le ton de chaque temps dans lesquels ils sont emmenés (Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving, Ben Whishaw et Jim Broadbent jouent dans les six histoires); le talent de Lana Wachowski, Andy Wachowski et Tom Tykwer a été d’aboutir à façonner un humanisme transversal à toutes ces histoires, sans jamais tomber dans une naïveté attendue au tournant.
Skyfall (2012)
Daniel Craig en 007 était complètement convaincant dès sa première aventure dans Casino Royale. Mais le troisième volet de cette énième aventure de James Bond, Skyfall, avait quelque chose de différent, de novateur.
Il faut peut-être regarder du côté du jeu de l’acteur, qui semble plus Bond que jamais, mais aussi et surtout du côté de scénario. Car la franchise n’avait jamais autant poussé l’espion britannique dans ses retranchements. Un enfer où la renaissance semble complexe et qui provoque le décès d’un personnage pourtant culte.
Un postulat qui permet d’apporter un peu de fraîcheur et de surprise à une série de films qui existe depuis 1962. Plus encore, le personnage fait moins poussiéreux, plus ancré dans le XXIe siècle, l’influence de Christopher Nolan et de son Batman réaliste aidant.
Mais au-delà de ces éléments, le film est une vraie proposition d’un point de vue cinématographique. Les plans sont plus sublimes que jamais (il faut remercier Roger Deakins, encore une fois, au côté du réalisateur Sam Mendes), le méchant est audacieux, les cascades sont dingues, le reste du casting est parfait — une mention toute particulière à Julie Dench, à qui on offre enfin un peu de profondeur et ça lui va si bien. Le meilleur James Bond à dater. Tout simplement.
Le Loup de Wall Street (2013)
Le Loup de Wall Street ? Un nom terrible, dominateur, sauvage. Pour illustrer une certaine Amérique, thème qu’il affectionne depuis toujours, Martin Scorsese n’a pas repris la naissance d’une ville (celle de la grosse pomme dans Gangs of New York), sa violence schizo (Taxi Driver) ou sa réussite industrielle mâtinée de tocs (Howard Hughes dans Aviator, avec encore et toujours DiCaprio) : il a préféré s’approprier un petit monstre de la finance qui a évolué, tel un loup dans un bergerie nommée États-Unis, au cours des années 1990. Avant qu’une crise financière et morale, vingt ans plus tard, ne bouscule les affaires du monde.
Au-delà du triptyque drogue-argent-sexe, Le Loup de Wall Street se veut en phase avec la question de l’existence du rêve américain. Hunter S. Thompson, qui a toute sa vie repoussé l’idée d’écrire un livre sur le sujet, aurait hoché la tête d’un air approbateur. Pour dire oui à cette tentative cinématographique d’un miroir crasseux de l’Amérique, 40 ans tout juste après la crise politique opérée par Nixon et son Watergate.
La première partie se veut enlevée, rythmée, dynamique, en phase avec la jeunesse de son personnage, ce Jordan Belfort aux dents acérées : il ne se rend pas compte de sa hargne, de l’odorat qui l’aide à repérer autant les billets que la belle chair. On s’amuse, on picole avec lui, on prend des rails sans se soucier des lendemains. Les trajets se font sous alcool, les prises de décision sont poudrées, révélant que dans l’enfer du pouvoir, les responsables sont des animaux.
Oui, les voitures, le yacht comme la demeure en jettent. C’est là qu’intervient Martin Scorsese. Se référant aux grands qui ont fait parler l’inconscient américain au cinéma (Sergio Leone et Il était une fois en Amérique, Brian De Palma et ses Incorruptibles, Francis Ford Coppola et son Parrain), il dresse le portrait d’une Amérique dépendant de ses démons, de son eldorado sans fondement, sans lien avec la réalité alors que celle des années 1990 ressemble à une ruée vers l’or malsaine.
Les fondements s’effritent et s’annonce une fuite en avant agressive dans laquelle la femme, dommage collatéral flagrant, métaphore de tous les laissés-pour-compte de la finance, n’a pas sa place. Résultat ? Le Loup de Wall Street est un film maîtrisé de bout en bout, mis en scène avec brio, qui a parfois ses longueurs mais qui en dit long sur la santé du featuring DiCaprio – Scorsese : au meilleur de sa forme. L’acteur américain se retrouve dans l’une des productions les plus ambitieuses de ces vingt dernières années avec pour sujet l’Amérique. Un vrai grand film.
Her (2014)
Her, l’ambitieuse rom-com dystopique de Spike Jonze, a définitivement marqué cette décennie de cinéma tant elle su réconcilier bien des attentes : notre cœur d’artichaut a été comblé par le sentimentalisme de cette rom-com technologique et par ce couple d’un genre nouveau, nos vieux souvenirs de cours de philo par les questions existentielles que pose le film et notre cinéphilie par l’originalité de la forme et la performance d’acteur du grand Phoenix.
Dans cette fable technologique, il interprète Theodore Twombly, un quadragénaire vivant dans un Los Angeles du futur, qui peine à se remettre de son divorce et qui va installer sur son ordinateur personnel un nouveau logiciel d’exploitation qui propose à une intelligence artificielle de prendre le contrôle sur sa vie. Intelligence artificielle à la voix suave (celle de Scarlett Johansson) et à l’humour ravageur dont Theodore va rapidement tomber amoureux.
wallup.net
On retrouve un Joaquin Phoenix d’anthologie avec ce personnage au cœur brisé, rongé par la mélancolie et la solitude, qui a su gagner en sobriété loin des personnages sombres et torturés qu’il incarne habituellement. Il ajoute une nouvelle tonalité à la palette des émotions qu’il a su livrer à l’écran pour notre plus grand bonheur tout en nourrissant à la fois nos pires angoisses sur la dépendance croissante de l’humain aux nouvelles technologies.
Seul bug dans le système, on aurait certainement préféré la voix d’une inconnue plutôt que celle très identifiable de Scarlett Johansson dont chacun connaît la plastique parfaite et qui fausse donc un peu le propos.
Interstellar (2014)
Que retenir d’Interstellar, odyssée de 2 heures et 49 minutes, envoyant Matthew McConaughey et Anne Hathaway dans l’espace ? Qu’avant d’être un film de science-fiction, il s’agit d’un drame familial dont les contours scénaristiques grandissent au fil des minutes de la quête du père, ce dernier voyant ses progénitures grandir, quand elles acceptent de lui parler encore.
S’aidant d’une bande-originale magistrale guidée par un Hans Zimmer au sommet de son art, le cinéaste britanno-américain nous emmène dans un conte nous racontant le grand (les prémices d’une possible fin de l’humanité) à travers le petit (le destin d’une famille).
En abordant pour la première fois de sa carrière la thématique de l’espace, Christopher Nolan tente et réussit à façonner un drame intimiste puissant dans l’immensité des étoiles.
State of Grace (2014)
Sorti en 2013, ce petit film indé a servi de starting-block aux carrières de grandes vedettes d’aujourd’hui : Brie Larson, qui y tient un rôle de directrice de foyer social; Lakeith Stanfield, l’ado abandonné et mutique, ou encore Rami Malek, qui joue un assistant social terriblement maladroit.
Dépeignant un tableau d’enfants difficiles, rejetés, maltraités ou en colère, State of Grace s’intéresse aux émois adolescents. Un jeune maltraité par sa mère, une fille qui se scarifie et qui est abusée par son père, un autre qui fugue pendant ses crises comportementales récurrentes.
Touchant par la détresse qu’il arrive à dépeindre, le film parvient aussi à sublimer le caractère de chacun, en projetant une lumière chaleureuse dans ce foyer parfois lugubre. Alternant entre des scènes très sombres et de vrais moments d’espoir, ce teen-movie était, à l’époque, une belle opportunité pour ces jeunes comédiens anonymes, qui aujourd’hui brillent de mille feux.
On ne remerciera jamais assez le réalisateur américain Destin Daniel Cretton de nous avoir apporté notre Captain Marvel invincible, notre vendeur en télémarketing ultra-chelou (Sorry to Bother You) et notre Mr. Robot schizophrène.
Whiplash (2014)
En 2014, Damien Chazelle débarque. Comme pour la scène finale de Whiplash, qui voit le personnage de Miles Teller prendre les devants en partant sans prévenir son chef d’orchestre sur “Caravan”, le cinéaste franco-américain n’a attendu personne pour proposer un premier long-métrage d’une rare maturité.
À l’origine, le cinéaste avait travaillé sur un scénario de 85 pages s’inspirant de son passé d’étudiant à Priceton, lui qui avait eu une expérience similaire avec un ancien professeur de jazz. Cela lui avait permis de dessiner le rôle de Terence Fletcher, incarné par J. K. Simmons.
Le résultat est une descente aux enfers musicale, voyant Miles Teller, soumis à l’autoritarisme de son boss, partir en vrille, alors que les secondes s’écoulent et qu’il vient d’oublier sa partition… jusqu’à l’accident.
Aucune pincette n’est prise pour illustrer cette violence psychologique, entre les remontrances, les cymbales balancées à la tête ou les manipulations autour de quelques confidences familiales. Même le métier de batteur de jazz semble être associé au purgatoire, entre les cloques, le sang, les verres d’eau glacée et une incapacité de suivre le tempo, ici subjectif, tant J. K. Simmons entend celui qui est le sien. Et Damien Chazelle de proposer un film parfait sur l’impossibilité de l’être.
Boyhood (2014)
Après plus de 2 heures les fesses vissées dans notre fauteuil rouge, il n’est pas rare que l’on trouve le temps long. Boyhood dure 2 heures 45, et il les mérite amplement.
Ici, Richard Linklater ne réalise pas seulement un film unique sur la famille mais un immense projet cinématographique en filmant la vie d’un petit garçon, interprété par un seul et unique acteur, de ses 6 ans à sa majorité. Pendant 12 ans, Ellar Coltrane a donc joué Manson, Patricia Arquette et Ethan Hawke, l’acteur fétiche de Linklater, ses parents divorcés.
Dans Boyhood, il a choisi de filmer des événements ordinaires, ceux de la vie d’un jeune garçon devenu jeune homme, du premier amour à la première fois en passant par les déménagements jusqu’à l’entrée à la fac, qui font un film extraordinaire.
Parvenir à sublimer des situations du quotidien pour nous émouvoir avec des moments de vie anodins mais néanmoins décisifs, c’est pour nous l’essence même du cinéma, le grand, le vrai. Il découle de cette grande fresque temporelle une mélancolie immense qui a propulsé Boyhood en indétrônable numéro un.
Gone Girl (2014)
15 ans après sa critique du consumérisme à travers un Fight Club organisé par des masculinistes fragiles et un peu fascistes sur les bords, David Fincher a grandi, et son cinéma tout autant que lui. Avec Gone Girl, titre d’un roman de Gillian Flynn qu’il adapte (en collaboration avec l’auteure au scénario), le cinéaste américain s’en prend cette fois-ci à une autre institution, le mariage.
En premier plan, Ben Affleck (Nick Dunne) et Rosamund Pike (Amy Elliott Dunne), couple modèle qui s’est rencontré à New York entre une soirée guindée, une ruelle sucrée et une librairie pas très catholique. Le premier est journaliste pour un magazine lifestyle, la deuxième est l’héroïne d’Amazing Amy, une série très populaire de livres pour enfants. Quelques années plus tard, le couple est obligé de s’installer dans le Missouri. Un beau jour, Amy disparaît. Les autorités sont alertées, le pays tout entier est tourné vers le travail de recherche et la vie de Nick est auscultée à l’aune du couple préfabriqué qu’il forme avec Amy.
À travers la lente désintégration d’un couple (presque) ordinaire, David Fincher signe un long-métrage dans lequel s’entremêlent ses thématiques préférées, entre faux-semblants, manipulations et violences psychologiques.
Spotlight (2015)
Le plus marquant dans Spotlight, ce sont les chiffres qui ne cessent d’augmenter, comme des poupées russes que l’on déboîte et qui renferment des secrets toujours plus sordides. La mise en scène n’y est jamais spectaculaire puisqu’on suit des journalistes au travail qui passent la plupart de leur temps dans des bureaux jaunis et enfumés.
Mais le cours de cette enquête hors normes y est si brillamment retracé qu’il nous permet de comprendre tous les rouages d’un des plus gros scandales du 21e siècle, celui d’une Église catholique toute puissante qui a étouffé pendant des décennies les viols commis sur des enfants par 249 prêtres pédophiles.
Si Spotlight n’est pas le premier film à aborder le sujet des scandales sexuels au sein de l’Église, il est certainement le premier à adopter le point de vue de l’enquête qui le rend si pédagogique mais non moins puissant. Il est également une très belle leçon de journalisme. Dernier argument et non des moindres : Mark Ruffalo. À vous les studios.
The Lobster (2015)
Dans un monde où l’amour dicte nos comportements, on peut compter sur Yórgos Lánthimos, un artiste bluffant de ces dernières années. Dans The Lobster, le génie grec joue avec nos peurs en imaginant l’un des meilleurs scénarios de la décennie : toute personne célibataire est arrêtée, transférée dans un internat, l’Hôtel, et a 45 jours pour trouver l’âme sœur. Si elle échoue, passé ce délai, elle sera transformée en l’animal de son choix.
Dans cette véritable prison, faussement romantique, les célibataires se retrouvent alors à discuter de leur animal totem, à se faire la cour les uns aux autres sans vraiment le vouloir et à se faire sévèrement punir s’ils osent, par exemple, se masturber.
Audacieux, absurde, mais ô combien inventif, The Lobster replace Colin Farrell au centre d’un cinéma indépendant qui ne faisait plus vraiment appel à lui. Le ventre bedonnant, quelques jours après que sa femme l’a plaqué, il est en passe de devenir un homard. Distingué du Prix du jury à Cannes, ce merveilleux ovni est un véritable coup de maître conceptuel et métaphorique, narguant l’industrie cinématographique qui se complaît, cette décennie, dans ses reboots, sequels et autres paresses intellectuelles.
It Follows (2015)
Voilà le tableau de ce cauchemardesque It Follows : si vous contractez le “virus” à coups de reins, vous serez suivi jour et nuit par un grand mec, une femme à poil, une jeune étudiante ou autre profil flippant qui cherche à vous tuer. Vous êtes le seul à le voir et il peut prendre n’importe quelle apparence, comme celle de votre meilleure amie ou de votre mère, ce qui vous pousse à vivre dans une peur paralysante et vous contraint à des phases d’isolement assez malsaines.
Façon T-800 dans Terminator, qui a pour objectif de tuer Sarah Connor en la suivant jusqu’à épuisement, ce jeu du chat et de la souris imaginé par le talentueux David Robert Mitchell est impossible à oublier en matière de films d’horreur. Et que celui qui n’a pas été parano en prenant n’importe quel passant pour un psychopathe après le visionnage du film ose se signaler.
Si ce scénario original est inspiré d’un cauchemar récurrent de David Robert Mitchell, le cinéaste s’amuse surtout avec les angoisses de notre société, comme le sida, tout en ridiculisant le puritanisme. Ainsi, il ouvrait en 2014 une nouvelle voie au teen-movie, en utilisant une bande de jeunes pour tirer le portrait d’une Amérique libérée mais maudite.
Vice Versa (2015)
À la lecture de ce top, on comprend que l’adolescence et toutes les émotions qu’elle suscite sont des thématiques qui nous sont chères. Il nous était donc impossible de ne pas citer Vice Versa, un des plus beaux films sur le passage à l’adolescence, conceptualisé de la plus inventive des façons.
Comme Boyhood qui a su magnifier les événements du quotidien, Vice Versa sublime les émotions les plus simples, la joie, la tristesse ou la colère pour un maximum d’effets garanties. Vice Versa, ce sont toutes les larmes et l’inventivité de tous les Pixar dans un seul Pixar.
Steve Jobs (2015)
Près de 20 ans après Trainspotting, Danny Boyle s’est renouvelé au beau milieu des années 2010. À ses côtés, comme pour The Social Network, le réalisateur a collaboré au scénario avec Aaron Sorkin. Trois ans après la figure de Mark Zuckerberg, place à celle de Steve Jobs, incarné par Michael Fassbender.
L’histoire se déroule en trois actes : lancement du Macintosh 128K (1984), du NeXT Computer (1988) et de l’iMac (1998). Pour illustrer ces trois époques, Danny Boyle a utilisé trois formats différents : le 16 mm, le 35 mm puis une caméra numérique (Arri Alexa). Même topo pour la musique : synthétiseurs pour la première partie (Roland SH-1000 ou le Yamaha CS-80) et inspiration des bruits des premiers ordis, une musique classique (opéra) pour la deuxième partie, et enfin une musique composée sur Mac pour la troisième.
Le long-métrage se distingue par une dynamique imperturbable, une bande originale parfaitement dosée (comportant des orchestrations différenciées en fonction des différentes époques) et un casting de second rôle idéal : Kate Winslet, Seth Rogen et Jeff Daniels brillent dans des rôles qui gravitent autour du monstre qu’est Steve Jobs.
Le résultat est le meilleur film réalisé par Danny Boyle, parcourant la personnalité complexe d’un Steve Jobs en proie à une relation tout aussi complexe avec sa fille Lisa, le boss d’Apple John Sculley et le manque d’empathie pour Steve Wozniak, cofondateur de la marque. Steve Jobs en devient l’un des meilleurs “biopics”, aux côtés de The Social Network.
Mad Max : Fury Road (2015)
Il y avait de quoi avoir peur. Le dernier film de la franchise (Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre, sorti en 1985), n’était pas le meilleur. Pas pour rien qu’on n’a pas vu de Mad Max pendant 30 ans. Voir George Miller s’attaquer à un nouveau volet, sans Mel Gibson, à 70 ans, avait tout pour inquiéter.
Mais l’anarchie explosive de l’Australien n’aura jamais été aussi belle, audacieuse, et impressionnante qu’avec ce Fury Road incroyable. Et redéfinir sa propre franchise, c’est franchement fort. Les cascades sont parmi les plus impressionnantes de ce XXIe siècle, dont la plupart ont été réalisées en prise de vue réelle et non en CGI — fait bien trop rare de nos jours. Les couleurs, la mise en scène, la photographie : c’est simple, tout est un régal.
Plus encore, ce qui peut impressionner, c’est la quantité de scènes de ce genre. Miller n’offre aucun repos à ses spectateurs, qui se trouvent forcés de suivre les aventures de près de ce boost d’adrénaline pendant deux heures. Le rythme est impressionnant, sans jamais trop en faire.
Côté casting, Tom Hardy fait du Tom Hardy, comprendre qu’il ne bronche pas beaucoup, et parle avec une voix grave dans sa barbe. Non, c’est vers Charlize Theron qu’il faut se tourner. Car sa Furiosa est impeccable de bout en bout, autant sur les thèmes qu’elle porte à bout de bras — oui, Fury Road est un film féministe — et vous ferait presque oublier Mel Gibson (presque).
Réalité (2015)
L’absurde au cinéma n’aura jamais été aussi bluffant, cette décennie, qu’en 2015. Entre Zog, un ancien réalisateur de documentaires qui préfère laisser les acteurs s’endormir pour de vrai plutôt que de leur demander de jouer la comédie, et Bob Marshall, un producteur ridicule et maniaque incitant ses hôtes à fumer parce que ça semble plus convivial, on trouve Jason, un réalisateur de films d’horreur en herbe, interprété par Alain Chabat.
Son rêve ? Écrire un film de science-fiction dans lequel les télévisions décimeraient la population. Le producteur, très exigeant, est prêt à soutenir son projet et à lui donner carte blanche, à condition qu’il trouve le meilleur gémissement de l’histoire du cinéma… en 48 heures.
Dans cette période d’errance créative, montrant subtilement les coulisses des échanges entre un cinéaste et un producteur, Quentin Dupieux imagine plusieurs niveaux de lecture, donnant naissance à un film tordu et confus, mais merveilleusement bien ficelé. Outre les aventures satiriques d’Alain Chabat, une petite fille cherche une mystérieuse cassette, un sanglier rend l’âme et un homme immense se travesti. Au fur et à mesure que le casse-tête se complique, les temporalités s’entremêlent.
Ce film à énigme, qui ne peut se savourer qu’au premier visionnage, restera l’un des coups les plus malicieux de Quentin Dupieux, repoussant toujours plus les limites de la narration. Cette décennie, personne n’a su l’égaler.
The Lost City of Z (2016)
James Gray a tout d’un grand. Sa filmographie est jonchée de pépites cultes, de Little Odessa à Ad Astra, en passant par The Yards ou encore le grand La Nuit Nous Appartient. S’il est peut-être encore trop tôt pour saisir l’impact et l’importance de son dernier film, force est de reconnaître que Lost City of Z est bien celui qui a marqué la décennie au fer rouge.
Le cinéaste a décidé de quitter la grisaille new-yorkaise, et de partir loin, très loin, dans les tréfonds de la jungle amazonienne. Une localisation qui lui permet d’adapter le célèbre bouquin du même nom, qui raconte les folles aventures de l’explorateur Percy Fawcett lequel, au début du XXe siècle, se rend à plusieurs reprises au Brésil pour retrouver une supposée ancienne civilisation.
Il y a certes une relative mise en scène des scènes de jungle, liée à un héritage d’un genre cinématographique précis. Sauf que là où des longs-métrages se concentraient sur l’exploration pure et simple, Gray délivre un film complexe sur le besoin de partir, de fuir, de découvrir, de gloire, le tout dans un contexte familial et économique sensible.
Pour cela, il faudra également remercier Charlie Hunnam, qui tient ici probablement le plus beau rôle de sa carrière (pour l’instant). D’une justesse folle de bout en bout, et bien entouré d’une Sienna Miller plus forte que jamais, d’un Robert Pattinson méconnaissable et d’un Tom Holland émouvant.
S’il a été encensé par la critique lors de sa sortie, peu l’ont remis en avant dernièrement. Ce qui est fort dommage car il s’agit là d’une des plus belles propositions d’aventures cinématographiques de ces dernières années.
Grave (2016)
Le cinéma de genre et le cinéma français n’ont pas souvent fait la paire. Il s’agit même ici d’un doux euphémisme. Car mise à part Alexandre Aja qui a tenté Haute Tension en 2003, les grands coups d’éclat du cinéma d’horreur made in France sont plus que rares : ils étaient inexistants.
Puis, sans crier gare, une réalisatrice méconnue du grand public, Julia Ducournau, a balancé une petite bombe, un premier film post-Fémis : Grave. Cet objet filmique non-identifié était un essai hybride, mêlant cinéma d’horreur et cinéma d’auteur. Un film encensé autant par Mad Movies que par les Cahiers du Cinéma. Une première — ou presque.
Il faut dire que le cauchemar de Garance Marillier, qui campe une jeune végétarienne fraîchement débarquée en école vétérinaire et se découvre des pulsions cannibales, a tout d’une claque. Visuelle, et mentale.
Tout dans l’écriture de ce long-métrage innove le genre comme peu ont eu le courage de le faire avant, grâce à un savant mélange de body horror et d’horreur psychologique sur fond de recherche d’identité. Tout.
Ma vie de courgette (2016)
Lorsque Claude Barras réalise son premier film, Ma vie de courgette, en 2016, il s’impose comme l’un des réalisateurs de film d’animation les plus prometteurs. Outre son travail considérable en stop motion, pendant lequel il a dû fabriquer et peindre une centaine de décors et de marionnettes, le cinéaste signe une histoire déchirante et nostalgique, coécrite par Céline Sciamma.
Icare a 9 ans et se fait appeler Courgette. Il est placé en foyer après le décès de sa mère alcoolique. Seul, avec une canette de bière vide et un cerf-volant comme lot de consolation, il se lie d’amitié avec Simon et Camille qui, eux aussi, renferment de sombres souvenirs d’enfance. Récit d’initiation original, Ma vie de courgette établit ses propres règles pour se démarquer de Pixar et Ghibli.
Ces petits héros en pâte à modeler, avec leurs yeux grands comme des billes et leur petit nez rouge, ramènent en enfance n’importe quel adulte normalement constitué. En seulement une heure, ce joli film inattendu parvient à se hisser en haut de la pile des films d’animation inoubliables. Simple et efficace.
The Florida Project (2017)
The Florida Project, c’est d’abord un magnifique contre-pied visuel. Contrairement à la majorité des films sur la pauvreté à l’esthétique froide, The Florida Project, chronique de l’Amérique des ultra-pauvres qui occupent des motels en périphérie de Disney World, est un gros bonbon acidulé dont le style et la mécanique ne sont pas sans rappeler le Spring Breakers d’Harmony Korine. Spring Breakers que l’on aurait d’ailleurs bien volontiers ajouté à ce top si nos collègues nous y avait autorisé.
Mais outre un beau film social, The Florida Project est également un des plus beaux films sur l’enfance. L’incroyable Brooklyn Prince y campe l’intrépide et malicieuse Moonee qui nous sert de guide dans ces décors de carton pastel. Malgré le désœuvrement et l’apathie de son adulescente de mère, elle trouve sans cesse de quoi occuper sa bande de copains, pour le meilleur et pour le pire.
On y a aussi applaudi une magnifique direction d’acteurs qui a su faire cohabiter enfants, acteurs débutants (Halley, la mère de Moonee a été repérée par la réalisateur grâce à son Instagram) et confirmés, comme le si touchant Willem Defoe, en manager de motel et magnifique père de substitution pour ces deux âmes esseulées.
Mais sous le verni pop, on ressent également une tension palpable qui finira par exploser en même temps que les larmes de la petite Moonee qui nous ont brisé le cœur en mille morceaux.
Get Out (2017)
La figure de l’homme noir dans le cinéma d’horreur est souvent associée à “le-personnage-qui-meurt-en-premier” — ce qui est absurde quand on sait que l’une des pierres angulaires de l’horreur moderne, La Nuit des Morts-Vivants de George Romero, allait à l’opposé de cette vision ridicule. Jordan Peele a plus que donné un coup de pied dans la fourmilière : il l’a détruite, pour tout rebâtir par-dessus.
Get Out avait ce quelque chose de révolutionnaire que peu de longs-métrages peuvent se targuer d’arborer. Il réinvente certains mécanismes d’horreur, jouit d’un scénario satirique plus malin et audacieux que le reste des productions actuelles, et qui tend à devenir un étendard contre le racisme libéral de l’Amérique contemporaine — dont le contexte politique semble de plus en plus actuel.
On parle aussi d’un premier film, qui a révélé au commun des mortels Daniel Kaluuya (qui a hérité d’une nomination aux Oscars pour ce rôle, ce qui est si rare pour un film de genre), d’une certaine manière, son producteur Jason Blum, mais aussi le génial scénariste/réalisateur Jordan Peele.
Avoir comme premier projet un succès critique et commercial, qui rapporte des centaines de millions de dollars au box-office, qui va récolter des prix à gogo, et te catapulte dans la liste des auteurs les plus importants du moment, est un fait quasi unique de cette décennie. Le film indispensable de cette deuxième moitié de décennie.
Good Time (2017)
En 2017, alors que Cannes s’achève et que je puise dans mes dernières forces de festivalière, je me lève à 6 heures du mat’ pour voir ce qui sera le dernier film de la compétition, Good Time. Malgré la fatigue harassante qui me joue des tours, je reste accrochée à mon siège pendant 1 h 41, à admirer comment les frères Safdie ont remodelé Robert Pattinson, égérie des midinettes depuis Twilight, en bad boy crasseux et magnétique.
Avec l’un des frères cinéastes, Ben, qui joue son frère Nick pour la fiction, Robert Pattinson braque une banque et les évènements tournent mal : Nick se fait attraper et Connie sillonne les rues de New York, comme dans Cosmopolis – film qui marquait le début de la gloire de l’ex-vampire anglais en 2012.
Les frères Safdie, duo terrible du cinéma indépendant new-yorkais, suivent dans une ambiance poisseuse et dark cet anti-héros aux allures de voyou qui tente d’échapper au système. Cette course-poursuite unique et désespérée marque profondément par son esthétique, avec ses lumières fluo, sa musique minimaliste électro et ses fumigènes roses, mais aussi ses personnages cruels et irrécupérables. Good Time, l’un des plus sombres et délicieux tableaux de la perdition, une histoire de fratrie pas comme les autres, par les frangins les plus hype de la décennie. Sorry, les frères Cohen.
A Ghost Story (2017)
J’ai trouvé ça plutôt injuste qu’on résume ce film à une tarte. En cause ? Un plan fixe d’une vingtaine de minutes sur Rooney Mara qui mange une tarte, assise par terre dans sa cuisine. Je comprends que ce plan puisse diviser, mais là où certains voient du vide et de l’ennui, d’autres lisent une belle métaphore du deuil.
L’histoire, c’est celle d’une jeune femme qui perd subitement son mari (Casey Affleck) dans un accident de voiture, devant sa demeure. Le défunt va alors errer sous le toit de sa femme, avant qu’elle ne déménage et laisse une question existentielle en suspens : qu’est-ce qui nous survit ? Passé de l’autre côté, le fantôme, sans but, sans visage et sans voix, est témoin du temps qui passe, impuissant.
Film épuré sur la reconstruction, A Ghost Story rappelle au monde à quel point les artifices et les effets spéciaux sont devenus coutumes du grand écran. Ici, la simplicité prime, comme pour rendre hommage à ce rien que nous sommes. La mort est symbolisée par un drap, avec deux trous noirs pour les yeux. Les personnages n’ont même pas de prénom. Fortement influencé par Le Voyage de Chihiro ou Under the Skin, le film de David Lowery a certes divisé, mais s’est aussi imposé comme LE film indépendant à sa sortie, en 2017. Un poème visuel, comme le cinéma indépendant contemporain en a rarement porté.
Spider-Man : New Generation (2018)
S’il y a bien un genre qui a marqué la décennie c’est celui du film de super-héros. La dynastie Marvel a pris d’assaut l’entertainment américain, DC a essayé de reproduire l’exploit et chacun a compris sur quel cheval miser. Mais face à une certaine forme d’uniformisation de ce cinéma (si celui-ci existe réellement en tant que tel, ce qui demeure contestable), certains volets ont réussi à récupérer et jouer avec les codes dudit genre.
On aurait pu parler de Logan, l’excellent western de James Mangold sur la dernière virée du Hugh “Wolverine” Jackman, de Dark Knight Rises, dernier volet de la trilogie noire de Nolan centrée sur Bruce Wayne, ou encore de Deadpool, la version graveleusement maligne du film de super-héros. Mais ç’en est un autre qui a marqué nos esprits et nos rétines.
Sans crier gare, Sony — qui n’a pas géré avec maestria l’exploitation du catalogue de Spider-Man dont elle détient les droits — a balancé un film d’animation grand public sur l’homme-araignée, Spider-Man : New Generation. Et personne ne s’attendait à ça.
Il s’agit d’une aventure excessivement habile et bien écrite, autant en termes de construction que d’exploitation des personnages, d’attache émotionnelle et de structure narrative. Le commun des mortels a pu découvrir un Miles Morales attachant et puissant, et le multiverse si important dans le cœur des fans de comics. Mais c’est surtout graphiquement, avec un design si proche du comics et si beau, loin de l’hégémonie Pixar, que la claque a été la plus impressionnante.
Il y a de grandes chances pour que ce film reste l’un des plus importants des années 2000. Et ce serait plus que mérité.
Call Me By Your Name (2018)
Si les anti-Chalamet risquent de bondir de leur siège en lisant ces lignes, pour nous, Call Me By Your Name est avant tout le film qui a révélé un grand acteur, le susnommé Chalamet, le seul à être parvenu à nous faire vivre une seconde fois nos émois adolescents avec une telle intensité. La puissance de ce grand film et la justesse du jeune Timothée nous ont permis de nous identifier si fort au personnage d’Elio, quelque soit notre âge, notre orientation sexuelle (ou même nos vacances que l’on ne passait certainement pas dans de sublimes villas italiennes).
Call Me By Your Name, c’est aussi le plus merveilleux père du cinéma dont le magnifique monologue vaut tous les discours mais également le générique de fin le plus larmoyant qui nous a scotché à notre fauteuil pendant de longues minutes. C’est pour ces quelques raisons simples qu’il mérite sa place dans ce top et pour ces mêmes raisons qu’il ne faut certainement pas donner de suite à Call Me By Your Name.
Joker (2019)
Le rôle nous semblait intouchable depuis la performance d’Heath Ledger dans le Dark Knight de Christopher Nolan. 11 ans après cet Oscar plus que mérité, Todd Philipps est venu tenter sa chance, accompagné d’un Joaquin Phoenix squelettique et méconnaissable. Et force est de reconnaître que le pari est putain de réussi.
L’idée brillante du cinéaste de retranscrire un film de super-héros dans un film sombre, sobre, façon film noir, centré sur la performance d’acting studio d’un Phoenix au sommet de son art (et ça en dit long, quand on connaît la filmo exemplaire du monsieur), fonctionne parfaitement.
L’audace a été de surcroît de vouloir expliquer les origines d’un des vilains les plus connus de l’histoire — origines qui n’ont jamais été contées en comics, jamais. Et le tout dans un Gotham loin du surnaturel des films de super-héros, dans un monde où les super-héros ne semblent pas exister.
Ainsi donc, on y suit un homme, Arthur Fleck, qui a déjà des antécédents de passages en hospices psychiatriques, et dont la violence de la société, de tout type, fait exploser la folie en lui. La création d’un monstre, en somme — sur fond de crise politique, et d’une société à bout de nerfs.
Viscéralement contemporaine, l’approche de Philipps est plus qu’originale : elle semble indispensable, maintenant que la “domination” du genre du film de super-héros devient la norme. Car plus encore, il s’agit d’une œuvre personnelle, riche, à la beauté certaine, qui prend aux tripes pour ne jamais les lâcher. Trop rare et unique pour ne pas marquer les esprits cinéphiles sur de longues années.
Parasite (2019)
Bong Joon-ho a déballé un paquet de pépites ces dix dernières années. On pense à Mother, bien sûr, mais aussi à Snowpiercer, et, évidemmet, Memories of Murder. Mais le cinéaste sud-coréen n’avait pas encore dit son dernier mot, et a gardé son ultime carte pour 2019, avec Parasite.
C’est peu dire que la Palme d’Or de cette année est plus que méritée, et que cela fait longtemps qu’une Palme n’a pas autant enchanté, autant la critique que le public, que les professionnels du septième art — tant qu’on la retrouve à Hollywood en train de draguer le jury des Oscars.
(© The Jokers / Les Bookmakers)
Et ce n’était pourtant pas si facile. L’histoire n’est pas vraiment un thriller traditionnel, les enjeux sont confinés, le casting est constitué d’acteurs inconnus (à part Song Kang-ho, qui est connu chez les cinéphiles avertis).
Et pourtant, ça a marché, là où tant ont échoué. Peut-être que la renommée de Bong Joon-ho y est pour quelque chose. Peut-être que la Palme a attiré les gens en salles. Peut-être aussi qu’il s’agit surtout d’un excellent bouche-à-oreille, plus qu’efficace. Il faut dire qu’on tient là un des films les plus aboutis, réussis, et impressionnants de l’année — et même de la décennie. C’est simple, rien n’est à jeter et tout aide l’histoire.
La mise en scène pointilleuse de Jong-ho permet de saisir la structure de la maison en un rien de temps; la photographie est sublime du début à la fin, que l’on filme une pêche au ralenti ou un jeu de sang sur du pain; le jeu des acteurs est parfait; l’écriture est d’une justesse rare, alternant entre la tragédie, la comédie noire et la satire sociale. Bref, Parasite est un grand film. En espérant que l’Académie des Oscars soit du même avis.
Article écrit par Lucille Bion, Arthur Cios, Louis Lepron et Manon Marcillat.